Autoroute A69 -stop and go
Autoroute 69 : stop and go !
→ Le 27 février le Tribunal administratif de Toulouse saisi par des associations environnementales annulait les autorisations préfectorales (mars 2023) autorisant les projets d’autoroute A 69 (Castres-Toulouse 53 Km) et d’élargissement de l’A680, décision qui a conduit à la suspension immédiate du chantier.
Le tribunal a jugé que ces projets en raison de leurs bénéfices limités pour le territoire et ses habitants ne répondaient pas à « une raison impérative d’intérêt public majeur » l’une des conditions posée par l’article L411-2 du code de l’environnement sur les espèces protégées et leurs habitats pour justifier des autorisations environnementales qui leur portent atteinte. Il a écarté comme insuffisants les arguments des préfets : désenclavement du territoire, amélioration de la sécurité, intérêts pour les usagers (gain de 20 minutes sur le trajet, prix du péage élevé).
Ces projets impactaient cinq spécimens d’espèces végétales protégées et 157 spécimens d’espèces animales ( dégradation de leurs sites de repos, destruction de leurs sites de reproduction).
S’ajoutent 224 arbres abattus, destruction de zones humides soit disant compensés… et 400 ha de terres agricoles artificialisés.
https://www.leclubdesjuristes.com/wp-content/uploads/2025/02/Jugement-
→ Saisie de la Cour d’appel de Toulouse. L’Etat et les sociétés bénéficiaires des autorisations annulées ont immédiatement interjeté appel devant la Cour d’appel et dans l’attente de sa décision qui demandera plusieurs mois fait une demande de sursis à exécution des jugements du tribunal administratif.
A ce stade la Cour ne se prononce pas sur la légalité des autorisations. Elle se doit de vérifier que deux conditions sont remplies pour que soit prononcé le sursis à exécution : si l’exécution de la décision du tribunal administratif attaquée risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens invoqués dans la requête contestant la régularité du jugement porté en appel paraissent sérieux. Sans se prononcer sur le respectt de la première condition, la Cour a prononcé le sursis le 28 mai, donnant ainsi le feu vert pour la reprise temporaire des travaux jusqu’à ce qu’elle se prononce sur le fond du dossier ( la raison impérative d’intérêt public majeur de l’A69).
Même si des opposants faisaient appel de cette décision de la Cour auprès du Conseil d’État, ce pourvoi ne sera pas suspensif et n’empêchera donc pas la reprise des travaux.
→ Autre rebondissement : validation définitive et rétroactive de la construction de l’A 69 par la loi? Pour éviter un nouvel arrêt des travaux deux sénateurs et deux députés du Tarn ont déposé, sans attendre les décisions de la Cour d’appel, une proposition de loi sur mesure visant à valider rétroactivement les autorisations environnementales de la construction de l’A69 annulées par le Tribunal administratif en lui reconnaissant par la loi une raison impérative d’intérêt majeur ..
Adoptée au Sénat ( 252 pour, 33 contre) le 15 mai elle est arrivée devant l’Assemblée nationale le 2 juin qui l’a rejetée à l’unanimité avant tout examen….avec le même scénario que la loi Duplomb (cf notre article : https://ecologie58.blog4ever.com/agriculture-proposition-de-loi-duplomb-1
Une motion de rejet préalable de LFI contre cette proposition de loi votée par ceux qui la soutiennent…avec sans examen par l’Assemblée nationale, renvoi en Commission paritaire avec la certitude qu’elle sera adoptée.…Résultat du vote 176 voix pour, 0 contre !
La commission mixte paritaire a approuvé le 25 juin cette loi de validation. Le texte va retourner au Sénat pour ratification puis à l’Assemblée nationale (sans débat).
On ne peut que s’inquiéter de voir des parlementaires utiliser une loi de validation pour contourner une décision de justice » alors que dans notre droit les instruments de contestation d’un jugement sont la requête en appel puis le pourvoi en cassation. D’autre part, toujours au nom de la séparation des pouvoirs, il est tout aussi inquiétant qu’elle soit utilisée pour influer sur le cours d’une procédure juridictionnelle déjà engagée avant son vote puisqu’il est intervenu avant que la Cour d’appel ne statue sur la requête en sursis d’exécution et la requête en appel de l’Etat.
Cette loi de validation sur un projet si important est une première. Ce type de loi porte généralement sur des décisions administratives entachées d’irrégularités procédurales (tarifs de péage, pensions de retraite, concours de la fonction publique…).
Reste la question de la fragilité juridique de cette loi une fois votée :
→ il est fort probable que des parlementaires saisiront avant sa promulgation le Conseil Constitutionnel. Il exerce un contrôle étroit sur ces lois qui invalident les effets d’une décision de justice en raison de l’atteinte possible à la séparation des pouvoirs, en exigeant entre autre qu’elles reposent sur « un motif impérieux d’intérêt général ». On voit mal quel motif justifierait de ne pas attendre le jugement au fond de la Cour d’appel dès lors qu’elle a accordé le sursis à exécution.
→ Cette loi contreviendrait à la Directive « Habitats »: « la raison impérative d’intérêt public majeur » n’est pas la seule condition pour qu’une dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats soit légale il en faut deux autres qui soulèvent de sérieux doutes dans ce dossier : « l’absence de solution alternative satisfaisante » et « le maintien dans un état de conservation favorable des espèces dans leur aire de répartition naturelle »
→ Elle contreviendrait à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui consacre le droit de toute personne à un procès équitable (possibilité de recours). Inscrite dans la loi l’existence de la raison impérative d’intérêt public majeur de l’A 69 s’imposerait au juge. L’autorisation environnementale ne pourrait plus être contestée sur ce motif par des opposants.
Au-delà de cet imbroglio juridique et législatif reste la question de l’ autorisation d’un tel projet auto-routier donnée au nom du code de l’environnement en 2023 au regard de ses conséquences sur des préoccupations aujourd’hui majeures, lutte contre le changement climatique, objectifs de zéro perte nette de biodiversité et zéro artificialisation….Un projet déclaré « anachronique »… au regard de ces enjeux par l’Autorité environnementale qui avait par ailleurs émis des réserves à l’égard de l’évaluation environnementale de ce projet ancien qui n’avait pas été réactualisée
L’ autorisation obligeait aussi le Préfet à saisir le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) puisqu’il y avait demande de dérogation à la destruction d’espèces protégées. Mais en l’état du droit, les avis de ces deux instances ne sont que consultatifs le préfet n’est donc pas tenu de les suivre, ce qu’il a fait alors que le CNPN avait également rendu un avis défavorable s’agissant de l’intérêt public majeur https://www.avis-biodiversite.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2022-03-13a-00417_elargissement_a680_verfeil_31.pdf
→ Un projet au long parcours :
- Approbation de principe de l’A69 par le ministre des transports en 1994….et maintenu contre vents et marées (lobbies : élus locaux, groupe pharmaceutique Fabre, poids lourd industrie de la région et soutien continu du gouvernement)
- Déclaration d’utilité publique en 2018 par décret (précédée d’une enquête publique) qui autorise les expropriations pour les acquisitions foncières nécessaires au projet.
- en 2019 le projet est reconnu comme prioritaire parmi les investissements de l’Etat en la matière (Loi d’orientation des mobilités –LOM).
- Mars 2023 autorisations préfectorales
- annulées par le Tribunal administratif de Toulouse en février 2025 après rejet du juge des référés de plusieurs demandes d’ associations de suspension des travaux. Pendant que se fait attendre la décision du juge, les travaux se sont poursuivis et à grand train… lancés en avril 2023 sitôt après les arrêtés d’autorisation (1er mars) la mise en service étant annoncée pour la fin 2025. A la date de l’annulation le chantier était déjà réalisé aux deux tiers. Les travaux vont donc reprendre avec l’espoir pour les pro A 69 qu’ils seront terminés d’ici au jugement de la Cour d’appel. Une confirmation de l’annulation des autorisations ( le sursis à exécution ne préjugeant en rien de la décision qui sera rendue au fond) devrait conduire au démantèlement des travaux et à une remise en état, scénario à leurs yeux inenvisageable, ce jugement deviendrait inutile….
Sans compter que l’Etat pourrait encore faire appel de cette décision devant le Conseil d’Etat ce qui repousserait encore la décision définitive.
L’A69 pourrait être une fois de plus un exemple du fait accompli au détriment du droit de l’environnement qui a pour objectif de lui éviter des atteintes graves et irréversibles.
Nombre de juristes prônent des modifications dans les procédures administratives et judiciaires concernant ces grands projets d’infrastructures, qui tout en garantissant la protection des intérêts fondamentaux de l’environnement limiteraient les risques juridiques et économiques ( arrêt des travaux) pesant sur les maîtres d’ouvrages, les acteurs engagés dans le projet et l’Etat.
- Concomitance entre la Déclaration d’utilité publique (qui ouvre le droit à l’expropriation) et celle de la reconnaissance de la Raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM).
La déclaration d’utilité publique (2018) qui intègre obligatoirement « une étude d’impact » a fait l’objet en 2021 d’un recours devant le Conseil d’Etat qui a confirmé sa validité.
L’autorisation environnementale fait l’objet d’une appréciation et d’un contrôle par le juge tout à fait indépendant de la DUP en application du droit de l’environnement. Le tribunal administratif a jugé que « l’utilité publique » du projet n’était pas de nature à caractériser l’existence d’une Raison impérative intérêt public majeur.
Le problème en outre est que les deux législations s’appliquent sur des séquences différentes, la déclaration d’utilité publique intervenant en amont de l’autorisation environnementale. Pour l’A69 à cinq années d’écart (2018 à 2023).
Il s’agirait d’organiser une enquête publique unique entre la DUP et l’autorisation environnementale
- Créer une procédure accélérée en matière d’autorisations environnementales et dérogations au titre des espèces protégées (juridiction spécialisée).
- Rendre les recours sur l’exécution des autorisations environnementales immédiatement suspensifs notamment lorsque les avis des instances consultatives sont défavorables, pour éviter que les promoteurs des projets créent des situations (et des impacts environnementaux) irréversibles pendant l’examen des recours. Dès l’autorisation environnementale obtenue le concessionnaire a commencé les travaux alors que des recours étaient déjà engagés.
Pour le moment le sort de l’A69 sera fixé par la Cour d’appel, voire le Conseil d’Etat…. Ce qui peut prendre encore plusieurs années….
J. Thévenot
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