protéger le foncier agricole, une urgence
Protéger le foncier agricole , une urgence
« L’artificialisation galopante et la financiarisation des terres agricoles menacent la souveraineté alimentaire et le renouvellement des agriculteurs » tel est le constat du récent rapport des parlementaires Anne Laurence Petel (LREM) et Dominique Potier (PS) qui étaient en charge d’une mission d’information sur le foncier agricole.
http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rap-info/i1460.pdf
La notion d’artificialisation :
On parle d’artificialisation lorsqu’il y a conversion d’espaces agricoles, forestièrs ou naturelles pour la construction d’habitats, de zones d’activité, zones de loisirs (parcs publics, terrains de sport ) et de routes. Mais rentre également dans l’artificialisation la destruction de prairies pour la mise en culture , les milieux forestiers gérés en intensif et monoculture (douglas, peupleraies…) avec la différence que la réversibilité reste possible…
Les conséquences de l’artificialisation c’est une diminution des terres agricoles disponibles et des effets majeurs sur l’environnement: réduction de l’infiltration de l’eau qui aggrave les crues et réduit la recharge des nappes phréatiques, pollutions chroniques ou accidentelles des nappes, appauvrissement de la biodiversité par la destruction ou le morcellement des habitats….sans oublier le rôle majeur que jouent les sols dans la lutte contre les changements climatiques en raison de leur capacité de stockage des GES.
Chaque jour 165 ha de milieux naturels et agricoles sont détruits, soit 6 ha par heure soit encore tous les 7 ans l’équivalent de la surface d’un département artificialisé.
La moitié des terres prises sur des zones naturelles et agricoles est destiné à l’habitat, un tiers aux activités économiques (zones commerciales, artisanales, équipements sportifs..) le reste aux infrastructures de transports , équipements verts des zones urbaines…
Les surfaces agricoles représentent la moitié du territoire, cette part a diminué de près de 10% en 20 ans et souvent les terres les plus fertiles car leur consommation se fait sans aucune prise en compte de la qualité des sols. Les espaces artificialisés représentent 9,3% du territoire, les espaces naturels qui resteraient stables 39,3%.
Ces chiffres sont pris dans le rapport mais les parlementaires critiquent les méthodes actuelles de mesure de l’artificialisation. Ils notent le peu d’efficacité de l’Observatoire des Espaces naturels, Agricoles et Forestiers (OENAF créé en 2013) censé élaborer des outils pertinents pour mesurer la consommation foncière et suivre sa dynamique.
Le rapport demande que la France se dote d’un seul outil de mesure de l’artificialisation au niveau national .Actuellement 2 outils sont utilisés qui ne donnent pas les mêmes résultats. D’une part l’outil Corinne Land Cover qui se préoccupe d’urbanisme et d’aménagement du territoire et décline les sols en tissu urbain, zones industrielles et commerciales, réseau de transport et donne le chiffre de 5,8% d’artificialisation (qui est déjà faux puisque les espaces de moins de 5 ha ne sont pas pris en compte). D’autre part l’outil Teruti-Lucas qui se préoccupe du foncier agricole et de la protection des espaces naturels. Il chiffre le taux à 9,3% en prenant en compte les sols bâtis, revêtus et également les sols artificialisés enherbés ou nus (espaces verts, zone de loisirs, jardins…). Avec l’inconvénient de mettre dans la même catégorie un jardin public et un parking bétonné. C’est bien l’imperméabilisation des sols qui apparaît comme le stade ultime de l’artificialisation qui est alors irréversible. Deux tiers des terres artificialisées sont imperméabilisées en sols bâtis et non bâtis (parking, routes).
Pour lutter contre l’artificialisation Le rapport préconise la mise en place d’ci 2025 sur tout le territoire de SCOT (Schéma de cohérence territoriale) et de PLUi (Plan Local d’Urbanisme intercommunal) qui soient plus prescriptifs et prennent en compte la qualité des sols pour définir les zones réservées à l’agriculture. Les zones à urbaniser doivent être évaluées strictement en fonctions des besoins réels définis par une croissance démographie non surestimée comme trop souvent et en tenant compte des possibilités de densification urbaine. - Pour les zones économiques les députés recommandent l’augmentation de l’indice de densité et la limitation de la construction de parkings aériens pour les zones commerciales.
Ils prônent par ailleurs le développement des outils existants permettant aux élus de mieux protéger sur le long terme le foncier agricole, tels les ZAP (*Zone agricoles protégées) et les PAEN (Périmètres de protection des espaces agricoles) encore trop peu utilisés (seulement 135000 ha, soit 0,5% de la surface agricole, sont protégés par ces instruments). Ainsi que le renforcement du rôle et des moyens de la Commission Départementale de la Préservation des Espaces Naturels Agricoles et Forestiers (CDPENAF) qui ne donne que des avis simples ( donc pas nécessairement suivis…) sur les documents d’urbanisme et sur un certain nombre d’aménagements.
Cf : www.loire-baratte.com/Fichier2.htm/scot-gn.htm demande de l’association St Fiacre du classement du val maraîcher de la Baratte dans le cadre du SCOT du Grand Nevers
L'accaparement des terres agricoles par des sociétés financières
L’accaparement des terres agricoles se traduit par la concentration du foncier aux mains des plus puissants financièrement ( sociétés, fonds spéculatifs…)
Le rachat par un investisseur chinois de 2600 ha de terres à blé dans l'Indre (1700ha) et l'Allier(900ha) a mis en lumière ce phénomène en pleine expansion en France comme partout dans le monde qui entraîne la hausse du prix des terres agricoles qui les rend inaccessibles aux jeunes agriculteurs alors qu’ils sont les acteurs du changement de modèle agricole. La mainmise sur le foncier de sociétés conduit au contraire à l’extension du modèle intensif ( exploitations de plus en plus grandes, monocultures, priorité au rendement, tourné vers l’exportation d’où un enjeu de souveraineté alimentaire…) . L'investisseur chinois aurait acheté l'ha le double du prix du marché.
Aujourd’hui l’accaparement foncier reste principalement le fait d’opérateurs nationaux (grands groupes agro-alimentaires, voire la grande distribution…).
La réglementation en la matière est défaillante. Les SAFER (chargées de veiller à l'aménagement rural et foncier) sont obligatoirement informées de toute transaction sur le foncier agricole appartenant à des sociétés mais elles ne peuvent pas activer leur droit de préemption en cas de cession d'une exploitation agricole si le rachat ne porte que sur une partie des parts d'une société (cas de la transaction chinoise). Dans les faits les ventes totales ne représentant que 4% des opérations de cession ; donc à terme les SAFER ne seront plus en mesure de remplir leur mission. Les exploitations gérées sous forme sociétaire qui rend difficile l’identification des propriétaires, échappe à tout contrôle et permet de contourner les règles contre l’accaparement couvrent aujourd’hui 16,7 millions d’hectares soit plus de 60 % de la surface agricole utile( contre 2 % seulement en 1970).
D’ici 2022 un tiers des agriculteurs vont partir en retraite ce qui ne peut qu’aggraver ce phénomène de voir disparaître nos agriculteurs en tant que tels au profit d’un système où la terre serait détenue par des fonds et exploitée par des employés avec une concentration des terres dans un nombre de plus en plus restreint de mains.
Le rapport parlementaire préconise de redéfinir et renforcer le rôle des SAFER, de recenser la totalité des transactions financières, de réaliser un inventaire des friches. L’augmentation des terres incultes est en effet une cause tout aussi importante dans la réduction des espaces cultivés ; en milieu périurbain la déprise résulte de la volonté d’un propriétaire de ne pas relouer sa terre dans l’attente du classement de celle-ci en terrain constructible afin de réaliser une plus value qui peut être très importante. Le rapport recommande la rénovation du statut du fermage trop dissuasif pour les propriétaires (peu rénumérateur et quasi irréversible).
Le rapport pointe également la fiscalité sur le foncier et le bâti qui globalement n’incite pas à l’économie d’espace ( dispositifs favorables à la construction neuve au détriment de la rénovation du bâti existant) et les plus- values foncières trop faiblement taxées).
Depuis une quinzaine d’années la politique de protection des espaces agricoles, naturels, forestiers a fait l’objet de nombreuses dispositions législatives ; la consommation de ces espaces n’a pas pour autant diminuer. Les règles posées sont trop peu contraignantes faute d’objectifs chiffrés pour des collectivités locales en concurrence entre elles.
. Dans la majorité des départements y compris en situation de décroissance démographique et économique et présence de logements vacants l’étalement urbain se poursuit : nouvelles zones pavillonnaires et zones d’activité restent le modèle d’urbanisation consommateur d’espace qui peut même ne pas répondre à une demande mais viser à l’attirer en donnant une image dynamique de la commune…Ajoutons les nouveaux « complexes de loisirs », comme le gigantesque Europacity* qui doit être construit aux portes de Paris à l’horizon 2024.
-Pour protéger les surfaces naturelles et agricoles le Plan biodiversité (juillet 2018) a introduit l’objectif de « zéro artificialisation nette » : tout projet artificialisant de nouvelles terres (étalement urbain, infrastructures) devra être compensé par une déconstruction équivalente (parkings surdimensionnés, sites industriels ou zone d’activité devenus vacants …) mais sans aucune indication sur la date de sa mise en œuvre… C’est l’horizon de 2050 qui a été préconisé en 2011 par la Commission européenne pour l’application d’une telle mesure .La question se pose de savoir s’il sera suffisant de s’appuyer uniquement sur les collectivités… pour la mise en œuvre de ce changement majeur dans les principes de l’urbanisme. D’aucuns préconisent l’instauration d’ une taxe sur l’artificialisation et sur les plus-values mais aussi que les extensions urbaines ne soient plus autorisées que par l’Etat ou les régions.
-La densification urbaine inscrite dans plusieurs lois (SRU, ENE loi Grenelle, ALUR) qui consiste à aménager ou construire davantage sur un même espace doit contribuer à stopper l’étalement urbain et l’ imperméabilisation des sols qui l’accompagne.
Le principal responsable de l’artificialisation des sols est le logement. En première ligne le modèle du lotissements de maisons individuelles n’est pas viable sur le long terme il doit être entièrement repensé dans le sens d’une densification douce: maisons mitoyennes, petits immeubles avec jardin privatif, hameaux compacts … de nature aussi à relancer le lien social . « La crise des gilets jaunes »a bien révélé les difficultés économiques des français qu’engendre l’étalement urbain qui dévitalise les centres de villes et augmente les trajets domicile travail soumis à l’utilisation de la voiture en l’absence de transports en commun.
-Enfin au plus tard en 2022 la restauration collective publique devra offrir au moins 50% de produits issus de l’agriculture biologique ou de qualité prenant en compte la préservation de l’environnement. Dans un tel contexte place doit être faite aux agricultures périurbaines pour un approvisionnement alimentaire des villes en circuit court ce qui doit conduire les communes et les intercommunalités à constituer dans les ceintures périurbaines des réserves foncières dédiées à l’agriculture locale et à la création de jardins partagés qui puissent garantir une souveraineté alimentaire dans les territoires.
C’est bien notre mode de vie qui conduit au bétonnage du territoire. Au-delà de tous les outils existants ou à venir la lutte contre l’artificialisation des sols est une question politique ; il y a un choix à faire : continuer cette fuite en avant de perte de capacité agricole et de perte de biodiversité en rejetant les habitants des villes dans les campagnes que l’on détruit et en créant un étalement urbain de cités dortoirs et de zones commerciales tandis que le centre des bourgs des villes moyennes se meurent ou remettre l’agriculture et l’environnement au même niveau que l’économie et le développement pour une meilleure considération des espaces naturels,forestiers et agricoles.
j.Thevenot
· Europacity Sur un espace de 280 ha de terres agricoles parmi les plus fertiles 80 ha sont dédiés au projet :17 ha pour un parc urbain et une ferme et tout le reste pour du bâti (commerces-500 boutiques, restaurants (10ha!) hôtels (2000 chambres...), espaces culturels, piste de ski…). Ce projet est porté par la filiale immobilière d’Auchan, et le groupe chinois Dalian Wanda, le plus grand promoteur immobilier au monde.
· Projet de Roybon : un center Parcs sur 200 ha dans la forêt de Chambaran en zone humide, 1000 cottages, commerces, restaurants, bulle tropicale…
· Et chez nous à Sardy lutte victorieuse contre un projet de zone industrielle implantée dans un bois de feuillus de 110 ha et sa zone humide…tout l’historique sur ce blog.
Evolution de l’artificialisation des sols en Bourgogne Franche comté
https://www.alterrebourgognefranchecomte.org/f/mediatheque/10768/fiche
« Terre de liens », un réseau associatif qui veut stopper la disparition des terres agricoles et permettre l’accès au foncier à des futurs agriculteurs souhaitant s’installer en agriculture biologique, agro-écologique ou biodynamique en soustrayant les terres agricoles à la logique du marché financier. Pour cela il mobilise et fédère des citoyens.
v
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