EAU: La Cour des Comptes épingle sa gestion par l'Etat
Eau : la Cour des Comptes épingle sa gestion par l’Etat
Le rapport annuel de la Cour publié le 17 juillet comporte un volet sur la « gestion quantitative de l’eau en période de changement climatique ». Rapport d’autant plus intéressant qu’il est sorti quelques mois après la présentation par le de gouvernement le 30 mars d’ un « plan eau »qui paraît peu ambitieux au regard de ses recommandations…
La cour rappelle qu’en raison de l’élévation du niveau moyen des températures, la quantité d’eau renouvelable disponible ( celle qui ne retourne pas dans l’atmosphère par évaporation ou transpiration des végétaux) a baissé de 14% entre la période 1990-2001 et la période 2002-2018. Quant au futur les experts évaluent à -30% à – 40% cette disponibilité à l’horizon 2050. Son message est clair : nos ressources en eau s’amenuisent, la situation va s’aggraver et exacerber les conflits d’usages. « D’ores et déjà, sur une partie croissante du territoire, la consommation liée aux différents usages excède, sur des périodes de l’année de plus en plus longues, la capacité des milieux à fournir de l’eau.
L’unique solution pour assurer sa protection à long terme est « une stratégie déterminée de réduction des prélèvements et d’utilisation raisonnée ». C’est « la condition du retour à l’équilibre dans les zones en tension et de la restauration du bon état des masses d’eau »( qu’impose une directive-cadre européenne : 56 % de ses masses d’eau de surface et 33 % des souterraines en sont loin). Pourtant « elle n’est pas encore considérée comme une priorité » :la gestion quantitative de l’eau en France, en pleine crise climatique, n’est pas à la hauteur des enjeux. La gestion quantitative de l’eau, prise sous l’angle de la rareté de la ressource, est devenue une préoccupation majeure.
→ La Cour relève des disfonctionnements au niveau de la connaissance de la ressource et des prélèvements :
Sur la ressource :
- La surveillance de l’état de la ressource en eau est mise en place dans chaque grand bassin hydrographiques ( sept bassins métropolitains : Adour-Garonne, Artois-Picardie, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse, Rhône-Méditerranée, Corse, Seine-Normandie) Elle porte sur les eaux superficielles ( 2601 stations de mesures et sur les eaux souterraines (1708 piézomètres- forages).
La Cour mentionne que ce réseau national de surveillance est contesté. Alors que les petites masses d’eau (cours d’eau, plans d’eau, petites nappes) représentent 67% du total des eaux superficielles seulement 5% sont surveillés.
- Autre problème en raison de l’évolution du climat, le manque de fiabilité des études prospectives sur le niveau des ressources futures sur lesquels s’appuient des projets de prélèvements massifs. Bien illustré par les projets des mégabassines pour l’irrigation dans les Deux Sèvres qui s’appuient sur une étude rassurante du BRGM (bureau de recherche géographique et miière) quant aux conséquences de ces ouvrages sur les milieux (niveaux de nappe, débits des cours d’eau, zones humides). Etude qui a été dénoncée pour son manque de rigueur notamment parce qu’elle se basait sur un modèle s’appuyant sur des données de la période 2000-2011, donc sans prendre en compte les aléas du climat ni les conséquences du changement climatique en cours.
Sur les prélèvements :
Le rapport appelle à « renforcer sans délai les contrôles des autorisations de prélèvements
- Selon la règlementation tout prélèvement supérieur à 10000m3/an doit être déclaré auprès des Agences de l’eau. Dans les zones de répartition des eaux (ZRE souffrant d’une insuffisance des ressources par rapport aux besoins le seuil est 7000m3 (30 % du territoire métropolitain est classé en ZRE ) .En dessous de ces seuils les prélèvements ne sont pas comptabilisés. Faute de contrôles suffisants sur le terrain de nombreux prélèvements échappent à ces déclarations par méconnaissance de l’obligation ou intention frauduleuse. La Cour mentionne que «Dans le bassin Adour-Garonne, la moitié des 20 000 irrigants ne font pas de déclaration. Leur consommation est estimée à moins de 7 000 m3, sans aucun contrôle ».
- Quant aux DDT (direction départementale des territoires) qui sont chargées d’instruire les dossiers de déclaration et d’autorisation de prélèvements d’eau (régime IOTA), de les contrôler (police de l’eau) la Cour rapporte « la plupart des 25 DDT n’ont pas pu produire le nombre et la nature des décisions prises ayant un impact sur la gestion quantitative de l’eau ».
- Les puits et forages à usages domestiques (consommation ne dépassant pas 1000m3/an), doivent depuis le ler janvier 2009 faire l’objet d’une déclaration en mairie avant les travaux, rarement effectuée dit le rapport.
- La base de données des services publics d’eau et d’assainissement (SISPEA) alimentée par les communes est incomplète. Les communes de -3500H ne sont pas obligées de lui transmettre les consommations en eau potable.
Le « plan eau » sensé organiser la sobriété des usages de l’eau stipule d’économiser dans tous les secteurs d’activité 10% d’eau prélevée d’ici 2030. Rappel : en 2019 dans le cadre des Assises de l’eau le gouvernement s’était engagé à diminuer les prélèvements de 10% d’ici à 2025 et de 25% d’ici à 2035. Il repousse donc et l’échéance et l’objectif. En outre le secteur agricole est dispensé de cet effort d’économie comme annoncé par le ministre de l’agriculture à la clôture du Congrès de la FNSEA à Angers : aucun effort supplémentaire » ne lui sera demandé quant aux volumes globaux qu’il prélève.
→ La Cour dénonce la tarification de l’eau comme injuste et inefficace pour encourager les économies
Elle prône une refonte des redevances pour prélèvement sur la ressource en eau versées aux agences de l’eau. Elles pèsent à 75% sur les particuliers . L’agriculture forte consommatrice (58% contre 26% pour l’eau potable) et responsable en grande partie des pollutions diffuses ne contribue qu’entre 3 à 6% au total des redevances.
Ainsi qu’un tarification progressive « partout où cela est possible pour inciter les gros consommateurs à modifier leurs comportements ».
Si le plan eau prévoit cette mesure il la réserve aux seuls particuliers. Elle devrait s’appliquer également aux prélèvements destinés à l’irrigation et aux industries raccordées au réseau d’eau potable.
→ Sur les techniques destinées à augmenter la ressource disponible
- A son tour la Cour s’interroge sur les réserves de substitution –mégabassines largement subventionnées par l’Etat (70% ).Elles vont à l’encontre de la modification nécessaire de certaines pratiques agricoles car elles n’incitent pas à réduire l’irrigation. Elles s’avèrent même inutiles en cas de sècheresse hivernale ou pluriannuelle, phénomène qui va s’accentuer. « Le financement public d’infrastructures d’irrigation de terres agricole devrait être conditionné à des engagement de pratiques plus respectueuse de l’environnement ».
La cour appelle à un renforcement du contrôle des autorisations de prélèvement.
Le plan eau, lui, réaffirme au contraire la position favorable du gouvernement sur la rétention artificielle des eaux d’hiver. Les écologistes demandent en vain un moratoire sur ces réserves au regard des données peu fiables sur leurs impacts (nappes phréatiques et cours d’eau).
- La réutilisation des eaux usées en sortie de stations d’épuration: elle est considérée par la Cour comme coûteuse ( km de tuyaux, énergie). De plus elles ne rejoignent plus le milieu naturel. Hors les zones littorales où les stations rejettent en mer, sur le continent ce sont elles qui participent parfois de manière significative au maintien en période estivale d’un débit minimum dans les cours d’eau.
Le « plan eau » prévoit de recycler 10% des eaux usées d’ici 2030.
- Quant à la désalinisation de l’eau de mer c’est non également, trop énergivore.
La Cour préconise des solutions fondées sur la nature visant à augmenter le débit des cours d’eau et la recharge des nappes : restauration des sols pour améliorer l’infiltration des eaux pluviales, de la morphologie des cours d’eau, création et préservation des zones humides……
→ Enfin pour la Cour la politique de l’eau souffre d’une organisation complexe et incohérente entre l’Etat et les collectivités locales, inadaptée aux enjeux de la gestion quantitative de l’eau
Si elle confie pour sa mise en œuvre des responsabilités importantes aux collectivités locales, leur intervention souffre de leur morcellement et le plus souvent d’une conduite à une échelle géographique inadaptée .Pour la Cour la politique de l’eau doit être pilotée « au plus près des territoires » avec la constitution d’une gouvernance locale de l’eau dotée de moyens propres et d’un pouvoir de décision effectif, dans chaque sous-bassin versant puisque c’est à cette échelle que doivent être concrétisées, notamment à travers des schémas d’aménagement et de gestion (Sage ) les orientations définies au niveau des bassins versants par les comités de bassin et Agences de l’eau à travers les Sdages. Seulement la moitié des sous-bassins versants sont actuellement couverts par un Sage . La cour recommande leur élaboration d’ici 2024 dans chaque sous-bassin versant.
Selon le « plan eau d’ici à 2027 chaque sous-bassin versant sera doté d’une instance de dialogue (Commission locale de l’eau-la CLE qui regroupe collectivités locales, usagers et administrations)) et d’un projet politique de territoire organisant le partage et les priorités d’usage de la ressource.
La Cour prône le renforcement du rôle des Commissions de l’eau, lieu de concertation, dont le rôle ’essentiel est l’élaboration des d’élaborer les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) - Pour assurer la cohérence entre la politique de l’eau et les autres politiques, la constitution de commissions locales de l’eau devrait être généralisée dans tous les sous-bassins hydrographiques et leur saisine pour avis sur les documents d’urbanisme et de développement économique devrait être « systématique ».
« La gestion quantitative de l’eau, prise sous l’angle de la rareté de la
ressource, est devenue une préoccupation majeure ».dit la Cour. La politique de l’eau jusqu’à aujourd’hui a consisté essentiellement à « organiser sa répartition entre les différents usagers » « elle doit désormais devenir une politique de protection d’un bien commun essentiel ». Et un bien commun doit faire l’objet d’une gestion publique, citoyenne, solidaire et écologique.
Dans sa réponse à la Cour la première ministre admet que le système est « perfectible » qu’elle partage son constat sur la nécessité de consolider la gouvernance territoriale de l’eau à l’échelle des bassins versants. C’est indispensable et urgent. A défaut d’une gestion de l’eau qui fasse sens, au niveau territorial, tant qualitative que quantitative, collective, consensuelle , l’eau sera en France un théâtre d’affrontement entre des personnes qui ne partagent pas les mêmes valeurs. C’est déjà le cas : Notre Dame des Landes impliquait une zone humide, le barrage de Sivens où Rémi Fraisse a trouvé la mort
https://ecologie58.blog4ever.com/lvnac-barrage-de-sivens et aujourd’hui les bassines impliquent l’irrigation agricole….Le réchauffement climatique est un facteur d’aggravation de ce risque en raison de la diminution de la ressource disponible en période estivale et de l’augmentation de besoins fondamentaux à satisfaire.
J. Thévenot
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plan eau
https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-gestion-quantitative-de-leau-en-periode-de-changement-climatique rapport de la Cour des comptes
https://ecologie58.blog4ever.com/irrigation-stockage-de-l-eau-bonne-solution-ou-fuite-en-avant-1
https://www.nievre.gouv.fr/contenu/telechargement/14982/128471/file/plaquette-eauVF-1.pdf plan de résilience eau pour la Nièvre (2023-2024)
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