quarante ans de protection de la nature
Quarante années de protection de la nature
loi du 10 juillet 1976
Il y a quarante ans la France se dotait pour la première fois d’une loi sur la protection de la nature (loi du10 juillet 1976). Elle est reconnue comme l’acte de naissance de notre droit de l’environnement ( qui s’est depuis considérablement étoffé puisqu’il recouvre le droit de la protection de la nature et celui de la lutte contre les nuisances, pollutions, risques). Coïncidence, 2016 devrait enfin voir adopter la deuxième grande loi française de protection de la nature. Annoncé dès 2012 par François Hollande lors de la première conférence environnementale. Il s’était engagé sur son adoption en 2013. Le projet de loi sur la biodiversité intitulé « projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » n’a été adopté par l’Assemblée nationale qu’en mars 2015. Il vient en janvier de passer devant le Sénat avant de retourner devant les députés…. Le gouvernement aura pris son temps pour faire voter cette loi, manifestement l’urgence est ailleurs….
La loi du 10 juillet 1976 s’était elle aussi fait attendre des années durant. Depuis le début du siècle les naturalistes tiraient la sonnette d’alarme sur les destructions à grande échelle, éradication systématique des grands prédateurs, loups, lynx, ours, massacre de la sauvagine (renards, belettes, blaireaux..) et des oiseaux de proies, assèchement des marais (putrides et malsains…), saccage de la montagne et du littoral aux mains des promoteurs et des paysages en général lié à l’urbanisation et à l’aménagement chaotique du territoire. Les années 60 voient le boom des ports artificiels, des lotissement dans les dunes, des stations balnéaires –la grande Motte-( le conservatoire du littoral sera créé par une loi du 10 juillet 1975), la diminution des ressources (à commencer par le pétrole… crise de 1973), les pollutions (eau –la 1ère loi eau date de 1964-, air )…Par ailleurs l’opinion publique est de plus en plus préoccupée par la qualité du cadre de vie.
En 1971 avait été créé le premier ministère de l’environnement (qualifié de ministère de l’impossible avec ses 0,1% du budget de l’Etat..) conduit par Robert Poujade, maire de Dijon
C’est sous la pression des scientifiques et des associations de protection de la nature que cette loi finira par aboutir, avec un vote unanime des parlementaires moins une voix. L’union nationale en quelque sorte… sur un sujet alors jugé d’importance…
Côté ministères c’est une autre histoire. Le projet de loi a été signé par onze ministres. On ne s’étonnera pas de l’opposition des ministères aménageurs, Equipement, Agriculture, Recherche- Industrie pour lesquels croissance économique devait primer sur la protection de la nature. Leurs agents qui recevaient des primes selon le volume des travaux qu’ils dirigeaient n’y étaient pas non plus favorables…Ces ministères continueront d’ailleurs leur travail de sape au niveau des décrets d’application.
La loi de 1976 constitue la première loi générale de la protection de la nature en France, elle pose des principes, des règles et créé des outils de gestion nouveaux.
C’est à ce titre qu’il paraît intéressant de revenir sur ce texte fondateur. Il n’existe plus aujourd’hui en tant que tel, puisque abrogé. Mais ses dispositions ont été reprises dans le code de l’environnement et n’ont cessé depuis d’être amendées et complétées selon notamment les préoccupations européennes dont sont issues plusieurs directives. Ainsi la loi de 1976 sert encore de référence. Nous en retiendrons les thèmes principaux.
► - La protection de la nature est d’intérêt général
Ce principe (repris dans la charte de l’environnement de 2005 inscrite dans la constitution) est énoncé à l’article 1er « la protection des espaces naturels et des paysages, la préservation des espèces animales et végétales, le maintien des équilibres biologiques auxquels ils participent et la protection des ressources naturelles contre toutes les causes de dégradation qui les menacent sont déclarés « d’intérêt général ». Cette notion est fondamentale. La nature ne peut plus être considérée comme un bien n’appartenant à personne dont on peut user, abuser en toute légalité. La loi fait de la nature le patrimoine commun ni à vendre ni à sacrifier à d’autres intérêts notamment économiques et de sa protection un devoir de chaque citoyen « Il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde du patrimoine naturel dans lequel il vit ». Cette dimension fondamentale d’intérêt général donnée à la notion d’équilibre biologique et d’environnement s’impose à toutes les activités privées ou publiques- « Les activités publiques ou privées d’aménagement, d’équipement et de production doivent se conformer aux mêmes exigences ». ….
► - la création de l’étude d’impact :
la France sera pionnière en ce domaine ( dix ans plus tard, une directive communautaire l’étendait à l’ensemble des Etats membres). Pour la première fois pour toutes les opérations d’aménagement et d’équipement d’importance la loi exige que soit jointe à la demande d’autorisation une étude spéciale (dont elle définit le contenu) mesurant les impacts du projet sur l’environnement et elle sera rendue publique. Dans l’esprit du législateur il s’agissait d’informer les citoyens des conséquences de ces projets pour les inciter à se préoccuper des problèmes environnementaux. Les ministères aménageurs qui avaient dû au final accepter la loi vont œuvrer au niveau du décret d’application pour détourner l’esprit de la loi. Pour les parlementaires le but de cette étude d’impact était de modifier en profondeur le processus de décision et le comportement des décideurs. Or le décret d’application renverra sa production au moment de l’enquête publique c'est-à-dire une fois le projet décidé (cf notre article « la démocratie environnementale ») ; elle est par ailleurs confiée au maître d’ouvrage qui est juge et partie. Le décret d’application sera publié en octobre 1977 avec application différé au ler janvier 1978 …et on verra fin 1977 plusieurs centrales nucléaires passer à la sauvette à l’enquête publique et échapper ainsi à la procédure étude d’impact (Belleville, Superphénix….).
► - La protection de la faune et de la flore sauvages
la protection des espèces n’est pas une création de la loi de 1976. Il existait déjà quelques espèces protégées tel le vautour fauve des Pyrénées, le gypaète, le vautour percnoptère en vertu d’une loi de 1962 (en 1972 tous les rapaces diurnes et nocturnes seront protégés).
A l’époque la protection des espèces n’est pas considérée comme une fin en soi. Elle existait par le biais de textes sur la protection de l’agriculture ( qui s’appuyait sur la notion de nuisible que la loi n’a malheureusement pas abordé sauf pour la perpétuer…), de la chasse, de la forêt donc ayant d’autres buts et disséminés dans un grand nombre de règlements. La France avait signé en 1973 la convention de Washington sur le commerce international des espèces sauvages en danger d’extinction.
La loi de 1976 crée le concept d’espèce protégée à partir d’un régime spécial de protection d’espèces animales et végétales sauvages ( non domestiques, non cultivées) rares, menacées ou présentant un intérêt scientifique, inscrites sur une liste nationale établie par arrêté ministériel. Elle établit un régime unique de protection intégrale ( par la suite viendront des dérogations…) en interdisant pour la faune la capture, les prélèvements, la destruction, la naturalisation, la commercialisation et la destruction, l’arrachage, la coupe, la cueillette pour la flore sauvage. A noter aussi la protection des fossiles qui permettent d’étudier l’histoire du monde vivant.
L’arrêté fixant la liste des espèces animales protégées ne sortira qu’en avril 1979, il sera attaqué par le syndicat des taxidermistes et les chasseurs. Quant à la liste des espèces végétales il faudra attendre 1982 du fait du blocage du ministère de l’agriculture et de la Direction de la protection de la nature elle-même…paniquée de devoir publier les noms en latin !
S’agissant des espèces exotiques les particuliers devaient pour leur commerce et leur détention être titulaires d’un certificat de capacité.
La loi institue, corolaire indispensable à la protection des espèces, la protection des milieux qui les abritent ainsi que les mécanismes de contrôle et des sanctions pénales.
Signalons au passage que la loi de 1976 reconnaît pour la première fois que « tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ». Il ne s’agit donc en aucun cas de protéger les espèces sauvages contre des actes de cruauté, à moins qu’elles ne soient en captivité…, cirques, parcs zoologiques ou d’attraction. A ce titre on n’est pas à proprement parler dans notre sujet, la protection de la nature (cf notre article « quel droit pour l’animal ?).
► - rôle accru des associations de protection de la nature via l’agrément
La loi de 1976 renforce le rôle et les moyens des associations de protection de la nature en dotant les plus représentatives d’entre elles d’un statut spécial, l’agrément administratif délivré dès lors qu’elles sont régulièrement déclarées et ont 3 années d’existence. L’agrément permet aux associations de se faire reconnaître auprès de l’administration et auprès du public comme des acteurs essentiels dans la défense de l’environnement en prenant part aux instances consultatives. De porter plainte contre les auteurs d’infraction et de se constituer partie civile si l’infraction porte un préjudice aux intérêts qu’elles défendent. Elles peuvent déclencher l’action publique, par saisie du juge d’instruction (en cas de délit) ou citation directe. On est dans l’hypothèse où en dépit d’infractions constatées, le parquet ne poursuit pas, donc l’association ne peut pas se constituer partie civile. Elle peut alors court-circuiter le procureur et poursuivre directement l’infracteur. C’est la procédure suivie (citation directe) par Loire Vivante (avec succès) ) contre ECOPREM ( Prémery) et son directeur suite à des pollutions successives de la Nièvre, fatiguée qu’elle était d’attendre que le procureur veuille bien agir…
Devant les tribunaux administratifs, elle bénéficie d’une présomption d’intérêt à agir.
Le dossier d’ERSCIA a montré les outils d’information, de persuasion et de politisation que peuvent utiliser aujourd’hui les associations de protection de l’environnement, la médiatisation étant la plus courante. Il a montré également que c’est l’action contentieuse devant les juges qui oblige les pouvoirs publics et les individus à respecter la règlementation environnementale. Elle fait jurisprudence et fait évoluer le droit de l’environnement.
► Les outils de protection: création de l’arrêté de conservation de biotope et rénovation les réserves naturelles.
- l’ arrêté de conservation de biotope
Le législateur de 1976 avait bien compris qu’il était illusoire de vouloir protéger des espèces si on n’assurait pas la protection de leurs lieux de vie ; il crée un nouvel outil l’arrêté de conservation de biotope. Cette protection n’est applicable qu’aux sites qui abritent des espèces protégées qu’il s’agit de conserver en l’état en règlementant ou interdisant certaines activités humaines pouvant leur porter atteinte. Elle s’applique à une grande variété de milieux naturels, mares, marécages, marais, haies, landes ou toutes autres formations naturelles peu exploitées par l’homme ; il s’agit toujours d’aire géographique bien délimitée qui héberge une faune ou une flore spécifique.
Citons pour la Nièvre, les arrêtés pour la protection des sternes l’interdiction temporaire d’accès aux sites de nidification ( l’île aux sternes à Nevers- l’accès est interdit du ler avril au 15 septembre avec Nevers plage installé juste en face…, la Réserve du val de Loire), sont protégées des tourbières dans le Morvan, la frayère d’aloses au barrage de St Léger…C’est un outil souple, la création se fait par simple arrêté préfectoral après avis de certaines commissions. Mais le point faible de la loi c’est l’absence d’une commission locale de gestion pour assurer un meilleur respect de l’arrêté…. (qui relève de L.415-3 du code de l’environnement).
- La rénovation du statut des réserves naturelles nationales :
La loi de 1976 ne créé pas à proprement dit les réserves naturelles nationales Elles existaient déjà depuis une loi de 1930 complétée par une loi de 1957 qui introduisait la notion de réserve naturelle en vue de la conservation et de l’évolution des espèces. Leur statut mal défini n’avait pas permis leur développement .En 1976 plus de quarante ans après la première loi sur l’intention… de protéger la nature on ne comptait que 36 réserves naturelles nationales (167 à ce jour).
Il s’agit de conserver et de gérer des espaces naturels de haute valeur écologique et présentant notamment un intérêt particulier sur le plan scientifique. Les réserves naturelles concernent la faune, la flore le sol, les eaux, les richesses géologiques (gisements de fossiles ou minéraux…..). Elles ont un double objectif la conservation des écosystèmes et l’accueil du public et l’éducation à l’environnement (ce qui ne va pas toujours sans poser de problèmes… puisque ça implique quelques restrictions) car sans l’appropriation de ce patrimoine commun par le grand public il est illusoire de vouloir préserver de façon pérenne ces espaces naturels.
La réserve naturelle du Val de Loire a été créée le 21 novembre 1995 pour assurer la sauvegarde du patrimoine exceptionnel que constituent la Loire et sa mosaïque de milieux nés de la « dynamique fluviale ». cf le premier article de ce blog « la Loire dernier grand fleuve européen encore sauvage ? » et « Loire, que de sable, que de sable ».
http://www.cen-centre.org/la-reserve-naturelle-du-val-de-loire
- la loi de 1976 institue aussi les réserves naturelles volontaires créées par convention entre le propriétaire et le ministère pour assurer la protection de domaines privés particulièrement intéressants. Cette procédure originale permettait à un simple particulier par la voie d’un agrément de participer aux politiques de protection. Cette innovation de 1976 a été supprimée par la loi de février 2002 sur « la démocratie de proximité » qui a donné aux régions compétence pour administrer les anciennes réserves volontaires, devenues de droit des réserves naturelles régionales. Ce qui constitue un recul puisque la protection de la nature relève dès lors de la seule compétence des pouvoirs publics. Un simple citoyen-propriétaire ne peut plus volontairement y participer.
En 1976 la protection de la nature passait essentiellement par la préservation des espèces sauvages menacées, de leurs habitats et des espaces naturels rares et fragiles ; le bilan de cette politique de conservation est loin d’être négatif et elle doit être poursuivie et à plus grande échelle. Les progrès faits en ce domaine durant ces quarante années sont dus évidemment aussi à nos obligations communautaires et internationales, aux avancées des connaissances scientifiques, à la prise de conscience écologique.
Mais tout cela n’a pas empêché le déclin très rapide de nombreuses espèces y compris des espèces très répandues (cf nos articles « biodiversité, prendre conscience de l’urgence »).
La loi de 1976 a été novatrice dans plusieurs domaines, elle répondait aux besoins de protection de la nature tels que perçus à l’époque. Depuis sont venus de nouveaux concepts (notamment depuis la conférence de Rio de 1992 sur la diversité biologique) tels que la préservation de la biodiversité (tout le vivant), son utilisation durable, le fonctionnement écologique global du territoire. Il ne s’agit plus seulement de protéger pour maintenir en état et sur des espaces limités mais d’inverser l’érosion du vivant sur l’ensemble de notre territoire. Les collectivités territoriales ont donc un rôle majeur à jouer dans cette démarche. Par ailleurs la prise en compte de la biodiversité doit être intégrée dans tous les secteurs d’activité ( urbanisme, agriculture, tourisme, infrastructures…), sa préservation nécessite l’implication de tous les acteurs du territoire et que l’environnement cesse d’être sacrifié au profit de quelques uns. L’article 1er de la loi de 1976 n’a pas pris une ride……
Quarante années après, la future loi cadre est très attendue par les associations qui auront à vérifier si elle répond à l’objectif annoncé par Ségolène Royal : doter la France d’une loi unique et exemplaire sur la protection de la biodiversité ce qui suppose déjà un vrai courage politique face aux lobbies que la nature et sa protection dérangent et un financement à la hauteur des enjeux !. Il appartiendra ensuite au nouveau secrétariat d’Etat ( Barbara Pompili) chargé de la biodiversité dont vient d’être doté le ministère de l’environnement de la mettre en œuvre…Il ne restera plus beaucoup de temps pour sortir les arrêtés d’application…..
J. Thévenot
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Espèces menacées liste rouge
https://inpn.mnhn.fr/espece/listerouge/W
Société nationale de protection de la nature
Observatoire national de la biodiversité
www.indicateurs-biodiversite.naturefrance.fr/
Loi n°76-629 du 10 juillet 1976 : version initiale
manifestation des apiculteurs 2014 Perpignan
C'est chouette les caténaires pour poser son nid -landes
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