Glyphosate, vers la ré-autorisation jusqu'en 2033?
Glyphosate, vers la ré-autorisation jusqu’en 2033 ?
Alors que les études scientifiques s’accumulent pour montrer la dangerosité de ce produit tant pour l’environnement que pour la santé, les 27 Etats de l’Union européenne avaient le 13 octobre à se prononcer sur une proposition de la Commission de reconduire son autorisation pour 10 années supplémentaires ! En 2017 18 Etats avaient voté le renouvellement de la licence pour cinq ans (la France avait voté contre), elle sera ensuite encore prolongée d'une année dans l'attente d'une évaluation scientifique de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Elle arrive à expiration le 15 décembre 2023.
La proposition a été rejetée faute de majorité qualifiée, qui nécessitait
un vote oui émanant de 15 Etats (55% des Etats membres) et représentant au moins 65% de la population européenne. Les pays du Sud et de l’Est ont voté pour, l’Autriche et le Luxembourg ont voté contre, la Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas et la France se sont abstenus
Un nouveau vote doit intervenir en novembre. Mais cette fois s'il n'y a toujours pas de majorité qualifiée d'Etats opposés, la Commission aura les mains libres pour décider seule la prolongation sur sa proposition initiale ou une nouvelle version modifiée.
Depuis 2015 la dangerosité du glyphosate suscite la controverse. Il est classé par le CIRC (centre international de recherche sur le cancer) qui dépend de l’organisation mondiale de la santé, comme désherbant « cancérigène probable pour les humains». En France en 2021 une étude de l'Inserm( institut national de la santé et de la recherche médicale), organisme de référence au niveau mondial , relève la génotoxicité du glyphosate, des effets sur le microbiote et des propriétés probables de perturbation endocrine. https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2021-06/inserm-expertisecollective-pesticides2021-resume.pdf
Ce qui n'est pas le cas des agences européennes. Pour l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) la substance active ne peut pas être classée dans la catégorie des substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques. Et l’EFSA (autorité européenne de sécurité des aliments) a jugé (rapport 2023) ne pas avoir identifié de "domaine de préoccupation critique" pour les humains, les animaux ou pour l’environnement susceptible d’empêcher son autorisation ou le renouvellement de son autorisation
https://www.efsa.europa.eu/fr/news/glyphosate-no-critical-areas-concern-data-gaps-identified
Tout en précisant que les données sur lesquelles elle s’appuie pour évaluer les risques d'utilisation du glyphosate sont incomplètes et que des questions restent non résolues,: risque alimentaire, risque pour les plantes aquatiques, toxicité de l'un des composants présent dans la formulation de pesticide à base de glyphosate... Quant à l'écotoxicologie l'agence évalue un risque élevé à long terme pour les mammifères dans 12 des 23 utilisations proposées du glyphosate...Ce devrait être une raison suffisante pour que s'applique le principe de précaution et que les Etats ne votent pas la prolongation!
C'est sur la base des avis de ces agences que repose la proposition de la Commission européenne. Alors même que leurs études sont mises en cause car elles reposent essentiellement sur celles fournies par les industriels dans leur demandes d'autorisation et ignorent les très nombreux effets toxiques du glyphosate mises en évidence par la recherche scientifique indépendante. Le glyphosate est la substance la plus étudiée qui existe. Avec l'accumulation des connaissances sur ce produit, les divergences entre science et évaluation de ces agences sont de plus en plus flagrantes.
La France et le glyphosate en arrière toute :
2017 : E. Macron tweete que le glyphosate sera interdit en France « dès que des alternatives seront trouvées et au plus tard dans trois ans » La France en 2017 vote contre la ré-autorisation du glyphosate dans l’UE pour une durée de cinq ans.
A compter du 1er janvier les pesticides de synthèses sont interdits en France dans les lieux publics (parcs, espaces verts).
2018 : Le glyphosate disparaît des radars : il n'est pas mentionné dans la loi « Agriculture et alimentation » d'octobre prise suite aux Etats généraux de l'alimentation. Les députés rejetteront l'inscription dans la loi de l'objectif de son interdiction. Ce sera l'une des raisons de la démission en août de N. Hulot, ministre de la « transition écologique » qui dénonce la pression des lobbies notamment agricoles.
2019 : mis en place d’ un plan d’action pour la sortie du glyphosate. Objectif -25% en 2020 et -50% en 2025, fin des principaux usages du glyphosate d’ici trois ans au plus tard et d’ici cinq ans pour l’ensemble des usages, tout en précisant que les agriculteurs ne seraient pas laissés dans une impasse…
Au ler janvier l’achat, l’utilisation, le stockage des désherbants à base de glyphosate sont interdits aux particuliers (un florissant trafic s’organise sur Internet....) mais toujours pas pour l'usage agricole.
2023 : la France vient de s'abstenir courageusement sur le renouvellement de l'autorisation du glyphosate pour 10 ans. Le ministère de l'agriculture, dans la main de la FNSEA en tête pour la ré-autorisation, explique que la France n'est pas opposée à la molécule du glyphosate..., mais estime que la durée proposée par la Commission est trop longue et elle souhaite que l'UE se rallie à sa position , ne la ré-autoriser que pour les usages pour lesquels il n'y a pas d'alternatives viables. La question pour la France n'est plus manifestement la ré-autorisation du glyphosate mais pour combien de temps ! Quant aux mesures alternatives elles existent : couverts végétaux, rotation des cultures, décalage des semis., désherbage mécanique ou manuel... voir le rapport de lNRAE: « usages et alternatives au glyphosate dans l'agriculture française »
https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/resume-executif-rapport-glyphosate-inra-5.pdf
Si l'autorisation était prolongée au niveau européen chaque Etat restera chargé d'autoriser les produits contenant du glyphosate en fixant les règles d'utilisation ; en France c'est le rôle de l'Anses(Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail).
Théoriquement ils pourraient les interdire... mais dans le cadre de la réglementation européenne....L'expérience du Luxembourg illustre la difficulté de l'exercice. En 2020 il retire l'autorisation de mise sur le marché aux produits phytopharmaceutiques à base de glyphosate. Bayer dépose un recours devant la Cour administrative du Luxembourg contre l'interdiction de ses produits dont le Roundup. La Cour lui donne raison : « cette interdiction est en contradiction avec le régime juridique de l'UE qui permet leur distribution » et le Luxembourg a été contraint de faire machine arrière.
Le glyphosate occupe une place à part dans la panoplie des pesticides utilisés en agriculture. Désherbant très efficace, facile d'emploi, pas cher, plus besoin de main d'oeuvre, des parcelles de plus en plus grandes, utilisé dans les OGM conçues pour lui résister dont le soja d'Amérique latine dont se gave l'Europe pour ses élevages industriels de cochons et volailles, il est emblématique de l'agriculture intensive qui s'est développée en France comme dans le monde entier, pour répondre aux demandes de la société ( hausse de la productivité, produits standardisés...).
Ne pas l'interdire dès maintenant, continuer à l'autoriser d'année en année comme le fait l'UE c'est repousser le problème du modèle agricole actuel qui atteint ses limites, empoisonne terre et humains et repose sur des bases qui rendent son usage nécessaire, le glyphosate soutenant l'ensemble du système agricole. Un système qui restera bloqué si déjà aucune décision ne fixe l'horizon de sa sortie pour laisser aux agriculteurs le temps de s'organiser, de changer les pratiques, et à la recherche de progresser. Sortie qui implique la mise en œuvre immédiate d'une politique de soutien et d'accompagnement des agriculteurs pour sortir de ce modèle. Ce qui suppose une volonté politique de changer le système actuel, inexistante tant au niveau national qu'européen.
La France masque son manque de volonté en renvoyant la question de l'interdiction du glyphosate au niveau européen. La proposition de la Commission émaillée de quelques restrictions d'usage, insuffisantes à son avis, lui permet de pousser des cris d'orfraie tout en étant favorable à la remise en scelle de l'herbicide.... Et il est plus confortable de s'abstenir pour éviter toute majorité qualifiée et laisser le mauvais rôle à la Commission qui assumera alors seule la décision du renouvellement de l'autorisation; décision basée sur des considérations économiques et techniques de court terme qui priment sur les considérations environnementales et de santé publique.
J. Thévenot
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