Sale temps pour les grands cormorans
Sale temps pour les grands cormorans Phalacrocorax carbo sinensis
Eh ! oui encore une espèce protégée qu’on s’apprête à continuer de massacrer sur tout le territoire national car elle poserait problème ; il n’est pas question de nier que la coexistence animal sauvage / homme n’est pas toujours simple. Ici le problème c’est que les cormorans se nourrissent de poissons … ils sont accusés de piller nos rivières et de faire concurrence à la pêche de loisir, et par ailleurs de s’attaquer aux poissons élevés par l’homme causant des pertes économiques importantes pour les professionnels de la pêche. Certains demandent ni plus ni moins son éradication…en commençant par son déclassement, le considérant comme une espèce exotique invasive ce qui est stupide s’agissant d’une espèce migratrice !.
« La solution » mise en place par la France ( dès 1992) contre cette espèce protégée classée ennemi numéro un des pêcheurs n’étonnera personne, c’est la fameuse « régulation » des populations par voie de tirs sur la base de quotas. Année après année les autorisations de tirs sont délivrées par les préfets sans état d’âme ni questionnement superflu sur l’efficacité de cette solution radicale et de court terme qui s’applique sur la totalité d’un département et sans que soit évidemment exigé ni la mise en œuvre de solutions de protection lorsque c’est possible, ni une évaluation rigoureuse des dommages.
La justification de ces destructions est « de prévenir des dommages importants aux piscicultures en étang ou la dégradation des habitats naturels que ces dernières peuvent contribuer à entretenir et de prévenir les risques qu’une prédation trop importante des cormorans feraient courir aux espèces protégées vivant en eaux libres et à celles dont l’état de conservation serait défavorable ».
Autant dire que les demandes de dérogation sont aisément obtenues ces justifications étant de pure forme en raison de leur manque de précision sur les cas de dérogation (notion de dommages sérieux, de prédation trop importante) et le mode d’évaluation des dommages ainsi que l’absence d’obligation de fournir des bilans sur l’efficacité des campagnes de destruction précédentes.
Destructions programmées pour la période 2016-2019 du grand cormoran continental Phalacrocorax carbo sinensis, qui hiverne à peu près partout en France à l’intérieur des terres, dès lors qu’il trouve gîte et couvert.
N’est pas concernée la sous espèce nicheuse, totalement protégée, Phalacrocorax carbo carbo qui vit près des côtes (le nom de cormoran vient de « corbeau marin ou corbeau des mers). Elle compte environ 2100 couples répartis sur 7 départements de la Somme au Morbihan et ne pose pas de problème particulier compte-tenu de la faible progression de ses effectifs.
A noter que Carbo sinensis est devenu exceptionnellement nicheur à l’intérieur des terres (ler cas en Loire atlantique sur le lac de Grand-lieu en 1981). Sa population de 7248 couples répartis dans 43 départements reste très limitée. Les effectifs de la France sont donc essentiellement des hivernants, qui retournent nicher au printemps dans les pays nordiques. La France est le pays le plus important pour l’hivernage, elle est aussi une étape migratoire pour les cormorans qui hivernent dans la péninsule ibérique.
Il n’y a pas de nicheurs en Nièvre en revanche la Côte d’Or héberge une colonie de 102 couples (chiffre 2014-2015 soit une progression de 107% par rapport au recensement précédent).
Le Ministère de l’écologie vient de soumettre à consultation publique un projet d’arrêté permettant pour 3 ans la destruction de l’espèce continentale. Il fixe un plafond national des destructions et un quota global pour chaque département réparti en quota annuel pour les demandes piscicultures et les demandes eaux libres. Environ 100000 cormorans viennent chaque année hiverner chez nous. L’arrêté ministériel prévoit un quota annuel de 50000 individus soit la destruction sur notre territoire chaque année de la moitié des effectifs !
En Nièvre pour la période 2016-2019 le quota attribué est de 3000 ( 1800 pour les piscicultures et eaux closes (étangs) et 1200 pour les eaux libres (à savoir la Loire et l’Allier). Ce qui porte le quota annuel à 1000 individus.
Ce chiffre est également inadmissible puisque l’effectif annuel moyen dans notre département est de 976 individus, on autoriserait donc à tuer pendant les trois années qui viennent la totalité des cormorans hivernants de la Nièvre ! dans une étude de la SOBA « Recensement des dortoirs de grands cormorans hiver 2010-2011 » on lit qu’à cette époque le quota était déjà de 1000 oiseaux sur 1100 estimés !
Il est donc clair que le compteur préfectoral nivernais est bloqué sur le chiffre 1000, quel que soit le nombre d’hivernants et sans que l’on connaisse ni leur réel impact économique sur les piscicultures et les étangs du département ni leur réel impact sur les poissons « protégés » de Loire et de l’Allier !.
Accuser globalement et sans nuance le cormoran de la diminution des poissons dans nos rivières est une plaisanterie ; il est plus facile de tuer à l’aveugle des boucs émissaires que de lutter contre l’eutrophisation et la pollution des eaux de nos cours d’eau par les pesticides et les nitrates ! Faut –il rappeler les véritables catastrophes écologiques que représentent les lâchers d’espèces exogènes tels le silure, la perche soleil, les poissons d’élevage qui entraînent une pollution génétique.. Sans oublier la disparition de 90% de nos zones les plus poissonneuses à savoir les zones humides et l’irrigation ….
Le grand cormoran prélève en France moins de 1% du stock continental de poissons et surtout des cyprinidés de faible valeur halieutique et de préférence les poissons faciles à capturer donc abondants et affaiblis. Ils ne sont qu’accidentellement présents sur les petits cours d’eau, ils sont essentiellement dans les grandes vallées (Loire Allier chez nous, Rhône, Rhin, Saône etc…).
Dans les consultations publiques les fédérations de pêche, les propriétaires d’étangs ne cessent d’affirmer péremptoirement que le nombre de cormorans augmente d’année en année. Ce que contredit « le dernier recensement national des grands cormorans hivernant en France durant l’hiver 2014-2015/ rapport Loïc MARION », les effectifs diminuent.
Pour la Nièvre (toujours dans le même rapport) le nombre de cormorans est parfaitement stable avec en janvier 2013 et janvier 2015 le chiffre maximum de 957 et 801 (minimum). Le nombre de dortoirs est passé de 18 à 16 . Le comptage des cormorans est effectué dans notre département par la LPO 58 depuis 1972, ce qui est un gage de sérieux quant à la méthode.
Ces massacres généralisés font-ils baisser le nombre de cormorans hivernants? le rapport précité mentionne « que la baisse des effectifs ou leur stabilité a été plus importante dans les départements sans tir que dans les départements tirés » « De même le nombre d’oiseaux tués n’a aucune influence sur l’évolution des effectifs départementaux comme c’est le cas depuis le début des tirs en France (1992), même si les tirs ont un effet à court terme sur le déplacement des oiseaux et à long terme sur l’éclatement des dortoirs » « Tous ces résultats montrent de nouveau que l’évolution des effectifs d’un recensement à l’autre ne dépend nullement des tirs mais de facteurs naturels comportementaux en relation avec les paramètres biologiques (succès reproducteur sur les colonies, choix des routes de migration et des sites d’hivernage, compétition intra-spécifique, survie naturelle…) et les facteurs de l’environnement (ressources alimentaires notamment), probablement à plusieurs niveaux d’échelle (locale, régionale, nationale, européenne) ».
Par ailleurs les observations sur des oiseaux bagués montrent que les cormorans ne sont pas fidèles à leur sites d’hivernage, d’où des échanges entre régions durant un même hiver notamment des immatures qui viennent occuper les places laissées vacantes du fait des tirs ou de la mortalité naturelle ce qui renforce l’inefficacité des tirs dans la régulation des effectifs locaux.
Le grand cormoran continental européen revient de loin
Pourchassé à grande échelle au 19ème siècle en tant que concurrent des pêcheurs il a disparu de certains pays ; quelques milliers d’individus ont pu se maintenir aux Pays Bas, en Allemagne, en Pologne. Les persécutions qui ont repris au début du 20ème siècle aggravées par une détérioration des ressources dues à la pollution des eaux conduiront à une situation très critique de cette espèce. En 1965 les hollandais décident de la protéger. La communauté européenne suivra en inscrivant l’espèce carbo sinensis dans l’annexe 1 de la directive « oiseaux » de 1979 qui lui assurait une protection totale sur tout le territoire européen. Cette protection permettra une rapide progression des effectifs nicheurs en Europe du Nord qui se répercutera évidemment sur le nombre d’hivernants dans les pays qui ont peu de nicheurs notamment en France (le pic des effectifs sera atteint en 2005) mais aussi en Italie, Suisse, Belgique. …
Outre cette protection les cormorans ont trouvé de nouveaux milieux favorables pour hiverner , multiplication des plans d’eau, gravières et sablières en bordure des fleuves, empoissonnement pour la pêche de loisir…..
Rapidement surgira le conflit entre cormoran et activités de pêche qui conduira l’’Europe à sortir l’espèce de l’annexe I de la Directive oiseaux et à autoriser les Etats à prendre des mesures de régulation du grand cormoran continental d’abord sur les pêcheries dès 1992 et ensuite sur les eaux libres en 1997. La France mettra immédiatement en application ces nouvelles mesures. Le grand cormoran Sinensis n’a pas pour autant été inscrite dans l’annexe II des espèces chassables, il reste une espèce protégée les tirs ne peuvent intervenir que par dérogation du Ministère de l’environnement et pendant la période se déroulant de l’ouverture de la chasse au gibier d’eau jusqu’à la fermeture de la chasse.
Les pays européens régulent peu ou prou les cormorans mais sans véritable harmonisation, les approches étant différentes d’un pays à l’autre. Aucun n’applique une telle planification sans nuance ni justifications.
En 2008 le parlement européen a adopté une résolution pour un plan européen de gestion des cormorans. Dans le cadre du projet CorMan lancé par la Commission a été effectué un recensement européen des grands cormorans nicheurs et hivernants et ont été menés des travaux sur les interactions cormorans, ressources halieutiques et activités de pêche. Le rapport que l’on trouve sur http://ec.europa.eu/environment/nature/cormorants/home_en.htm en anglais.. conclut aux possibles impacts locaux mais souligne que les études n’apportent aucun élément de preuve concernant l’incidence qu’ils auraient sur les stocks halieutiques au niveau national et international.
En conclusion :
La méthode radicale de tuer des oiseaux, qui plus est protégés, est sur le plan strictement « éthique » intolérable.
La régulation par le prélèvement d’œufs dans les colonies serait la méthode recevable, avec les difficultés qu’elle peut poser quant à sa mise en œuvre laquelle ne dépend pas de la France pays d’hivernants et de passage Le problème cormoran ne peut être abordé quant à sa cause, que sous l’aspect européen puisque sa reproduction a lieu hors de France.
Reste nombre de questions sur cette « gestion » à la française du problème cormoran , scandaleuse et inefficace, rapidement énumérées ici.
- la reconduction indéfinie des campagnes de tirs montre leur inefficacité et sous couvert d’une soi-disant « régulation », il s’agit uniquement d’une protection contre les dégâts des oiseaux. Cette politique n’a qu’un but répondre au mécontentement des acteurs de la pêche et surtout à ceux qui crient le plus fort et sont le mieux organisés en fédérations et associations pour se faire entendre des pouvoirs publics à savoir les pêcheurs de loisir. Avec pour résultat des autorisations importantes de tirs sur les eaux libres alors qu’à l’origine l’objectif de ces tirs était la protection des piscicultures extensives où la forte concentration de poissons peut entraîner une prédation importante des cormorans. En revanche de nombreuses études ont montré que celle-ci n’affecte pas de façon significative le potentiel piscicole des milieux naturels.
- les tirs en eaux libres, est une aberration. Le cormoran n’est pas une espèce exotique envahissante , il a toute sa place dans nos écosystèmes aquatiques et n’a pas à être tué sous prétexte qu’il est une espèce prédatrice d’autres espèces protégées. Avec un tel raisonnement notre biodiversité déjà en si mauvais état serait réduite à néant, sans compter qu’il n’y a aucune étude qui démontre chaque année la responsabilité du cormoran dans la diminution des espèces patrimoniales. Ces tirs n’ont qu’un but permettre d’atteindre des quotas fixés au plus haut que ne peuvent pas être réalisés par les seuls pisciculteurs et donner satisfaction aux pêcheurs qui ne supportent pas la présence d’autres prédateurs….et qui n’apprécient pas que des oiseaux profitent de l’argent qu’ils mettent chaque année pour leur loisir (dont à notre avis le gaspillage chaque année des « truites portions » qui ne font jamais souche déversées en grande quantité dans les cours d’eau à la veille de l’ouverture de la pêche…)
En outre ces tirs, lorsqu’ils dispersent les cormorans sur les étangs et piscicultures comme c’est le cas des tirs sur les dortoirs de Loire et de l’Allier vont à l’encontre de leur objectif premier.!
- le système de quotas établi au départ pour protéger les étangs de pisciculture extensive est appliqué maintenant à l’ensemble du territoire. Ce système est centralisé à outrance c’est l’Etat qui décide des quotas au niveau national puis départemental, à partir d’un recensement national utilisé comme outil de gestion, comme si la problématique cormoran pouvait se régler de façon univoque et théorique à coup de réalisation de nombre de destructions octroyées.
- la méconnaissance des dégâts réels faute d’études scientifiques facilement remplacées par les plaintes des pêcheurs et pisciculteurs et les déclarations faites lors des demandes de dérogation. La prudence face à leurs discours catastrophiques s’impose. D’abord parce que l’impact réel de la prédation sur les étangs est très difficile à quantifier ; les variations annuelles de production sont importantes hors toute prédation et il est facile d’imputer aux cormorans toute baisse de production.
Ensuite parce qu’évidemment exagérer les dégâts permet de réclamer des destructions importantes voir la destruction totale de ces « nuisibles ».
Le gros argument est la quantité de poisson journalière ingérée par le cormoran de 300 à 450 grammes, un chiffre brut répété sans fin pour dénoncer sa nocivité et qui n’a pas grande signification si les espèces piscicoles concernées sont sans intérêt tel le poisson chat….dont on il serait le met principal (auquel cas le cormoran rendrait service !).
Si le cormoran épuisait comme on le prétend toutes les ressources de nos rivières comment sa population pourrait-elle se maintenir ?
- Les dégâts aux piscicultures ne sont pas inéluctables, des méthodes de protection existent, effarouchement par diffusion de cris de détresse, pose d’obstacle (filets, fils), refuges pour poissons, protection des abords grâce à la végétation. Il est scandaleux de penser qu’on puisse tuer des cormorans pour protéger des étangs parfaits pour la technique de pêche en groupe de cet oiseau, du genre baignoire, sans aucune végétation et dépourvus de tout abri pour le poisson. Une gestion écologique des étangs est de nature à limiter la prédation du cormoran.
Il ne s’agit pas de nier que la pression du cormoran sur les populations piscicoles puisse être critique sur certains secteurs et justifier de tenter de l’alléger, cas dans les départements piscicoles (Dombes, Brenne, Forez...) ce qui n’est pas le cas de la Nièvre), et les rivières qui recèlent des poissons de haute valeur patrimoniale.
Mais le système français avec son recensement national qui sert uniquement à déterminer des quotas de tir par département, ne conduit pas à prendre des décisions en fonction de la dynamique de la population (puisqu’on augmente les quotas alors que effectifs diminuent ou sont stables) ni à traiter les problèmes au cas par cas en fonction de la situation réelle.
Il est peu probable que la France renonce à ce mode administratif de gestion du cormoran…tant le principe de la destruction est acquis et un dialogue constructif naturalistes, scientifiques et pêcheurs absent.
La question des dommages dus au grand cormoran est sans doute insoluble. L’impact existe mais il n’a jamais été démontré qu’il soit préjudiciable à l’activité de la pêche ou à la survie d’une espèce.
Alors revenons à la nature. Dans quelques semaines le Cormoran va commencer à arriver chez nous, durant quelques mois nous aurons tout loisir pour observer ce bel oiseau.
J. Thevenot
T'as de beaux yeux tu sais.....
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