Les lanceurs d'alerte: protégeons ceux qui nous protègent
Les lanceurs d’alerte : protégeons ceux qui nous protègent
La maison des lanceurs d’alerte nous invite à signer son appel pour soutenir ses propositions et porter la voix des lanceurs d’alerte à l’Assemblée nationale !
https://loi.mlalerte.org/je-signe/
Le 17 novembre 2021, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une nouvelle proposition de loi ( du député Sylvain Waseman) qui vise à corriger la loi dite loi Sapin 2 de 2016 (n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique). Cette loi marquait un grand progrès en mettant en place une protection globale du lanceur d’alerte en lieu et place de plusieurs lois sectorielles prises en réponse à des scandales…, fraude fiscale affaire Cahuzac, sécurité du médicament, affaire du Médiator (irène Frachon)… Mais en pratique elle s’est révélée insuffisante notamment en matière de protection contre les représailles, d’accompagnement de suivi de l’alerte, de couverture du risque financier…et elle n’a pas ouvert la voie à d’avantage d’alertes.
La nouvelle loi vise donc à renforcer la protection des lanceurs d’alerte et également à transposer dans notre droit une directive européenne du 23 octobre 2019 qui permet la création d’un cadre commun pour la protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union européenne.
Alors que les députés ont adopté des avancées significatives le Sénat, en commission, est revenu sur plusieurs dispositions clé au point de susciter l’inquiétude des associations qui défendent les lanceurs d’alerte. Elles voient dans ces propositions sénatoriales des attaques extrêmement graves et aux droits des lanceurs d’alerte et aux droits des citoyens d’être informés.
Après les votes en séances le texte doit passer devant une commission mixte paritaire ( 7députés et 7 sénateurs) pour aboutir à la conciliation des deux assemblées sur un texte commun. Les prochains rendez-vous sont fixés les 8 février au palais Bourbon et 16 février au Luxembourg. Le Parlement interrompt ses travaux fin février en raison des échéances électorales, il reste donc peu de temps… En cas d'échec sur un texte commun, c'est l'Assemblée nationale qui aura le dernier mot d’où l’importance de faire pression sur elle pour qu’elle reste ferme sur les dispositions qu’elle a votées pour protéger ceux qui s’exposent personnellement pour le bien commun.
→ Sur la définition du lanceur d’alerte
Le Lanceur d’alerte est « la personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général » ou une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation du droit international ou de l’Union européenne, de la loi ou du règlement .
La loi Sapin imposait la condition que la violation de la règle soit grave et manifeste. Les députés l’ont supprimée.
Position du Sénat :
- La commission des lois s’est opposée à la suppression de la condition de gravité. Les lanceurs d’alerte ne seraient protégés qu’en cas de signalement de faits présentant un certain degré de gravité ce qui restreint très nettement le champ des lanceurs d'alerte. De plus cette condition de gravité ne figurant pas dans la directive européenne elle ne s’appliquera donc pas pour les cas de violation du droit européen.
- La notion de menace ou de préjudice pour l’intérêt général (déjà présente dans la loi Sapin) est remplacée par le Sénat par celle « d’actes ou d’omissions allant à l’encontre des objectifs poursuivis par les règles de droit ». Donc si cet amendement était voté seules les personnes qui dénonceraient des crimes ou délits bénéficieraient du statut de lanceur d’alerte et son seul rôle serait de faire appliquer le droit. La notion de « préjudice pour l’intérêt général » est essentielle car elle permet la dénonciation de faits qui ne sont pas des délits à l’exemple des révélations d’optimisation fiscales, elles nuisent à l’intérêt général mais ne sont pas illégales (cf l’affaire Luxleaks accords entre le fisc luxembourgeois et certaines multinationales révélés par Antoine Deltour). Selon le Sénat le texte des députés laisse une marge d’appréciation excessive au juge. En démocratie c’est au peuple et à ses représentant et non aux tribunaux de dire ce qui relève ou non de l’intérêt général.
→ Le statut des facilitateurs
La directive européenne dispose que les personnes physiques qui assistent les lanceurs d’alerte à effectuer le signalement ou la divulgation (collègues, proches…) doivent bénéficier des mêmes protections qu’eux notamment la protection contre les représailles. Les députés sont allés au-delà en incluant dans cette protection les personnes morales de droit privé à but non lucratif (associations, syndicats…) en lien avec les lanceurs d’alerte comme l’autorise la Directive européenne qui prévoit l’adoption de mesures plus favorables. La directive européenne ne constitue qu'une norme minimale. L’aide apportée aux lanceurs d’alerte pas forcément préparés aux conséquences de leur prise de parole est essentielle.
Le Sénat a limité le statut de facilitateur aux seules personnes physiques. Il considère qu’il y a un risque que des associations de façade soient créées, soit par des détenteurs d'intérêts économiques, soit même par des puissances étrangères, pour déstabiliser des entreprises ou des administrations françaises et que dans le secteur associatif, on trouve le pire comme le meilleur….
Priver le lanceur d’alerte de l’appui d’ associations ou de syndicats, le laisser seul dans le parcours de combattant qu’il a eu le courage d’engager n’ est-il pas le plus sûr moyen pour lui de voir son action ne pas aboutir ?.
→ Sur le soutien financier
Les députés ont prévu un mécanisme de soutien financier pour le lanceur d’alerte, dans le cadre de recours contre des mesures de représailles (énumérées à l’article 5 de la proposition de loi) ou de procédures bâillons-qui instrumentalisent la justice pour faire taire un lanceur d'alerte (personne physique association) que le problème qu’il soulève n’arrive pas sur la place publique. La méthode utilisée par les entreprises, institutions mises en cause, consiste à dégainer les premiers les actions en justice devant le tribunal pénal le plus souvent avec une horde d’avocats et de demander des dommages intérêts d’un montant exorbitant. Ce sont pour le lanceur d’alerte des procédures très longues, inconfortables et stressantes.
Dans une telle situation le juge peut sur sa demande, lui allouer une provision pour couvrir les frais d’instance à la charge de l’autre partie. Il est prévu que le juge peut décider à tout moment de la procédure et pour des considérations d’équité, que la provision versée reste définitivement acquise au lanceur d’alerte dans le cas où il perdrait son procès..
Désaccord du Sénat qui juge qu’une telle décision ne peut être prise avant le jugement sur le fond : en clair la provision ne peut être définitive qu’en cas de victoire judiciaire du lanceur d’alerte.
Les sénateurs auraient préféré la création d’un fonds spécial d’aide aux lanceurs d’alerte alimenté par le produit des amendes infligées aux personnes qui cherchent à faire obstacle au lancement d’alerte. Juridiquement c’est impossible en application de l’article 40 de la Constitution : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique ». Seul le gouvernement peut donc pallier ce problème…
→ Sur le principe de l’irresponsabilité civile et pénale
Le Sénat a limité cette irresponsabilité sur 2 points :
- En s’appuyant sur la directive européenne le lanceur d’alerte ne serait soit civilement soit pénalement irresponsable, que s’il était nécessaire pour sauvegarder les intérêts en cause de divulguer l’intégralité des informations qui ont été effectivement divulguées. Selon le sénat il s’agit d’éviter la diffusion sur internet de milliers de documents confidentiels au seul motif que l’un d’eux laisse penser qu’une violation même mineure a été commise.
- L’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte en cas d’atteinte à un secret protégé par la loi ne pourra pas non plus s’appliquer ni aux atteintes à la vie privée (violation de domicile ou locaux professionnels) ni aux atteintes aux traitements automatisés de données. Amendement pris sous la pression des milieux agricoles pour s’opposer aux associations –introduction sans autorisation voire par effraction dans des exploitations pour tourner des clips vidéo publiées ensuite sur internet … (première visée… l’association L.214 –protection animale-).
A l’heure où se manifeste une volonté plus grande des citoyens français d’une société plus transparente, d’une démocratie renouvelée et d’une moralisation de la vie publique, la France se doit de mettre enfin en place un droit d’alerte des plus protecteurs pour des personnes courageuses et vulnérables en raison des risques auxquelles elles s’exposent tant dans leur vie professionnelle (représailles :mutation forcée, licenciement, mise au placard, coupure de crédits…), sociale que personnelle (menaces, pressions, intimidations par le lancement d’actions en justice…,). . Ils ont mis à jour un scandale potentiel ou imminent au sein de leur entreprise ou d’une institution. Ils se lancent, ils donnent l’alarme, conscients d’un danger pour l’intérêt général auquel ils acceptent de sacrifier leur intérêt individuel. Et souvent c’est un long combat qui commence à l’issue incertaine. Ils défendent un droit fondamental de notre République, la liberté d’expression sous ces deux aspects : le droit de diffuser l’information et le droit pour les citoyens de la connaître.
Ils jouent un rôle essentiel dans notre démocratie en souffrance, jamais la défiance vis-à-vis des responsables publics qui devraient incarner l’intérêt général n’a été aussi grande comme à l’égard des acteurs privés notamment les multinationales. Ils sont une forme de réponse à ceux qui ont perdu confiance en l’Etat et leurs représentants. Ils dénoncent les excès d’un système libéral qui ronge la démocratie, tyrannie du court terme du politique et recherche du superprofit. Ils disparaîtront lorsque les responsables s’intéresseront un peu plus à l’éthique et à l’intérêt général….en attendant… il faut être très attentif à tout ce qui peut permettre à ces citoyens courageux de nous éclairer.
J. Thévenot
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4398_proposition-loi#
https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/lanceurs-dalerte
https://reporterre.net/Les-lanceurs-d-alerte-doivent-etre-proteges-par-une-loi-exigeante
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