Irrigation-stockage de l'eau. bonne solution ou fuite en avant
Irrigation- stockage de l’eau. Bonne solution ou fuite en avant ?
« on ne va pas regarder la pluie tomber du ciel pendant six mois et la chercher les six autres mois . Nous devons construire des retenues d’eau ». Ce sont les propos du ministre de l’agriculture tenus fin août en pleine sècheresse, accompagnés de l’annonce du » déblocage » d’ici 2022 de 60 retenues ( qui se concentreraient dans le grand Sud-Ouest (bassin Adour Garonne), les reste au sud de la Loire et à l’st du Rhône) afin de mieux gérer l’irrigation des terres agricoles. En clair stocker l’eau l’hiver pour éviter les prélèvements en période sèche. A première vue c’est une idée . qui semble pleine de bon sens mais au final elle paraît être une fausse bonne solution. ….
De quoi parle le ministre ?
Il s’agirait de « retenues collinaires ». Au sens strict une retenue collinaire est une réserve artificielle d’eau, en fond de terrains vallonnés fermée par une ou plusieurs digues qui se remplit par ruissellement des eaux de surface (y compris les eaux de drainage ou de fossés). Mais des retenues qualifiées de collinaires peuvent tout aussi bien être alimentées par pompage dans un cours d’eau voire par barrage de son lit mineur.
Ce que le ministre a oublié de préciser c’est que ces autorisations de nouvelles retenues s’ajouteraient à des centaines d’autres déjà existantes ou en projet (87 bassines en Poitou Charente) d’un autre genre les retenues de substitution qui sont de grands réservoirs composés de quatre remblais étanchéifiés avec des bâches (d’où leur coût élevé), alimentées essentiellement par pompage dans une nappe souterraine (ce qui les différencient des retenues collinaires alimentées par les eaux de surface) et aussi parfois par une rivière. Elles sont dites de substitution car elles viennent en remplacement de prélèvement estival ce qui n’est pas le cas des retenues collinaires. Elles sont plus récentes et se sont développées en Vendée, Poitou Charente en raison des sols calcaires trop perméables ; qualifiées de « bassines » par les écologistes des projets identiques sont aussi à l’étude en Bretagne et dans le Centre….).
Ces projets soulèvent de plus en plus d’opposition et sont régulièrement attaqués devant les tribunaux administratifs par les associations de défense de l’environnement au regard des insuffisances des dossiers : surdimensionnement des ouvrages, insuffisance de l’étude d’impact, destruction de milieu naturel notamment les zones humides, mesures compensatoires dérisoires etc… mais aussi pour des raisons de fond : dans le contexte du changement climatique il faut s’attendre à une diminution des précipitations estivales associées à des épisodes caniculaires. Il ne s’agit donc pas de construire indéfiniment de nouvelles réserves de stockage d’eau à seule fin que les irrigants continuent de bénéficier de prélèvements d’eau sans tenir compte de leur compatibilité avec les capacités en ressources en eau des milieux naturels la non dégradation de leur qualité et la préservation de leur biodiversité.
- Et y compris sans autorisation ! comme dans le cas de la retenue de Caussade (dénommée « lac ») sur la commune de Pinel Hauterive (Lot et Garonne) de 920000m3 (245 piscines olympiques) sur 20 ha au bénéfice d’une vingtaine d’exploitations agricoles. Au passage massacre d’un affluent de la Garonne, le Tolzac, et destruction d’espèces protégées et de leurs habitats. Et avec les moyens financiers de la chambre d’agriculture qui reçoit d’importants financements publics. Après la décision du tribunal administratif de Bordeaux déclarant illégale cette construction, on attend sa destruction et la remise en état du site.
- Faut-il rappeler le projet du barrage de Sivens sur le cours du Tescou, affluent du Tarn-1,5 millions de M3 avec destruction de 12 ha de zone humide. La mort de Rémi Fraisse le 26 octobre 2014, l’annulation par le TA de Toulouse de tous les arrêtés d’autorisation notamment la déclaration d’utilité publique. Là encore ce barrage ne devait bénéficier qu’à une trentaine d’exploitations pour l’irrigation de grandes cultures ( maïs et oléo-protéagineux) camouflée sous des justifications diverses (soutien d’étiage du Tescou, écrêtement des crues…). Il devait être financé à 100% par des fonds publics (Agence de l’eau, Europe, Conseils départementaux….). Et là aussi la politique du bulldozer avait marché à fond : le défrichement avait été lancé avant le rendu des expertises et des décisions de justice !
- Dans le bassin de la Sèvre Niortaise qui alimente le marais poitevin (la deuxième zone humide de France après la Camargue). 19 retenues à usage agricole sont programmées pour alimenter 230 exploitations (quinze dans les Deux-Sèvres, deux en Charente-Maritime et deux dans la Vienne).
Les impacts pour l’environnement d’une retenue ne doivent pas être analysés isolément mais au niveau du bassin versant. Par exemple le barrage illégal de Caussade est venu s’ajouter à 700 retenues déjà existantes sur le bassin du Tolzac qui est déficitaire en eau ! aucune nouvelle retenue ne devrait être autorisée sans une étude sérieuse des effets cumulés de toutes les retenues déjà existantes, sur le fonctionnement du bassin versant et de son cours d’eau.
Si ces retenues peuvent permettre de faire face à une baisse saisonnière de la ressource en cas de sècheresses longues ou très sévères phénomène qui risque d’être de plus en plus fréquent elles amplifient leur durée et leur intensité en permettant le maintien d’un usage important de la ressource.
Les retenues accentuent les déséquilibres à l’aval . Nombre d’études montrent que ce sont les bassins versants les plus équipés en retenues qui connaissent les épisodes de sècheresse les plus longs et les plus sévères. Pour réduire la sècheresse agricole on intensifie la sècheresse sur l’ensemble du bassin versant.
C’est ce qui se passe en Adour Garonne malgré la multiplication du nombre des bassines depuis 25 ans ; en Charente chaque année les assecs de rivière s’aggravent.
Ces retenues ne conduisent pas à économiser l’eau :.
- les retenues collinaires ne remplacent pas un prélèvement estival ; il s’agit donc d’un nouveau prélèvement.
- les retenues de substitution : leur capacité peut être surdimensionnée par rapport à la superficie réellement irriguée et aux prélèvements antérieurs autorisés. Très souvent la réduction des prélèvements estivaux est moins importante que l’augmentation des prélèvements hivernaux ; cela aboutit en fait à un accroissement des prélèvements qui vont donc au-delà de la substitution.
Ces retenues donnent aux agriculteurs une fausse impression d’abondance et de sécurité. Elles permettent de contourner les restrictions d’arrosage puisque dans les arrêtés sècheresse qui limite les usages de l’eau les prélèvements pour l’irrigation agricole dans des retenues déconnectées du réseau hydrographique restent autorisés. Elles entraînent une dépendance à l’eau aux graves conséquences économiques en cas de pénurie, qui vont conduire le lobby agricole à exiger de nouvelles retenues…
Des M3 d’eau se volatilisent en pure perte par évaporation en raison du réchauffement des eaux.
Elles ont des impacts sur les milieux aquatiques
Sur la qualité de la ressource : Les bassines sont alimentées par une eau de qualité filtrée donc épurée à l’abri des pollutions aériennes qui mise en surface va se dégrader.
Les retenues collinaires réalisées en fond de vallée conduisent à la destruction de zones humides (cas de Sivens) très riches en biodiversité et régulateurs de l’hydrologie du cours d’eau. Ces milieux se comportent comme des éponges : elles stockent l’eau en temps de pluie et la restitue aux rivières en période de sècheresse. Leur disparition supprime des frayères, des zones de refuges pour certains poissons, entraînent la disparition d’espèces végétales et animales protégées.
Alors pourquoi détruire ces milieux pour construire des barrages au lieu de privilégier ce stockage naturel de l’eau ? Les impacts du pompage en nappe profonde ( retenue de substitution) en période hivernale ne sont pas anodins non plus même si l’eau est plus abondante ce n’est pas de l’eau en trop. Ces nappes ont besoin d’eau en hiver , elles alimentent par résurgence certaines rivières et des zones humides, donc le bon état des cours d’eau.
Ces retenues détournent les eaux libres de ruissellement et les eaux d’infiltration qui rechargent les cours d’eau et le nappes. Elles perturbent le cycle de l’eau.
Quant aux crues elles jouent un rôle fondamental dans le transport des sédiments, la morphologie des cours d’eau, le renouvellement des milieux, la reconnexion des zones humides, la reproduction d’espèces.
Le remplissage de ces ouvrages se fait « en période excédentaire ». Hormis les périodes de grandes crues cette période est mal cernée, de plus en pompant l’eau en hiver dans les nappes au moment même où elles se rechargent rien n’assure que les pluies de printemps seront suffisantes pour les remplir avant l’été. L’assèchement d’un nombre croissant de nos rivières est lié à cette impossibilité des nappes à se régénérer.
Ces retenues qui mobilisent des zones humides, des espaces agricoles et forestiers contribuent à l ‘artificialisation des sols.
Enfin l’expérience montre que ces retenues permettent au final l’extension de la culture du maïs bourré de pesticides et la plus exigeante en eau en période de sècheresse ! Elles incitent donc à la poursuite du modèle agricole calamiteux fondé sur la domination du maïs irrigué…
Le ministre a annoncé que ces nouvelles retenues se feraient dans le cadre de « projets de territoire » qui ont pour but de garantir une démarche concertée avec tous les usagers locaux.
Les sècheresses de ces dernières années soulèvent régulièrement de fortes controverses sociétales sur le partage de l’eau entre ses différents usagers. Des critiques remontent de plus en plus vers le modèle agricole français et ses besoins en eau (l’agriculture représente 50% des prélèvements annuels en eau mais 85% en période d’étiage).
Les retenues d’eau sont des rustines et des solutions dépassées et inacceptables en ce que leur coût est prohibitif, qu’elle conduisent à une privatisation de l’eau aux frais des contribuables ( de 50 à 70% de subventions publiques) au bénéfice d’une minorité d’agriculteurs.
Les seules solutions se trouvent essentiellement dans la préservation des zones humides et la régénération des sols afin qu’ils retrouvent leur capacité de retenir l’eau et d’atteindre les nappes profondes. Seule la préservation maximale du stockage naturel de l’eau et l’abandon de ces variétés de cultures exigeantes en eau en période de sècheresse peut permettre à l’agriculture de faire face aux périodes difficiles qui nous attendent. Cela implique un changement profond de notre système de culture.
Ce n’est pas la position du ministre de l’agriculture pour qui « l’agriculture sera résiliente si elle est irriguée ». Si les propos du ministère de la transition écologique sont plus mesurés il n’écarte pas les retenues d’eau….
Le stockage de l’eau ne peut en aucun cas représenter la politique d’adaptation de l’agriculture au changement climatique en raison de son impact environnemental et de son coût. Il doit rester exceptionnel pour quelques secteurs particuliers ( horticulture, maraîchage, arboriculture, semences…) et dans le autres cas envisagé en dernier ressort quand toutes les solutions d’économies d’eau et d’adaptation des cultures ont été utilisées.
Et au lieu de gaspiller l’argent public dans des réserves d’eau à terme inutiles l’Etat doit soutenir la transformation en profondeur de notre modèle agricole en aidant directement les agriculteurs qui s’engagent sur la voie d’une agriculture mieux adaptée à la sècheresse.
Il ne semble pas qu’il aille dans ce sens. Sous couvert d’un pseudo « bon sens paysan » prôné par le ministre de l’agriculture c’est bien d’une fuite en avant dont il s’agit, qui une fois de plus au regard de l’urgence de la situation nous conduit droit dans le mur.
A quand une politique de l’eau à la hauteur du défi à relever : assurer à tous l’accès à une eau en quantité suffisante et de qualité ?
J. Thevenot
Bassine
Retenue collinaire
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