CO P 15- La lutte contre la désertification
COP 15 : la lutte contre la désertification
La 15ème conférence des parties de la convention des NU sur la lutte contre la désertification (CNULCD ) signée le 17 juin 1994)) s’est tenue à Abidjan du 9 au 20 mai (au moment où une sécheresse sans précédent frappe la corne de l’Afrique mettant en danger de famine 20 millions de personnes vivant majoritairement d’élevage et d’agriculture). 197 pays dont une dizaine de chefs d’Etat africains étaient présents. Cette conférence s’est tenue dans le pays africain la Côte d’Ivoire le plus touché par la déforestation. 80% de sa forêt primaire a disparu depuis 1900 (de 16 millions d’ha elle est passée à 2,9 millions en 2021), en raison notamment des planteurs illégaux de cacao et du trafic du bois..
Rappelons d’abord que la désertification n’est pas l’avancée du désert mais l’épuisement des terres cultivables sous l’effet de l’activité humaine et des changements climatiques. Si l’’Afrique est la première concernée par la dégradation des terres et l’augmentation des épisodes de sècheresse en fréquence et en durée, cette évolution est mondiale.
Aujourd’hui, plus de 3,2 milliards de personnes dans le monde vivent sur environ 2 milliards d’hectares de terres dégradées.; 500 millions de personnes habitent dans des zones déjà touchées par la désertification. Ce phénomène, s’amplifiant et touchant aujourd’hui tous les continents, représente un réel danger pour la santé humaine, la biodiversité, le climat, la sécurité alimentaire, la stabilité et la sécurité.
- 70% des terres ont été transformées par les activités humaines, notamment l’agriculture « moderne ». et 40% sont dégradées (25%en 2017) par manque de nutriments avec comme conséquence une diminution de la productivité voire une désertification et un ensablement. Selon l’ONU chaque année ce sont 12 millions d’ha de terre qui partent en poussière (soit la surface de la Belgique). La situation affecte déjà la moitié de l’humanité.
- Des sècheresses en hausse de 29% , depuis 2000 dans le monde. Plus de 2,3 milliards de personnes sont aujourd’hui confrontées au stress hydrique .Près de 160 millions d'enfants sont exposés à des sécheresses graves. L’inaction pourrait conduire d’ici 2030 à 700 millions de déplacés et en 2050, plus des trois quarts de la population mondiale pourraient être touchés par des sècheresses.
Conséquences de la dégradation des sols
La dégradation des sols n’entraîne pas seulement une aggravation de la pauvreté, de l’insécurité alimentaire, des conflits d’usage, des déplacements de population.
→ Elle participe également aux émissions de CO2 . Les sols dégradés perdent leur capacité de stockage de gaz à effet de serre(GES). A défaut d’inverser la tendance, d’ici 2050, ce sont 250 milliards de tonnes supplémentaires d’équivalent CO2 qui pourraient restées dans l’atmosphère, soit quatre fois les émissions annuelles actuelles de GES. La dégradation des forêts représentent 12 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
→Elle participe à la raréfaction des ressources en eau, les sols n’étant plus en mesure de la retenir. L’autre versant de cette situation étant à l’inverse des épisodes d’inondations catastrophiques.
→Elle participe à la destruction d’écosystèmes et à l’appauvrissement de la biodiversité.
Protéger et restaurer la qualité des sols est une urgence, c’est une question de survie , c’était l’objet de la COP 15.
Un bilan mitigé
La décision présentée comme la plus importante de cette COP est l’engagement d’accélérer la restauration à travers le monde, d’un milliard d’ha de terres dégradées d’ici 2030 (35% de la surface terrestre). Mais outre le fait que rien n’est dit sur le suivi de ces ha restaurés ce chiffre paraît nettement insuffisant si on se reporte au rapport de l’ONU sorti en amont de la conférence en avril 2022, qui estimait que dans un scénario idéal il fallait restaurer 50 milliards d’ha d’ici 2050
https://www.unccd.int/sites/default/files/2022-05/UNCCD_SDM_V34_FR_Web.pdf
Pour la première fois une journée a été dédiée à la Grande Muraille Verte. Ce projet peine à décoller. Lancé en 2007 il vise à restaurer d’ici 2030 100 millions d’ha de terres arides sur une bande de 15 km de large allant du Sénégal à Djibouti (8000km, 11 pays). Il n’a couvert à ce jour que 20 millions d’ha …Les raisons sont multiples : impact du réchauffement climatique dans des régions déjà très arides, manque d’implication des Etats, pression anthropique très forte avec les élevages et les troupeaux, seule ressource économique des populations, qui mangent les jeunes pousses, zones de guerre, manque de financement ( Le financement de la restauration des terres et des écosystèmes représente moins de 1 % de l'ensemble du financement climatique) . Ce grand programme ambitieux qui se veut être la solution africaine à la désertification sera une réussite si les acteurs locaux, communautés locales, agriculteurs ,jeunes, associations de femmes participent à la construction des solutions. Pour atteindre l’objectif fixé il faudrait restaurer 8,2 millions d’ha chaque année soit un investissement financier annuel de 4,3 milliards USD.
Le sommet de One Planet (11 janvier 2021) a prévu une levée de 16 milliards d’euros en faveur de cette initiative régionale,. Il ne s’agit pas que de planter des arbres mais bien de développer l’économie locale, pour nourrir la population, lutter contre la pauvreté, l’immigration, les conflits d’usage (notamment liés à la ressource eau) en apportant des revenus, des terres plus productives pour des espèces de plantes locales supportant ce climat ( gomme arabique, spiruline, artémisine…) couplées avec du maraîchage.
Une journée a été également dédiée à l’agroécologie qui a été retenue comme un levier pour protéger et restaurer les terres. L’agriculture intensive première responsable de l’épuisement des sols a été montrée du doigt et des modes de production plus durables ont été valorisés.
La question de mise en place d’un régime foncier a été par ailleurs reconnue comme un prérequis indispensable à une lutte efficace contre la dégradation des terres, à la survenance de conflits et des déplacements de population.
Figurent aussi dans l’accord final des « engagements » qui n’engagent à rien en l’absence de mesures concrètes pour les réaliser comme le renforcement de la résilience face à la sécheresse en identifiant l’expansion des zones arides, à combattre les tempêtes de sable et d’autres risques de catastrophes croissantes, à améliorer l’implication des femmes dans la gestion des terres, ou encore à «s’attaquer aux migrations forcées et aux déplacements provoqués par la désertification et la dégradation des terres».
Sur la sécheresse, le consensus n’a pas eu lieu ! Un sujet pourtant primordial. En Afrique de l’Est une personne meurt de faim toutes les 48 secondes.
Plusieurs pays africains plaidaient pour l’ajout à la convention des NU sur la lutte contre la désertification (CNULCD) d’un protocole additionnel sur la sècheresse et ses conséquences , calqué sur le modèle de celui de Kyoto (émissions de GES). Cet instrument juridique contraignant aurait permis de drainer des financements et d’inciter les pays touchés à mettre en place des plans d’actions, notamment relatifs aux alertes précoces. Les occidentaux ont rejeté cette demande notamment les américains sous prétexte d’aides importantes déjà prévues pour répondre aux aléas provoqués par la sécheresse. Un groupe de travail a été créé le sujet est renvoyé à la COP 16…. (2024 en Arabie Saoudite).
S’agissant de la dégradation des terres 128 pays sont engagés sur un objectif de dégradation neutre, ( restauration à l’échelle du territoire de l’équivalent de la dégradation qui n’a pu être évitée). Voir à ce sujet :
https://catalogue.unccd.int/858_V2_UNCCD_BRO_FR.pdf : la neutralité en termes de dégradation des terres- la résilience au niveau local, national et régional.-
La médiatisation autour de la COP 15 a été très faible. Sur place des absences ont été remarquées : collectivités territoriales, grandes ONG, secteur privé (entreprises, multinationales), média international…alors que la dégradation des sols est l’un des plus importants défis que l’humanité doit relever. Cela passe par un accompagnement des pays les plus vulnérables dans la prévention de la dégradation des terres, leur restauration, leur gestion de manière durable et la résistance à la sècheresse. Et par la prise de conscience des pays développés des conséquences de leurs modes de production et de consommation.
La déforestation mondiale est due principalement à l’agriculture à travers l’huile de palme (Asie de l’Est), le bois , le cacao (Afrique), le soja, l’élevage bovin (ler facteur mondial en Amazonie brésilienne) des produits liés à la déforestation, que nous importons pour notre consommation. A une forte consommation de viande et de produits laitiers, s’ajoutent des importations non régulés des produits liés à la déforestation, les soutiens financiers scandaleux apportés par les banques aux entreprises de l’agrobusiness et enfin une demande croissante d’agrocarburants.
L’Union européenne contribue indirectement pour environ 36% à la déforestation liée au commerce.de denrées agricoles et de boeuf . Elle importe chaque année 17 millions de tonnes de protéines brutes végétales (soja, légumes secs, tournesol...), dont 13 millions de tonnes de graines de soja, ce qui en fait le deuxième importateur mondial derrière la Chine (environ 100 millions de tonnes par an). 87% de ce soja importé sert à nourrir les animaux: essentiellement la volaille (50%), les porcs (24%), les vaches laitières (16%), les bovins allaitants (7%) et les poissons (4%).
Elle vient de faire un premier pas pour lutter contre la déforestation avec la publication par la Commission ( sous la pression des citoyens européens) en novembre 2021 d’un projet de loi pour mettre un terme à cette situation. Texte qui devra être amendé sur plusieurs points par le Conseil européen et le Parlement pour être vraiment efficace :
- Le texte ne fait référence qu’aux forêts alors que d’autres écosystèmes sont menacés par l’expansion agricole telles les savanes, les prairies, les mangroves, les tourbières
- Il ne mentionne pas la protection des peuples autochtones et collectivités locales
- Il n’exige aucun devoir de vigilance des acteurs financiers
- Et enfin ne mentionne aucun objectif de réduction quantitative de la demande
Indispensable si l’on veut mettre fin à la déforestation.
La France adopté le 14 novembre 2018 « la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée » (SNDI en application du plan climat de 2017) pour mettre fin d’ici à 2030 à l’importation de produits agricoles et forestiers contribuant à la déforestation (filières cacao, bois soja, hévéa, huile de palme, bœuf et co-produits). Une stratégie qui ne l'a pas conduite à adopter des mesures fortes contraignantes pour réduire réellement l’ empreinte forêt de ses importations et répondre à son objectif : d’amener chaque acteur (producteurs, entreprises, investisseurs, consommateurs), à faire évoluer ses pratiques .
Citons notamment:
→ la sortie des agro carburants de "première génération", produits à partir de cultures agricoles alimentaires colza, maïs, tournesol, soja, palme pour le biodiesel ;canne à sucre., blé , maïs, betterave pour le bioéthanol.. est encore D’une part ces cultures impose de libérer des surfaces très importantes c'est l'une des causes de la déforestation. Et d’autre part elles posent le problème de la concurrence de l’usage des terres et peuvent priver certains pays de leurs ressources alimentaires.
.Alors que la règlementation européenne sur l’utilisation des énergies renouvelables dans les transports permet depuis 2020 aux Etats de sortir de l’incorporation de 7% de ces agrocarburants ,la France l’a maintenu jusqu’en 2028.
C’est contre l’avis du gouvernement que le 18 novembre 2018 dans le cadre l’examen du projet de loi de finances (PLF), l’Assemblée Nationale a voté l’exclusion des produits à ,base d’huile de palme de la liste des biocarburants à partir du 1er janvier 2020 leur retirant par la même occasion un avantage fiscal scandaleux CF l’affaire Total-raffinerie site de La Mède. Le combat de plusieurs années d’un groupe d’ONG environnement contre Total a conduit celui-ci à renoncer à l’huile de palme sur tous ses sites à compter de 2023.
→ Une planification d’une réduction de la consommation de viande ( 86 kg de par habitant et par an, les Français dépassent les Américains autour de 73kg). Si la France devait produire la totalité du soja qu’elle importe il faudrait utiliser la surface agricole de trois départements ! on ne voit pas comment la France pourrait atteindre une autonomie protéique en matière de soja si on ne végétalise pas nos assiettes.
→ Sans oublier la question de notre modèle d’élevage (porcs, poulets, bétail, saumons...) qui repose donc sur les importations de soja :plus de 3,5 millions de tonnes/an sous forme de tourteau notamment en provenance du Brésil et rien n’est fait pour vérifier s’il a contribué à la destruction d’un écosystème, faute de contrôler les entreprises et avoir une traçabilité transparentes des matières premières à risque.
En 2021 a été lancée « la stratégie nationale pour le développement des protéines végétales » avec une enveloppe de 120 millions dans le cadre du plan de relance. Elle doit permettre de doubler d’ici 2030 les surfaces dédiées à ces productions- 2 millions d’ha- 8% de la surface agricole utile, pour la nourriture du bétail et des humains (le français consomme en moyenne 1,7kg/an de protéines végétales (lentilles, haricots secs, pois chiches…). On l’aura compris surtout du bétail. ! On va donc produire ces protéines végétales pour l'élevage hors sol, donc renforcer l'élevage intensif au lieu de travailler sur la sortie de ce modèle et celle de la logique des rendements.
La part consommée par les vaches laitières pourrait déjà sensiblement diminuer si au lieu de les garder en stabulation, on les faisait brouter à la belle saison dans des prairies de légumineuses et de graminées. La qualité de la viande serait meilleure…..
J.Thévenot
Pour mémoire :
-nos 3 articles de LVNAC « Bidoche : l’industrie de la viande menace le monde » de 2009….à partir de l’ouvrage de F. Nicolino
Articles du CNAD : Les agrocarburants solution ou futurs problèmes, 2009
A propos de l’huile de palme, 2010
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