Algues vertes: fin de l'omerta bretonne?
Algues vertes : fin de l’omerta bretonne ?
De mai à septembre, année après année le balai des tractopelles ramassent sur une huitaine de belles plages bretonnes, dès leur échouage, les algues vertes (opérations qui au passage détruisent une partie de la faune naturelle des plages...). Leur accumulation n’est pas seulement un problème visuel et olfactif. Elle amplifie le phénomène d’eutrophisation et dégage un gaz, l’hydrogène sulfuré potentiellement mortel. Date officielle de la première marée verte : 1971 !
Voir notre article de 2009….
https://ecologie58.blog4ever.com/lvnac-algues-vertes-en-bretagne
Les algues vertes ont tué. 1989 décès d'un jogger sur la plage de Saint-Michel en Grève, 2009 celui d'un transporteur salarié d'algues à Binic, mort d'un cheval suivie de l'hospitalisation de son cavalier, 2016 à Hillion mort d'un sportif faisant son jogging dans une vasière . Sans compter des chiens , des sangliers (36 en 2011 dans l'estuaire Gouessant).
A l’origine de ces algues vertes, le système concentrationnaire de l’élevage breton qui entassent des milliers de porcs (60% de la production française) et de volailles (40%). La Bretagne croule sous les déjections animales riches en azote. Epandues comme engrais en excès par rapport aux besoins des cultures, il se transforme en nitrate qui contamine l’eau, nappes, rivières et océan. Les algues présentes à l’état naturel sont suralimentées et prolifèrent sur des côtes bretonnes propices par ailleurs à l’eutrophisation en raison des eaux peu profondes et de faibles courants.
C’est peu dire que le sujet des algues vertes en Bretagne est hautement sensible pour ne pas dire tabou. C’est toute une région qui vit d’un système d’agriculture intensive qu’il est hors question de mettre en cause. Ses impacts sur l’environnement et la santé publique n’ont cessé d’être minimisés voire niés par les représentants de l’agro-industrie, le milieu agricole via la FNSEA, les autorités politiques locales qui craignent que ce sujet nuise au tourisme et à l’image du territoire et une administration silencieuse (l'Agence Régionale de Santé ou préfecture).
Mais deux événements sont venus briser cette omerta politico-économique bretonne et porter à la connaissance du grand public ce scandale environnemental et sanitaire et l'inertie de l'Etat et des élus locaux à traiter la cause des marées vertes liée à + de 95% aux excédents d'azote agricole.
→ La sortie en 2019 d’une bande dessinée « Agues vertes : l’histoire interdite » de la journaliste de radio Inès Léraud et de l’illustrateur Pierre Van Hove qui retrace une enquête de terrain passionnante de plusieurs années sur les marées vertes bretonnes. Une enquête difficile, nourrie de témoignages, d’articles de presse, de décisions judiciaires, d’avis sur la dangerosité de ces algues vertes mis de côté, émanant de scientifiques (dès 1980) du médecin urgentiste à Lannion (Pierre Philippe en 2009), des contre discours du monde industriel couverts par le monde politique….
→ Sortie le 12 juillet du film « Algues vertes » de Pierre Jolivet, tourné également dans des conditions difficiles qui s’inspire de l'enquête menée par Inès Léraud (coscénariste). Sous l'angle d'une histoire humaine il met en scène les lanceurs d'alerte, les victimes dont les familles sont toujours engagées dans des combats judiciaires pour faire reconnaître la cause de leur mort et des militants associatifs qui oeuvrent depuis des décennies contre ce fléau. Au premier rang desquels l’association « Eau et rivières de Bretagne » fondée en 1969, « Halte aux Marées Vertes « Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre »....
Depuis plus de dix ans sont mis en place des plans (au nombre de 6!) censés lutter contre les marées vertes dans les 8 baies les plus impactées, insuffisants, car fondés sur le volontariat des agriculteurs….(2010-2015 ; 2017-2021; 2022-2027 https://www.algues-vertes.com/wp-content/uploads/2023/06/Doc-cadre-PLAV-2022-27.pdf
Si ce dernier plan apporte quelques modifications contraignantes il n’a pas convaincu l’association Eau et Rivières de Bretagne qui a attaqué l’Etat en justice pour inaction face aux pollutions des eaux par les nitrates. Le 18 juillet le tribunal administratif de Rennes a donné un délai de 4 mois à l’Etat pour mettre en place un programme d’actions efficace qui intègre « des mesures d’application immédiates, contrôlées dans leur exécution de limitation de la fertilisation azotée et de gestion adaptée des terres agricoles ».
Dans un rapport de 2021 la Cour des Comptes dénonçait des plans d’action aux objectifs mal définis, l’absence de suivis, l’insuffisance de soutiens publics, et à l’inverse des soutiens aux filières agroalimentaires sans contrepartie en matière de prévention des fuites d’azote, des aides PAC mal dirigées, aides très modestes pour le changement des pratiques et systèmes agricoles (2ème pilier).
C'est la première fois que l'Etat se voit imposer un délai face aux algues vertes pour sortir des actions de lutte contre les marées vertes basées essentiellement sur des mesures incitatives et le volontariat des exploitations agricoles pour passer enfin à des contraintes réglementaires et à un contrôle sérieux de leur respect.
On notera que les défenseurs de l'environnement saisissent de plus en plus fréquemment le juge contre l'inaction du gouvernement en matière environnementale.
cf: → L'affaire du siècle voir nos articles :
https://ecologie58.blog4ever.com/rechauffement-climatiquevers-une-plainte-contre-l-etat
Les associations viennent de demander au juge de prononcer une astreinte de 1 Milliard d'euros à l'Etat (juin 2023).
→ Affaire Grande-Synthe le Conseil d'Etat a ordonné au gouvernement de prendre de nouvelles mesures pour le climat d'ici 2024.
→ Biodiversité : L'Etat a été condamné, jeudi 29 juin, à réparer d'ici à un an un "préjudice écologique" lié à l'utilisation massive des pesticides dans l'agriculture, accusée de causer un effondrement de la biodiversité. L'Etat a jusqu'au 30 juin 2024 pour mieux respecter ses trajectoires de baisse de l'utilisation des pesticides et protéger les eaux (plans écophyto qui cumulent les échecs : le Grenelle de l'environnement (2007)avait fixé un objectif de réduction de 50% de l'usage des pesticides de synthèse en 10 ans...
→ Pollution de l'air : Le gouvernement a été condamné par le Conseil d'Etat en 2021 et 2022 pour son incapacité à faire respecter dans les principales agglomérations les normes de niveaux de pollution. Amendes respectives de 10 millions d'euros (2021) et 20 millions en 2022 . La pollution de l'air tue chaque année 40 000 personnes en France.
J.Thévenot
https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-politique-publique-de-lutte-contre-la-proliferation-des-algues-vertes-en-bretagne Rapport de la Cour des Comptes
https://splann.org/ site d'investigation en ligne de Inès Léraud
https://fne.asso.fr/dossiers/algues-vertes-le-littoral-empoisonne
https://www.eau-et-rivieres.org/la-saga-des-marees-vertes
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