La "Ferme" usine des 1000 vaches
LA « FERME » USINE DES 1000 VACHES
C’est le projet d’un géant du BTP, M. Ramery Michel (à la tête de quelques 3700 salariés) en association avec 6 autres producteurs qui entend se « diversifier » dans l’électricité. Les chevilles ouvrières de ce projet grandiose étant bien entendu les vaches dont on se rappellera qu’elles produisent non seulement du lait mais aussi des bouses….qu’il suffit de laisser fermenter pour obtenir du méthane qui alimentera un générateur électrique, il ne restera plus qu’à vendre l’électricité à EDF au prix fort. Et mieux, notre déjà riche entrepreneur va pouvoir bénéficier pour son méthaniseur des subventions que verse l’Etat pour encourager les énergies renouvelables ! (plan : Energie méthanisation autonomie azote de 2013 –cf Ministère de l’agriculture-.). Toutes ces aides vont lui permettre de vendre son lait à un prix très compétitif au regard de celui des petits éleveurs qui sont déjà en très grande difficulté en raison de prix inférieurs aux coûts de production et qui vont voir en plus en 2015 la fin des quotas laitiers.
C’est donc la Somme (près d’Abbeville à Drucat) qui a l’honneur d’accueillir le plus grand élevage à ce jour en France, modèle d’une industrialisation à outrance qui existe déjà en Europe (Espagne, Allemagne, Pologne…) ainsi évidemment qu’aux Etats-Unis, en Russie , en Chine….La production de l’usine est destinée à une filiale du fabricant de produits laitiers Senoble.
Les médias se sont fait l’écho du nouveau blocage de l’usine menées par, l’association locale Novissen (créée en 2011) et la Confédération paysanne le 13 septembre date d’arrivée de nuit et sous protection de la gendarmerie… des 150 premières vaches.
Après un blocus de 4 jours les opposants ont été reçus avec l’entrepreneur par le ministère de l’agriculture et ont obtenu quelques avancées. La situation à ce jour est la suivante : le préfet a délivré une autorisation pour 500 vaches. En cas de demande pour 1000 laitières il y aura une nouvelle enquête publique. La puissance du méthaniseur a été ramenée à 0,6MW (au lieu de1,4 MW) et il ne sera alimenté que par du lisier et des déchets de ferme.
Autant dire que le dossier n’est pas clos, on voit mal l’industriel renoncer à son projet au risque de ne pas atteindre la rentabilité économique, la demande des 1000 vaches serait déjà déposée.
Radiographie de la « ferme usine à gaz » des 1000 vaches
1000 vaches (et 750 génisses) enfermées à vie sous un hangar de 234 mètres de long., 8500 m2. Production annuelle 8 millions de litres de lait.
►Les raisons économiques d’un tel projet
- La première raison c’est de répondre à la demande de la filière agro-alimentaire qui cherche à baisser les coûts de la collecte. Produire en grande quantité de lait en un seul endroit évite de faire le tour des fermes (1000 vaches représentent 20 fermes de 50 laitières).
- La seconde est de percevoir d’avantage de subventions puisque celles-ci sont fonction de la taille des exploitations
- S’ajoute la réduction du temps de travail et son optimisation par un personnel qui de plus n’a pas à être qualifié
Les élevages laitiers traditionnels de 50 vaches (grandeur moyenne en France) représentent 2,1 emplois, soit pour les 20 fermes qui correspondraient aux mille vaches de l’usine, 42 personnes. L’industriel annonce que l’établissement fonctionnera avec 15 personnes dont le salaire ne devrait pas être très élevé puisque leur travail consistera à surveiller le bon fonctionnement des robots
- Viendraient ensuite les économies d’échelle liées à la concentration de bovins sur un espace restreint, coût moindre des équipements meilleure rentabilisation. Pour le Confédération paysanne une ferme de seulement 500 animaux (autorisation actuelle) ne serait pas rentable. Il est vrai que ce système de production est extrêmement coûteux puisque tout doit être stocké, les animaux…, la nourriture, les déjections. Il présente vu l’échelle, de gros risques en cas d’erreur de gestion, de problème sanitaire, d’augmentation du prix des intrants…
Dans le système basé sur la pâturage, la ferme fait des économies grâce au travail de leurs animaux, elles récoltent leur nourriture en pâturant et épandent leurs excréments toutes seules…De plus ces fermes sont en mesure de répondre à la forte attente des consommateurs en produits de qualité. La ferme des mille vaches n’est donc pas forcément plus compétitive que celles qui font de petits volumes
L'industriel a cependant annoncé qu’il serait en mesure de vendre son lait au prix de 270 € la tonne contre le prix de 350€ des éleveurs laitiers qui couvre déjà à peine leur coût de production. Dans ce projet on l’aura compris le lait « low cost » n’est qu’un sous-produit de l’énergie tirée des bouses !
► Quels problèmes pose un tel élevage ?
-L’avenir de nos éleveurs :
En 10 ans 40% des fermes laitières ont disparu alors que la taille moyenne des troupeaux s’est accrue de de de 48%. Mille vaches représentent 20 fermes de 50 animaux.
Un tel élevage implique un accaparement de terres très important, au détriment de l’installation de jeunes agriculteurs ou des agriculteurs voisins.
Cette emprise foncière est rendue nécessaire par le traitement du résidu de la méthanisation (le digestat) qui doit être d’abord stocké avant d’être épandu dans des champs. Le plan d’épandage doit être compatible avec le nombre de bovins soit 3000 ha pour les 1000 vaches. Cette emprise foncière qui va empêcher l’agrandissement des troupeaux voisins accentue la concurrence sur les terres avec les agriculteurs du secteur et des jeunes agriculteurs candidats à l’installation.
Le lait « low cost » d’un tel élevage qui va envahir le marché va encore faire baisser les cours et aggraver encore la situation du secteur de l’élevage.
- L’avenir de nos territoires :
Nous sommes dans une région d’élevage il n’est donc pas difficile de comprendre les impacts qu’entraînerait ce type « d’agriculture » sur notre territoire où déjà nos campagnes se vident. Un site industriel en lieu et place de fermes, un paysage à hangars où on entasse des animaux qu’on ne verra plus dans les champs, des norias de camions et tracteurs (apport des aliments, collecte de lait, épandage, cultures….).
L’épandage du digestat du méthaniseur implique qu’il soit fait sur culture qu’on imagine facilement intensive, sur d’immense surfaces compte-tenu du volume à épandre.
Ce digestat présenté comme un engrais contiendra hormones, antibiotiques et autres produits vétérinaires en tout genre donnés préventivement contre les risques d’épidémie liés à la concentration. Sans oublier les pesticides et les nitrates qui auront, sans une gestion agronomique d’une extrême rigueur.. tout loisir de percoler vers les nappes phréatiques, de polluer les eaux de surface et d’alimenter le phénomène marées vertes qui ne cesse de se développer sur nos côtes, puisqu’on se situe à quelques Km de la baie de Somme.
- Du mal être animal à la mal bouffe :
Il paraît que cette ferme bagne pour vaches respecte toutes les normes européennes en matière de bien être animal. Sauf qu’ici on n’est pas dans l’élevage, activité qui respecte les animaux en retour de ce qu’ils nous donnent, mais dans la production animale qui ne repose que sur la recherche d’une production au moindre coût. Et ces fameuses normes européennes n’ont qu’un seul but faire croire aux consommateurs que les animaux restent bien traités dans des élevages industriels dont la taille ne cesse de grandir.
Mieux que la ferme des 1000 vaches et toujours en Picardie un propriétaire de 18000 poules planche sur un projet d’usine de 250000 poules pondeuses. En Saône et Loire le Domaine de Sommery à Vaudebarrier (près de Charolles) en compte près de 400 000 le Val Produit à Branges110 000. En Gironde existe un projet de 11000 porcs.
Comment peut-on parler du bien être de vaches qui sont en stabulation permanente leur vie durant, nourries essentiellement aux tourteaux de soja OGM, bourrés de pesticides importés d’Amérique du Sud et d’ensilage de maïs…On est loin de la ferme familiale mise en valeur au salon de l’agriculture… et qui reste dans notre pays un modèle en raison d’un attachement à la terre qui demeure. On doit bien le reconnaître le consommateur citoyen accepte au final par ses achats les élevages intensifs confinés de porcs et de volailles. Il rejette en revanche ce système pour les herbivores, dont nos vaches, qui valorisent les prairies en les broutant, et participent à l’élaboration de nos paysages bocagers. Ainsi élevées ces vaches donnent du lait et de la viande d’une qualité que l’on attendrait en vain d’un élevage industriel hors sol.
Ce projet de 1000 vaches interpelle tous ceux qui se préoccupent du modèle que la France doit développer pour sauver son agriculture. Le ministre de l’agriculture S. Lefoll très inspiré sur le sujet a tenu à déclarer « qu’il n’avait pas soutenu ce projet » mais « qu’il existe et qu’il respecte les règles ». « on ne peut pas considérer à partir de là que ce modèle singulier, c’est celui de toute la France … on ne peut pas considérer que tout le reste sera identique » « Il y aura nécessairement cohabitation ». Dans ces propos courageux le ministre de l’agriculture (chantre de l’agro-écologie) dit qu’il n’y peut rien, que la ferme des mille vaches n’est pas une menace pour le modèle agricole français, puisqu’elle reste singulière et ne reflète pas un modèle dominant et qu’enfin il y a place pour l’élevage traditionnel à côté du modèle ultra-productiviste. (comme dit le Canard enchaîné, » la cohabitation du renard et des poules, air connu »…).
Elle est justifiée l’inquiétude des opposants qui dénoncent le gigantisme du projet et donc, le modèle d’élevage qu’il véhicule, ses impacts sur l’environnement, sur la vie des animaux et qui débouche au final sur une production de lait industriel et une viande de réforme de piètre qualité.
Premier projet de ce type d’autres peuvent suivre. On arrive en 2015 à la fin des quotas laitiers mis en place par la PAC en 1984 pour limiter et stabiliser la production laitière alors excédentaire et contrer l’effondrement des prix synonyme de disparition des élevages laitiers. La disparition des quotas va entraîner une réorganisation de la production laitière d’où l’inquiétude de éleveurs de se retrouver livrés à eux-mêmes face aux collecteurs qui recherchent les prix les plus bas.
La ferme des 1000 vaches s’inscrirait dans l’anticipation de la fin des quotas qui va entraîner la disparition d’un certain nombre de petites et moyennes exploitations. Le mouvement de se regrouper pour s’en sortir ne peut que s’accentuer. La crainte est évidemment que ce premier exemple gigantesque en inspire d’autres et que l’élevage laitier en France qui reste encore traditionnel avec des animaux qui ont accès à l’air libre et aux pâturages s’industrialise à l’exemple d’autres « productions animales », et tombe aux mains de financiers totalement étrangers au monde agricole.
Combat à suivre et à soutenir.
J. Thévenot
9 militants de la confédération paysanne seront jugés au pénal le 28 octobre à Amiens pour dégradation de la ferme des 1000 vaches
Robot de traite
A découvrir aussi
- LVNAC - Réduire le risque inondation
- LVNAC-Biodiversité : prendre conscience de l'urgence
- Des plantes exotiques envahissantes
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 108 autres membres