Retournement des prairies permanentes
Retournement des prairies permanentes : opportunités et conséquences
Le retournement des prairies permanentes (PP) pose des problèmes environnementaux à court et moyen termes. Dans un premier temps libéralisation massive des éléments nutritifs par lessivage et ruissellement, puis l’ensemble complexe des fonctions et relations écologiques dans les milieux prairiaux est bouleversé que ce soit en terme de biodiversité, de qualité des sols, de gestion des eaux (infiltration, recharge des nappes souterraines, inondations, transpiration etc.)
Depuis 1992, la politique européenne soutenue par les responsables des Etats et la FNSEA a favorisé les aides aux céréaliers, distribuant les subventions aux plus nantis, faisant des éleveurs les destinataires oubliés des subventions. La culture sans bétail est avantageuse sans aucun doute. Cette politique a eu comme conséquence la perte de 2,4 millions d’hectares de PP en France. Une part importante de la SAU consacrée à l’autofourniture ou à l’autoconsommation a été réorientée vers les cultures destinées à être vendues en dehors de l’exploitation. La politique de prix élevé a stimulé cette production sans oublier la diminution de la main-d’œuvre disponible, l’amélioration des infrastructures et des conditions de transport, la mise en concurrence avec le marché commun et l’élargissement de l’UE. Ne pas oublier aussi la concentration des élevages hors-sol (voir article récent « Elevage industriel ») dans les zones proches des ports d’importation ayant accru la compétitivité et la demande en cultures de vente.
Les PAC 2007-2010 et 2010-2014 n’ont apporté aucun changement à cette tendance.
La nouvelle PAC 2015/2020 (budget :-50 milliards au total et -3% pour la France) présente notamment un chapitre dit de « verdissement », en découle une aide verte qui est optionnelle et conditionnée par 3 critères:
- diversité par l’assolement
- surface d’intérêt écologique (SIE) : le taux de SIE à 5% de la surface arable de chaque exploitation sera à respecter pour bénéficier du paiement vert. Cette surface concerne les haies, les bandes enherbées et les lisières boisées. Ces SIE entrent en 2015 dans les conditions d’éco-éligibilité pour bénéficier des aides PAC.
- maintien des prairies permanentes : obligation de désigner les prairies sensibles au sein des zones Natura 2000, possibilité de définir des zones hors Natura et interdiction stricte de les retourner.
En 2015 : définition d’un nouveau ratio de référence régional : surfaces de PP déclarées en 2012 + nouvelles surfaces déclarées en 2015 = un total divisé par la totalité des surfaces déclarées en 2015 ; en cas de diminution de plus de 5%, obligation de réimplanter.
En prévision de ce ratio sanctionné éventuellement, les demandes d’autorisation de retournements des prairies permanentes explosent littéralement dans la Nièvre.
Petit bémol à ce verdissement de la PAC : le Ministère de l’Agriculture a adressé le 17 novembre dernier un document à destination des syndicats : il n’y aura pas de sanctions en cas de non-respect des trois critères du verdissement pour 2015 et 2016.
A mon avis « Percevoir de l’argent public et refuser de se « plier » à ce qui, il y a quelques décennies était d’une logique certaine, paraît vraiment déplacé. »*
Caractéristiques des sols sous prairies
Les sols des prairies permanentes sont très différents des sols de culture. Ils se caractérisent par une couche superficielle très riche en matière organique ; cette dernière est composée de feuilles, racines mortes ou vivantes, autres débris végétaux et déjections. La végétation d’une prairie est ralentie en hiver et soutenue du printemps à l’automne. Cette couche superficielle forme un tapis protecteur extrêmement efficace contre l’érosion, voire irremplaçable ; elle protège les prairies de fond de vallées inondées lors du retrait des eaux et évite tout ruissellement. Cette couche héberge une microfaune importante composée d’insectes, de collemboles, d’acariens, de vers de terre etc., cette microfaune joue un rôle considérable : les lombriciens aèrent le sol jusqu’à 1,50m de profondeur. Un épandage de fumier décomposé sur le sol d’une prairie disparaît avec une rapidité surprenante. Une macrofaune épigée et hypogée tout aussi riche et dépendante de ce milieu, est aussi fortement présente.
Cultures après prairie
Les sols de prairie présentent sous la couche superficielle organique une couche riche en argiles et en limons ; une culture installée après prairie bénéficie dans un premier temps de la couche organique enfouie, en revanche si le labour a lieu avant l’hiver, la matière organique enfouie à l’abri de l’air ne se minéralise pas et se transforme en gley toxique pour les racines de plantes semées ; le sol en surface dépourvu de matière organique devient « battant », s’opposant à toute entrée d’air. Dans les meilleurs cas, lorsque la décomposition de la matière organique se fait convenablement, le surplus de production constaté ne se maintient que durant 2 à 3 ans maximum, pour chuter ensuite très rapidement.
Quant à l’utilisation massive d’herbicides précédant le retournement et lui succédant, nous connaissons tous les méfaits des ruissellements de ces polluants.
Dans le département de la Nièvre, en moyenne montagne les retournements de prairie sont peu fréquents, la pente, le climat, l’épaisseur de la couche de matière organique sont des obstacles.
En plaine, les prairies bordent les bois et les cours d’eau, les couches organiques des sols sont minces et sauf pour les berges de la Loire, on rencontre des sols argileux en zone d’expansion des rivières. Les retournements s’accompagnent de demande de drainage, certes ces sols sont souvent formés d’alluvions plus ou moins récentes, mais ces terres sont en général inondables et les labours sont suivis d’un entraînement des sols lors des crues, dommage quasi irréversible ; les cultures de maïs laissent le sol nu (dérogation obtenue aisément), elles devraient être exclues mais justement elles sont les plus fréquentes. La tentation est grande de placer des cultures de maïs dans des terres fraîches et économiquement irrigables en raison de la proximité des rivières
Une conséquence dramatique aussi de ces retournements est la disparition des haies, des bosquets et des arbres isolés qui gênent les labours !
Les sols réservés aux prairies étaient jugés difficilement cultivables (raison élémentaire), les retournements doivent être entrepris avec circonspection ; nous pouvons comprendre que pour aider à une certaine autonomie, un minimum de parcelles, sans danger pour l’environnement, puisse être retourné ; quelques cultures de céréales apportent un revenu stable et une aide à l’alimentation du bétail. Mais les retournements de centaines d‘hectares demandés ou accomplis sans autorisation nous font tirer la sonnette d’alarme.
Le CNAD et DECAVIPEC représentent les associations de protection de l’environnement à la CDOA (Commission départementale d’orientation agricole), la plupart des dossiers présentent des demandes de retournements de prairies permanentes.
Quelques chiffres : 1100 ha de pp ont été retournés de 2005 à 2012, dont 250 en 2012. En 2013, 460 ha ont reçu une autorisation, mais 900 ont été retournés dont 440 sans autorisations.
En 2014 un agriculteur, neveu d’un représentant de la Chambre d’Agriculture (sentiment d’impunité ?), a retourné toutes ses prairies en bordure de rivière en zone Natura 2000 sans autorisation avec arrachage de haies et d’arbres intéressants.
Le 15 décembre dernier la DDT a autorisé le retournement de 130 ha de prairies sur le territoire de Luthenay-Uxeloup, en zone Natura 2000 « Vallée de la Loire entre Imphy et Decize » ; le classement de cette zone était motivé par la présence avérée de zone d’hivernage des grues et zone de gagnage de la cigogne blanche. Certes cette autorisation exempte 50ha de PP, puisque la demande concernait 180ha de zone Natura 2000 au total, mais les effets seront irrémédiables pour les espèces protégées.
Dans le département de l’Yonne les retournements ont été massifs, le département est presque totalement en zone de vulnérabilité aux nitrates ; les cultures remplacent les prés, les effets néfastes ne se sont pas fait attendre : le taux de ces polluants est en augmentation constante.
Non seulement la consommation des pesticides n’a pas diminué en France mais elle a augmenté de 9% en 2013, la diminution de moitié de ces usages (Plan Ecophyto 2018) serait …repoussée de 7 ans, le dernier rapport (250 pages rédigées par Dominique Potier député de Meurthe-et-Moselle) explique que le retournement des prairies est la principale raison de cette augmentation.
En résumé, les annonces de cette nouvelle PAC incitent au retournement anticipé des PP ; le paiement pour des pratiques bénéfiques à l’environnement et au climat est calé sur des exigences minimales qui ne corrigent qu’à la marge les situations les plus problématiques en laissant inchangé le cours de la grande majorité des exploitations, à l’exception des surfaces d’intérêt écologique dans certaines zones, mais avec un laxisme déjà annoncé du ministère de l’Agriculture. Les pratiques les plus favorables - gestion d’espaces à haute valeur naturelle, protection des ressources en eau - restent insuffisamment reconnues et rémunérées.
Danièle AUCLIN
* Sanctions de l’UE : le litige entre Bruxelles et Paris concernant les aides aux agriculteurs des dernières années concerne « l’outil d’identification des parcelles éligibles à la politique agricole commune » ; des « erreurs » ont été relevées au sujet des surfaces déclarées exploitées, la sanction pourrait s’élever à 1,8 milliards d’euros, les agriculteurs ne devront pas rendre le trop-perçu, l’amende sera réglée par l'ETat. Donc par le contribuable.
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