Biodiversité-COP15 fin de trente années d'immobilisme mondial?
Biodiversité- COP 15 fin de trente années d’immobilisme mondial ?
La 15éme conférence des parties de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique s’est terminée sur un satisfécit général des participants (196 Etats) après 10 jours de discussion du 7 au 19 décembre et une nuit de marathon. Ils ont réussi à se mettre d’accord sur une feuille de route intitulée « cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020 ». Elle doit permettre d’enrayer d’ici 2030 la perte du vivant et de vivre à l’horizon 2050 « en harmonie avec la nature. Un accord qualifié d’historique largement mentionné cette fois dans les médias totalement silencieuses pendant son déroulement … tout occupées au sujet prioritaire du moment, la coupe mondiale de foot !
Une COP qui devait se tenir à Kunning en Chine en octobre 2020, reportée trois fois en raison du COVID et qui a fini par être délocalisée à Montréal au Canada. En l’absence des chefs d’Etat, (seulement des ministres ) et du président Xi Jinping l’organisateur qui faisait craindre une absence d’élan politique pour un accord à la hauteur de l’enjeu au regard de l’urgence de la situation et des échecs antérieurs.
Rappel : de COP en COP la biodiversité peut attendre….
C’est en 1992 qu’est signée à Rio la Convention sur la diversité biologique (la CBD). Dix ans plus tard, 2002, devant le peu d’avancées les Etats se dotent d’une feuille de route – conservation des espèces et des écosystèmes, leur utilisation durable et le partage équitable des ressources génétiques- Son bilan dressé en 2010 est nul.
Les Etats se ressaisissent à la COP 10 de la même année, au Japon à Nagoya. Ils adoptent
- le Protocole de Nagoya (entré en vigueur en 2014) qui vise la mise en œuvre du troisième objectif de la CDB: le partage juste et équitable des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques. Il s’agit de mettre fin au piratage des abondantes ressources génétiques des pays du Sud par des firmes étrangères (pharmaceutiques, cosmétiques…).
- Et une nouvelle feuille de route, à échéance de 2020, les objectifs d’Aichi (du nom de la préfecture de la ville hôte de la COP 10) qui listent une vingtaine de cibles à atteindre qualifiées à l’époque d’ambitieuses… . Seul problème elles n’étaient assorties d’aucune mesure contraignante, ni de modes d’engagement suffisants … Bilan de ce plan aucun objectif atteint dans les délais impartis. Une décennie de plus d’engagements pour le vivant non tenus.
https://www.cbd.int/gbo/gbo5/publication/gbo-5-fr. rapport 2020 de la CDB
https://ipbes.net/news/Media-Release-Global-Assessment-Fr rapport de l’IPBES 2019
Ce nouvel accord (dit Kunning-Montréal) avec l’adoption d’un programmes d’actions (encore un) pour enrayer (cette fois pour de bon avec des engagements sérieux) la perte de biodiversité sera-t-il le bon ?
Constitué de quatre grands objectifs à long terme (2050) : conservation des écosystèmes, leur utilisation durable, la répartition des bénéfices issus des ressources génétiques, les moyens de mise en œuvre il vise 23 cibles à atteindre d’ici à 2030 liées aux facteurs de la destruction de la biodiversité identifiés par l’IPBES : changement d’usage des terres et des mers, surexploitation des espèces, changement climatique, pollutions et espèces exotiques envahissantes.
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-40848-cadre--mondial-biodiversite.pdf
Parmi elles :
Atteindre 30% d’aires protégées, terrestres, marines, côtières et d’eau douce
au niveau mondial , non à l’échelle nationale. On est bien en dessous de ces chiffres actuellement avec 17% des terres protégées et 8% des mers.
Par ailleurs l’accord ne fixe aucun objectif qualificatif pour cette protection qui peut aller du niveau le plus strict au plus faible. A titre d’exemple la France qui se targue d’avoir déjà atteint les 30% d’aires maritimes protégées ; 2% bénéficient d’une protection de haut niveau 98% sont en protection faible, concrètement inexistante. Voir notre article :
https://ecologie58.blog4ever.com/sommet-mondial-de-l-ocean-1
60% des aires marines protégées en Europe subissent la pêche industrielle au chalut la technique la plus néfaste pour la biodiversité.
L’association BLOOM (protection de l’océan) accuse la France d’avoir « tué l’objectif » de mettre 10% des espaces marins sous protection stricte et de s’être opposé à l’adoption de critères précis de qualité de protection pour le reste. CF article
Réduire la perte des zones de forte importance pour la biodiversité à « près de zéro »
Une formulation qui laisse la porte ouverte à la continuation de la destruction de milieux naturels essentiels pour la biodiversité, (telles les zones humides) incompatible avec l’ambition d’inverser la perte de la biodiversité d’ici 2030 et avec l'accord ( Climat) signé à Glasgow sur la déforestation.
A rapprocher de la cible 4 relative à l’extinction des espèces liées aux activités humaines qui se contente d’en appeler à des « actions urgentes » sans plus de précision…
En outre, 30 % des écosystèmes terrestres et marins dégradés devront être restaurés et le taux d’introduction des espèces envahissantes devra diminuer de moitié avec un focus particulier sur les îles, où ces espèces sont particulièrement nocives. Rappelons que ces espèces introduites par l’humain (volontairement ou non) coûtent des milliards.
pollutions : réduction de moitié au moins l’excès de nutriments et le risque global posé par les pesticides et les produits chimiques dangereux
L’accord porte sur le risque et non sur l’usage des pesticides comme le demandait l’Union Européenne. Formulation jugée vague par les uns, défendue par d’autres car diminuer les quantités n’assure pas forcément la diminution du risque, dans le cas de pesticides très toxiques en petite quantité (exemple. des néonicotinoïdes).On peut aussi se réjouir que le mot pesticides figure dans l’accord beaucoup de pays y étaient opposés ! Reste le problème des indicateurs à prendre en compte pour évaluer le risque dont dépend le contrôle des progrès réalisés. Le cadre retient différents indicateurs mais ce sera à chaque pays d’établir le sien propre.
Veiller à une gestion durable dans les secteurs de l’ aquaculture, la pêche, la foresterie et l’agriculture
En agriculture l’agroécologie est mentionnée comme moyen d’y parvenir mais aussi l’intensification durable…ou « d’autres approches innovantes » sans donner de critères précis. Alors que l’IPBES pointe le changement d’usage des terres comme première cause de perte de biodiversité, aucun cap n’est donné pour réorienter les trajectoires de développement du système agroalimentaire qui actuellement privilégie une productivité à court terme incompatible avec une viabilité à long terme et une adaptation aux changements climatiques.
Aucune cible n’aborde la problématique élevage et la nécessité de diminuer l’alimentation carnée (rapports GIEC et IPBES)
Aucune mention non plus de la pêche industrielle première cause de destruction des écosystèmes marins
Les Etats doivent prendre des mesures pour encourager et permettre aux entreprises et institutions financières d’évaluer et de rendre publics leurs risques et impacts sur la biodiversité Donc ni règlementation pour les entreprises, ni aucun objectif sur la réduction de l’empreinte écologique des systèmes productifs
Financements (privés, publics) de la biodiversité : 200Md$/an devront être trouvés d’ici à 2030.L’aide aux pays en développement pour leur donner les moyens nécessaires à la mise en œuvre du cadre mondial doit être portée à au moins 20Md$/an d’ici à 2025 ( contre 10 milliards en 2020) et 30Md$ d’ici 2030.
La gestion de ces fonds se fera via le « Fonds pour l’environnement mondial » alors que les pays du Sud demandaient la création d’un fonds propre dédié à la biodiversité, jugeant le fonctionnement du FEM très déficient pour les pays les moins développés. La solution approuvée est la création d’un fonds dédié au sein du FEM. Quant au montant une coalition du Sud demandait 100 milliards d’ici 2030 (autant que pour le climat).
Les subventions néfastes à la biodiversité devront être identifiées par chaque pays d’ici 2025 et réduites de 500 milliards de dollars d’ici 2030.
Une cible qui sera difficile à mettre en œuvre sans une forte volonté politique car elle touche notamment aux aides pour l’agriculture conventionnelle et la pêche. Cette cible figurait déjà dans les objectifs d’Aïchi, il y a eu zéro progrès en dix 10 ans
Mise en œuvre des objectifs: l’échec des objectifs d’Aïchi s’explique pour une large part par l’absence de cadre de suivi. Les Etats s’engagent cette fois à publier leurs plans biodiversité d’ici à la COP de 2016 (en Turquie en 2024 ) qui doivent être suivis pour une éventuelle révision si les pays ne sont pas sur la bonne trajectoire. Un bilan mondial est prévu pour la COP17 (2026) pour évaluer les progrès accomplis. II appartient donc aux Etats de rédiger ou d’actualiser leurs stratégies nationales biodiversité et de mettre en place les règlementations nécessaires. Le ministre de l’écologie a annoncé la révision de notre SNB pour début 2023.
Peuples autochtones ils sont garants de 80% de la biodiversité mondiale. Leurs droits, leur savoir ancestral et leurs contributions majeures en tant que gardiens de la nature sont reconnus.
Ils eut été miraculeux qu’un accord au niveau mondial, qui repose donc sur le consensus de près de 200 Etats , soit assez ambitieux pour répondre pleinement au défi à relever. Mais celui qui vient d’être signé en dépit de ses insuffisances ( caractère non contraignant, imprécision de plusieurs objectifs…) marque quelques avancées qui font enfin sortir la biodiversité de son statut de parent pauvre des négociations internationales. Mais ne nous y trompons pas il va falloir avoir les gouvernements à l’œil, comme pour l’accord sur le climat, pour sa mise en œuvre. Elle requiert prioritairement un engagement politique de grande ampleur pour une prise en compte de la préservation de la biodiversité dans tous les domaines : économie,agriculture,transports, urbanisation. Mais aussi son indissociation avec le climat. Inlassablement les scientifiques décrivent le cercle vicieux, plus les températures augmentent plus certaines espèces et milieux sont fragilisés et affectent à leur tour les cycles du carbone et de l’eau ce qui accélère le changement climatique. La lutte climat/biodiversité doit être conjointe. On ne peut donc que regretter que l’’accord de Montréal reste muet sur le nécessaire rapprochement des Conventions climat et biodiversité.
Le succès des engagements de la COP 15 reposera sur leur appropriation par les acteurs de la biodiversité, acteurs économiques, collectivités, associations, scientifiques, opinion publique (citoyens). Une mobilisation indispensable face à l’inertie du monde économique et des politiques publiques, pour que cette convention devienne une référence dans les luttes stratégiques en faveur des changements pour la biodiversité.
J. Thévenot
anguille d'Europe en danger de disparition: surpêche, braconnage, obstacles à sa migration, pollution des eaux...
éléphant d'Asie: destruction de leurs habitats, chasse, domestication....
Parmi tant d'autres.....
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