La bio en baisse: simple ralentissement ou véritable décrochage?
Le bio en baisse : simple ralentissement ou véritable décrochage ?
C’est l’intitulé d’un rapport de Terra Nova de février 2023 :
Rappel : L’Union européenne fixe à 25% la SAU (Surface Agricole Utile) en agriculture bio à l’horizon 2030 (Stratégie « de la ferme à la fourchette ») La France stagne à 10% loin déjà de son objectif de passer à 15 % en 2020 ! L’objectif actuel est de 18% d’ici 2027. Elle n’ a pas non plus atteint le doublement des surfaces de production bio d’ici 2017 inscrit dans le programme Ambition bio de 2014… Ni l’objectif (loi Egalim) de 20 % de bio en restauration collective au 1er janvier 2022 il culmine à 4,5% !
2019 marque les premiers signes de ralentissement. L’année 2020 (COVID) sera elle une année exceptionnelle, l’alimentation durant le confinement ayant pris une place centrale dans notre vie quotidienne, les consommateurs se sont tournés vers le bio et le local..
En 2021 baisse des achats confirmée en 2022 . Selon l'Institut IRI, spécialiste de l'analyse des données de consommation, à la fin du mois d’octobre elle s’élèverait à près de 5% sur un an. Lait, œufs, beurre, la farine, fruits et légumes, sont les filières les plus touchées. Plus de 200 magasins bio ont fermé en 2022.
Les raisons de ce ralentissement sont multiples:
→ Un déséquilibre entre l’offre (surproduction dans certaines filières la plus connue le lait) et la demande : le marché s’est développé très vite alors que la consommation était beaucoup plus lente. A partir de 2014 l’offre s’est considérablement étoffée, ouverture de magasins spécialisés (Biocoop, Biomonde (indépendants des grands groupes de distribution) Vie Claire, Naturalia (groupe Casino). Les grandes surfaces qui se sont emparé de la bio . Devant la saturation du marché elles supprimeront ensuite des références et cesseront de la mettre en valeur. Cette réduction de l’offre aura évidemment un effet sur la demande. Les ventes de produits bio ont reculé de 7,4% dans les grandes surfaces en 2022.
Si l’arrivée de la bio dans ces établissements a permis sa démocratisation elle a parallèlement perturbé la confiance des consommateurs dans ce label : suremballages plastiques, provenances lointaines, soupçons d’un greenwashing chez les industriels de l’agroalimentaire soucieux de verdir leur image et d’élargir leurs marges… , production de légumes bio sous serres chauffées, huile de palme dans les pâtes à tartiner, nitrites dans les charcuteries…. (cf un n° spécial de 60 millions de consommateurs (2019) sur « les dérives du bio »).
→ Un contexte économique défavorable , inflation, baisse du pouvoir d’achat qui créent des inquiétudes et poussent les consommateurs vers les produits à prix plus bas que ceux de la bio qui restent élevés pour les ménages à revenus modestes, en l’absence d’un changement dans les habitudes alimentaires. Et qui sont mal compris par les consommateurs mal informés sur cette production (main d’œuvre importante, rendements plus faibles, taille plus petite des exploitations et des entreprises de transformation…) et ses exigences (cahier des charges, contrôles).
→ Le Bio est concurrencé par la multiplication des labels qui servent à promouvoir des pratiques présentées comme plus vertueuses que celles de la filière conventionnelle « zéro résidu de pesticides, vergers « éco-responsables », produits « sains », « sans pesticides » « Atout Qualfié Certifié » (par qui ?) ou encore « agriculture raisonnée »,« Haute Valeur Environnementale (HVE)» Des produits moins chers que le bio. Mais que valent ces allégations marketing au regard du label bio ? Comment sont-ils attribués ? Ont-ils un cahier des charges? sont-ils contrôlés ? Nombre de consommateurs auraient du mal à répondre à ces questions. Et aussi à s’y reconnaître dans les labels « bio »… à côté des labels AB (France) et Eurofeuille (Europe) qui combinent le label Bio à d’autres critères : Bio Cohérence, Demeter, Nature et Progrès, Bio Equitable, Bio Solidaire….
→ Le bio souffre de la concurrence des « produits locaux » définis par aucune règle. Le « consommer local » s’est accéléré depuis le confinement qui a permis à de nombreux habitants de découvrir les produits de leur territoire, et les points de vente de proximité. Pour le public un produit local est un produit « fabriqué dans leur région, artisanal et vendu en circuit court ( vente directe à la ferme, marchés, magasins de producteurs…). A l’inverse d’une industrie agroalimentaire de masse, lointaine, opaque. Ce lien quasi direct entre consommateur et producteur répond à des besoins de transparence sur la provenance des produits et de confiance, ces produits étant immédiatement perçus comme étant de qualité sans avoir besoin d'être bio…qualité organoleptique, pour la santé, pour l’environnement ( du seul fait qu’il y a moins de transport …). S’ajoute le sentiment de faire preuve de civisme en soutenant les petits producteurs locaux et l’économie de sa région.
Si l’achat local ne peut qu’être approuver, le risque c’est qu’il prenne le pas sur la bio au gré notamment de la confusion qui règne dans les étals des grandes surfaces qui alignent produits locaux qui ne sont pas bio, donc possiblement avec des traitements chimiques de synthèse et un mauvais bilan carbone (les émissions de GES liées aux engrais chimiques étant pire que celles du transport) à côté de produits bio importés qui pourraient être produits localement ou nationalement autre aberration écologique…il n’y a pas lieu d’opposer local et bio ( elle ne sera jamais totalement locale : café, chocolat, bananes…,) ils se complètent ; l’idéal reste de privilégier les produits bio et locaux comme le prônent certaines campagnes du réseau Bio.
→ Soutien à l’agriculture bio, des moyens insuffisants au regard des objectifs fixés
Voir le rapport de la Cour des comptes publié en juin 2022 sur l’insuffisance de la politique française de soutien à l’agriculture bio alors qu’elle est le meilleur moyen de réussir la transition écologique de l’agriculture.
https://www.ccomptes.fr/system/files/2022-07/20220630-rapport-soutien-agriculture-bio.pdf
. https://www.ccomptes.fr/fr/documents/60499 synthèse du rapport
La banderole de la bio au Salon de l’agriculture « Bio méprisée, Bio enterrée » résumait la situation de la Bio en crise et la réponse grandiose des pouvoirs publics à sa demande d’une aide d’urgence face notamment au risque des déconversions (cessation d’activité, retour au conventionnel…):soit 10 millions pour les fermes en difficulté, le Fonds Avenir bio ( soutien des projets de structuration de la filière) porté à 15 millions et 750 000 euros à l'Agence Bio pour soutenir une campagne de communication sur les bénéfices de l’agriculture biologique (campagne #BioRéflexe).
A mettre en parallèle avec le plan de sauvetage 2022 de la filière porcine (90% en conventionnelle) de 270 millions d’euros. Et en janvier 2023 l’engagement de l’Etat de compenser toute perte de rendement aux betteraviers privés de l’usage des pesticides néonicotinoïdes…Rien de similaire pour les producteurs contraints de vendre une partie de leur production en conventionnelle perdant ainsi de la valeur ajoutée….
- Autre illustration du « soutien » de l’Etat de la bio : la commission européenne a obligé la France à revoir sa copie relative à la répartition des aides PAC (2023-2027) rémunérant les services environnementaux rendus par les agriculteurs. La Certification HVE (Haute valeur Environnementale) bénéficiait de la même aide que la bio ! Alors que dans la majorité des cas elle ne présente aucun bénéfice environnemental (pas d’interdiction d’usage des engrais et pesticides de synthèse (un simple encouragement à les réduire…), productions hors sol autorisées... Cette certification lancée par le ministère en 2012 offre un label aux agriculteurs qui n’iront jamais en bio, leur permet de recevoir de l’argent public sans quasiment ne rien changer à leurs pratiques.
De longue date ce label soutenu par l’Etat au même titre que l’agriculture biologique, est critiqué : « un cheval de Troie » du green-washing soutenu par les milieux de l’agriculture intensive pour les associations environnement, une tromperie pour les associations de consommateurs, et pour la filière Bio une concurrence déloyale et un accaparement des aides qui pourraient aller à des mesures agro-écologiques plus ambitieuses. Les produits HVE font partie des « produits de qualité », au même de titre que la bio, exigés à partir de 2022 dans la restauration collective à hauteur de 50% dont 20% en bio (Loi Egalim).
Plusieurs associations (consommateurs, environnement, promotion de l’agriculture bio) ont saisi le Conseil d’Etat d’une demande d’interdire ce label.
- Enfin rappel en 2017 l’Etat a supprimé l’aide au maintien des producteurs bio, (versées jusqu’à cinq ans après les trois premières années d’activité, destinées à stabiliser et pérenniser une jeune exploitation bio) laissant sa poursuite au bon vouloir des régions. De ce fait les agriculteurs bio ne reçoivent plus de l’Europe que les aides à la conversion.
- Quant à l’objectif de 20% de produits bio en restauration collective, la Cour des comptes relève qu’il n’a bénéficié d’aucune stratégie de soutien, ni d’outils de suivi et que le levier de la commande publique n’a pas été suffisamment mobilisé.
L’agriculture biologique est l’avenir de l’agriculture. Une étape importante sera en 2023 la future loi sur l’orientation agricole avec pour objectif le renouvellement des générations d‘agriculteurs qui devra bien prendre en compte la Bio. Voir :
https://www.generations-futures.fr/actualites/loi-orientation-agricole/
Dans l’immédiat soutenons les pétitions lancées par les professionnels et la FNAB (Fédération nationale d’agriculture biologique):
https://www.change.org/p/emmanuel-macron-on-veut-la-bio-pour-tous
J. Thévenot
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