Nature et Environnement en Nièvre

Nature et Environnement en Nièvre

Micro-centrales,macro-dégâts

 

 

        Micro-centrale, macro-dégâts ?

 

 

La production d'électricité qui recourt à l'énergie de l'eau (hydroélectricité) a longtemps été perçue comme écologique : énergie renouvelable,  faible émission de CO2  à l'inverse des énergies fossiles, absence de déchets à l'inverse du nucléaire. Mais c'est sans prendre en compte ses impacts sur la nature et les  milieux aquatiques.

Ils sont évidents s'agissant des  grands barrages hydroélectriques : tronçonnage du cours d'eau, modification brutale des débits  qui modifie profondément son régime naturel ; atteinte à la qualité de l'eau en raison de l'accumulation dans les retenues de sédiments pollués, de l'eutrophisation, des vidanges ;  destruction  des frayères, .atteintes  à la libre circulation des poissons, les passes à poissons obligatoires ne sont trop souvent pas encore assez efficaces.

 

Mais qu'en est-il des micro-centrales ?

 

A priori on pourrait penser qu'elles posent moins de problèmes puisqu'il s'agit d'installation de moindre puissance (inférieure à 4500kW selon la loi  , mais les promoteurs de la micro hydraulique vont jusqu’à 10000kW !.  Il n'en n'est rien.  La petite hydroélectricité entraîne  des nuisances sur le milieu naturel plus ou moins importantes selon le fonctionnement adopté.

 

-  Le fonctionnement  « au fil de l'eau » sans retenue des débits entrants ne perturbe pas sensiblement  le régime du cours d'eau à l'aval , l'eau est turbinée à mesure qu'elle s'écoule ;   il n'y a pas de dérivation du cours d'eau. Mais il faut toujours un ouvrage de prise d’eau, habituellement un seuil, c’est-à-dire un barrage  pour dériver l’eau  vers le moteur hydraulique et maintenir le niveau.

- Il  en est tout autrement du fonctionnement par « éclusées ».  Les impacts  générés par cette micro-hydraulique sont analogues  à ceux générés par la grande hydraulique ;  ce qui est petit dans cette  micro-hydraulique ce sont les sites .Dans ce système l’installation est associée à une retenue d’eau  (ce peut-être un étang ) qui joue le rôle de réservoir qui une fois plein est vidangé à un  débit bien supérieur au débit naturel du cours d’eau.  Cela . permet un fonctionnement optimum de la turbine pendant un temps limité (pour répondre aux pics de consommation). Système fréquent en moyenne montagne.

Le  milieu est  alors soumis à d'importantes variations artificielles et brutales de débit entre la période  de turbinage et la  période de remplissage.      L' effet chasse d'eau détruit la micro-faune et la flore et le frai, donc toute vie piscicole à l'aval de l'installation sur une distance qui peut être très importante. Le fonctionnement à l'éclusée en période d'étiage est  un arrêt de mort pour la rivière (association T.O.S).

De plus pour  augmenter la puissance des ouvrages on augmente la chute et pour se faire, à partir de la retenue une canalisation détourne l’eau du cours d’eau et le rejette plus bas à l’aval, au niveau de la turbine. La rivière est ainsi court-circuitée sur une distance qui peut atteindre plusieurs km.

 

 Une part importante de ses débits naturels sont soustraits à la rivière pour actionner les turbines ce qui entraîne des perturbations du régime des eaux plus ou moins importants selon les cours d'eau et les saisons : raréfaction des crues  qui assurent le nettoyage du lit ,régénère les fonds, évite l'accumulation de substances toxiques ;  disparition des zones  à courant rapide et profond ; en été diminution de l'oxygène dissout  dû au réchauffement de l'eau, augmentation de la concentration en polluants, perturbation de la chaîne alimentaire des poissons  ( diminution de la micro-faune et de la micro-flore ), perte de leurs habitats. On est ici très loin d’une installation exemplaire sur le plan environnemental…

 La loi fait obligation de laisser à la rivière un débit réservé sensé assurer en permanence la vie, la circulation, la reproduction des espèces. Même lorsqu’il est évalué correctement par l’administration  se pose la question de son respect ..., faute de personnel, les contrôles de la police des  eaux  sont très rares.

    -  Enfin fait aggravant plusieurs micro-centrales de ce type peuvent se succéder sur un même  cours d'eau !.

 

La dénomination petite hydro-électricité ne signifie donc  en aucun cas  absence de nuisances  pour le milieu aquatique comme voudraient le faire croire ses promoteurs : usiniers  qui assurent un lobby permanent auprès de l'Etat à travers le syndicat Electricité Autonome de France,  les propriétaires de moulins,l’ ADEME, les collectivités territoriales....) Et elles sont d'autant plus graves que ces installations concernent des  cours d'eau fragiles en raison  de leur taille modeste  et/ou de l'impérieuse nécessité de préserver la qualité de leurs eaux  en raison des espèces  d'eau vive qui les  peuplent encore et qui sont toutes en   situation de vulnérabilité voire de disparition (saumon atlantique , truite, lamproie, omble chevalier, ombre.....).La situation des poissons migrateurs est dramatique Les obstacles sont si nombreux sur nos rivières qu'ils ne peuvent plus  accomplir leur migration ni  trouver les habitats pour se reproduire.

 

 

 La France compte 260 grands barrages de production hydroélectrique.

La petite hydroélectricité  c'est environ 2500 petites centrales sur 250 000km de rivières, avec une production équivalente à celle d'un réacteur nucléaire (7TWh).  Cela représente 10% de notre production hydraulique soit 1,5% du total de notre énergie électrique. (source France HydroElectricité).

–        Au risque de détruire nos dernières rivières vivantes, les autorisations de nouvelles micro-centrales devraient être exceptionnelles  lorsque toutes les conditions de  non  atteintes  au milieu sont remplies : critère de la nature du cours d'eau,  des débits (dérivé et réservé), du régime « au fil de l'eau », de la circulation des poissons migrateurs, du contrôle du débit réservé. …

 

 

Il n'en n'est rien : cas de la Desges affluent de l’Allier.

 

Cette rivière   de Haute Loire  est peuplée notamment de chabots, lamproies, truites et  saumon atlantique doit être équipée d'une micro -centrale voulue par la communauté de communes des rives de l'Allier, d'une puissance équivalente à  la consommation de 200 ménages (75kilowatts).

 

Ce projet est une aberration :

 

  •  La Desges est une rivière de haute qualité  classée en liste 1 et en liste 2 comme « réservoir biologique » et en rivière  « très bon état écologique »
  •  La Desges circule entre la zone NATURA Haut val d’Allier au titre de la directive « oiseaux » et la zone gorges Allier et ses affluents au titre de la directive « Habitats ».
  •  La Desges est identifiée comme une rivière à migrateurs propice au repeuplement
  •  La Desges assure une partie (l’autre est assuré par l’Allier) de l’approvisionnement en  eau du Conservatoire National du Saumon Sauvage de Chanteuges, outil  essentiel pour la restauration à partir de géniteurs sauvages de la population de saumon  atlantique sur le bassin de la Loire (deux   millions de saumons à différents stades de maturité y sont relâchés chaque année).  Ce repeuplement  est un des objectifs du Plan Loire Grandeur Nature de 1994. En 1990 en raison notamment  de la construction au 19 ème siècle,  des grands barrages, à peine 100 poissons migraient sur le fleuve contre 100000 au siècle précédent. Il faudra 9 années de lutte à laquelle participera LVNAC,  pour arriver  à l’abandon définitif de  projet de nouveaux barrages sur le bassin (Serre de la Fare (/ la Loire ), le Veurdre ( /l’Allier), Chambonchard( / le Cher).
  • Le plan Loire a entraîné la suppression de  plusieurs  barrages    et l’équipement en passes à poissons efficaces sur plusieurs  ouvrages. Et l’Etat autorise la construction de nouvelles micro-centrales sur la Loire !!!!
  • Ce projet va à l’encontre de la Directive Cadre Eau (2000,  reprise dans la loi eau de 2006) qui fait obligation aux Etats de l’Union de parvenir à un bon état chimique et écologique des eaux (objectif qui était à atteindre en 2015….sauf dérogation justifiée…repoussé à 2020 !) ce qui implique une non dégradation des ressources et des milieux. Donc très certainement pas de construire de nouveaux ouvrages.hydrauliques  qui perturbent  la continuité écologique et sédimentaire, la morphologie et l’hydrologie de nos cours d’eau !Les milieux aquatiques sont les plus touchés par la perte de la diversité biologique. A quoi sert la loi biodiversité (août 2016) ? un tel  projet destructeur, sur un bassin (le haut Allier) et une  rivière qui présentent  un tel enjeu de conservation de  la biodiversité aquatique  est un véritable scandale.

 

 

Le scandale se vérifie lorsqu’on parcourt le dossier :

www.chantdesrivières.org/microcentrale-chanteuges

 

Le projet  de microcentrale est situé sur un bief dérivant une partie des eaux de la Desges.  Il permettait    autrefois le fonctionnement de deux moulins aujourd’hui propriété de la communauté de Communes (l’un a été transformé en auberge). Suite à l’arrêt de leur activité ce bief  non entretenu est revenu en fait à l’état de  « ruisseau »  qui serpente au milieu des prés. Selon le projet  sa partie amont va être  transformée en un double mur de 500 mètres de long et de 1 à 2,50 mètre de haut et  à l’aval par un  tuyau de 1,20mètre de diamètre sur 600 mètres. Ajoutons  la turbine et le transformateur placés au centre du village et à la sortie rejet dans la DESGES à 1100mètres en amont du Conservatoire du saumon.

 

Un  projet lancé au pas de charge et en catimini par la Communauté de communes :  ni les habitants, ni les pêcheurs,  ni  le conseil municipal, ni l’ensemble des propriétaires riverains, ni le Conservatoire  n’ont été informés du lancement des travaux qui n’a été précédé d’aucune information sérieuse. ( notamment pas de réunion publique et aucune publication des documents préparatoires) .

 

Un projet  lancé  sans aucune  étude sur l’environnement : biodiversité, pêche, impact sur la pisciculture de  Chanteuges, patrimoine bâti et paysager, bruit etc…

Comment dans ces conditions la communauté de communes a t- elle pu obtenir  le feu vert  pour ce projet ?

Elle a fait valoir un « droit d’eau fondé en titre » c’est-à-dire le droit d’utiliser la force hydraulique de la Desges sans avoir à obtenir d’autorisation administrative. Ce droit d’usage serait attaché au deuxième moulin qu’elle a acquis récemment  en exploitation  sur la Desges  avant 1789.

Ces droits d’eau  liés aux moulins (mais aussi aux étangs, à l’irrigation…) . délivrés  par les seigneurs féodaux  avant  la révolution sont  perpétuels car  ils n’ont été ni  abolis, ni rachetés aux seigneurs  par la nuit du 4 août (abolition des privilèges).

 

Cela étant  la communauté de communes devait démonter évidemment l’existence de ce droit ancien et qu’il concernait bien le moulin  en question.. 

Par ailleurs une partie du bief étant ruinée, le  droit fondé en titre devrait  être annulé. Ces  points de droit très importants  qui semblent avoir été traités avec grande légèreté par la DDT qui a reconnu  ce droit fondé en titre  font  l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif  actionné par la commune et les associations défendues par Corinne Lepage.  Si le tribunal leur donne raison le projet  s’arrêtera là.  

Mais il a déjà fait des dégâts  avec le commencement des travaux mi-2017 (canal d’amenée, construction d’un dégrilleur, d’un déversoir, d’un bout de bief…) ; des travaux exécutés pour certains  sur des terrains dont la commune n’était pas propriétaire !       Suite aux différents recours  ils sont suspendus depuis novembre 2017 mais pas abandonnés.

 

On le voit malgré un  caractère remarquable et les mesures de protection dont il bénéficie un cours d’eau comme la DESGES n’est pas à l’abri des atteintes graves liées à un développement  inconséquent de l’hydroélectricité.

Et il y a lieu d’être inquiet car la France entend le poursuivre  en augmentant la capacité de production électrique de 500 à 750MW et la production électrique de 2 à 3 TWh/an d’ici 2023

 Voir sur  www.ecologie-solidaire.gouv.fr/hydroelectricite

Et où va-t-on les trouver alors que déjà 90% de  nos cours d’eau sont déjà  équipés et voire suréquipés ?  Sur les derniers  cours d’eau jusqu’ici encore un peu préservés, en les truffant de microcentrales ?….et tout ça pour 1 ou 2% de production électrique supplémentaire  puisque  c’est  le potentiel restant  de l’hydraulique, 95% ayant  déjà été réalisé !

 

Si en matière d’hydroélectricité sous réserve de non dégradation, la modernisation et  l’optimisation   des grands ouvrages existants est acceptable  le développement de la petite hydroélectricité ne l’est pas : elle génère  de forts impacts pour les cours d’eau  au regard  d’une très faible  production électrique obtenue, elle est difficilement contrôlable et au service  d’intérêts privés ( voir nombre  de propriétaires d’anciens moulins qui rêvent de les convertir  en microcentrale  et de vendre leur électricité à EDF en s’abritant derrière l’enjeu de la réduction  des gaz à effet de serre et le développement des énergie renouvelables…).

 

 

Le ministère de N. Hulot envisagerait la construction d’une centaine de micro-centrales supplémentaires dans toute la France comme si cela allait changer notre  bilan carbone  et  sauver le climat ! En revanche  c’est à coup sûr la  poursuite de la dégradation de nos cours d’eau et  de la destruction de la  biodiversité aquatique.

 

 

                                                       J.Thevenot

                                

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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16/08/2018
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