Les agrirculteurs sont-ils vraiment mal aimés?
Les agriculteurs sont-ils vraiment mal aimés ?
Et victimes de ce qu’ils nomment « l’agri-bashing » un des slogans de la FNSEA déployé au salon 2019 de l’agriculture, lors de sa campagne pour l’élection des chambres d’agriculture et lors des manifestations organisées sur tout le territoire en octobre 2019 avec le syndicat des jeunes agriculteurs.
Des ONG, journalistes, associations (environnement, consommateurs), médias s’emploieraient à un dénigrement systématique et permanent dans l’espace public de la profession agricole et des agriculteurs. De là à se présenter comme des victimes ou des boucs émissaires il n’y a qu’un pas.
Voir sur STOP#agribashing, #les agriculteursboucsemissaires, #lafakeagricole….
Reste à se demander si cette démarche n’est pas de nature à accroître la fracture avec l’opinion publique et si ce n’est pas un moyen de cacher les vrais sujets !
Cet agri-bashing dénoncé par la FNSEA correspond -il à la réalité ?
→ Non si on se réfère à des sondages tel celui de l’IFOP édition 2019 du « baromètre d’images de l’agriculture »- vague- 19 de février mené pour Ouest France qui montre au contraire une amélioration de l’image des agriculteurs dans le public après différents scandales dans le secteur agro-alimentaire (Spanghéro, lactalis…) :65% des Français les jugent respectueux de la santé, 53% respectueux de l’environnement, 71% soucieux du bien-être animal.( www.ifop.com).
Un sondage d’Odoxa –Dentsu Consulting pour France info et le Figaro du 21 février 2020 8 français sur 10 ont une bonne voire très bonne opinion des agriculteurs. Un consensus qui se retrouve au niveau générationnel, au niveau sociologique, au niveau du lieu de vie (ville , campagne). Ce qui n’empêche pas les Français d’avoir des interrogations sur certains points (environnement, santé..), des réserves et des critiques… http://www.odoxa.fr/sondage/francais-plebiscitent-agriculteurs/
→ Non lorsque l’on constate que les agriculteurs et leur profession ont été ces deux dernières années très présents sur les écrans et sous un jour très éloigné de la malveillance bien au contraire. Nombreux reportages et interviews au moment des Etats généraux de l’alimentation, émissions télévisées, « le champ des possibles », « les champs de la colère », le documentaire sur la reconversion des paysans « Après l’agriculture ». Sur le grand écran, « le Petit Paysan », « Les Gardiennes », « Normandie nue », « Sans adieu », « Au nom de la terre » de E. Bergeron ,« Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes… » documentaire de Rodolphe Marconi
On notera que les émissions à charge comme « Cash investigation » ne critiquent pas directement les agriculteurs mais s’en prennent aux industries agro-chimiques, agro-alimentaires ou laitières.
De même les associations environnement ne “dénigrent pas le milieu agricole” ni le secteur agricole” elles dénoncent des pratiques –élevage industriel, fermes géantes (usines à lait ou à viande), utilisation des dont nombre d’études scientifiques démontrent les menaces qu’elles font peser sur notre santé notre environnement et la nature. Elles dénoncent un modèle qui entraîne les agriculteurs dans le mur.
→ enfin il n’y a pas qu’une seule catégorie d’agriculteurs et nombre d’entre eux ne sont pas exposés à des critiques et à des relations conflictuelles avec le voisinage ! Tous ceux qui pratiquent une agriculture paysanne ou bio ne considèrent pas que la remise en cause du modèle agro-industriel dominant soit de l’agri-bashing….
La FNSEA détournent des critiques sur les pratiques agricoles ( qui sont légitimes car argumentées, reposant sur des faits avérés) en dénigrement systématique et stigmatisation. Elles les défigurent pour pouvoir les écarter et éviter le débat.
Elle a par ailleurs largement exploité et exagéré des actions comme les intrusions dans les élevages intensifs par des militants animalistes pour dénoncer les conditions de vie atroce des animaux, des frictions en zone rurale entre agriculteurs et leurs voisins anecdotiques en matière d’odeurs, de bruit… beaucoup plus sérieusement en matière d’épandage de pesticides à proximité d’écoles et d’habitations.
L’Etat lui-même a reconnu l’agribashing à la grande satisfaction de la Fnsea. Et a mis en place des dispositifs pour répondre aux intrusions dégradations et agressions contre les agriculteurs :
- Création d’observatoire d’agribashing dans 12 préfectures
- Création d’une cellule spécifique nommée Demeter ( déesse des moissons….) à la direction générale de la gendarmerie pour identifier et poursuivre un certain nombre de faits énumérés sur le site du ministère https://agriculture.gouv.fr/demeter
« La nécessité d’appréhender la globalité du phénomène des atteintes au milieu agricole implique que le périmètre de compétence de la cellule Déméter englobe la prévention et le suivi :
- des actes crapuleux, qu’il s’agisse d’une délinquance de proximité et d’opportunité ou bien d’une criminalité organisée voire internationale
- des actions de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques.
Il peut donc s'agir de vols, de dégradations, de cambriolages, de violations de domiciles ou d'intrusions, d'occupations illégales, d'actions menées par certains groupes… »
Ce texte met sur le même plan des actes crapuleux ( qui sont des délits voire des crimes…) et de simples actions de dénigrement du milieu agricole !
Qui est visé ? Evidemment les lanceurs d’alerte sur la question animale (végans, L.214 etc…) mais tout aussi bien des mouvements comme celui des Coquelicots contre les pesticides. Il s’agit de restreindre la liberté d’expression des personnes et organisations
qui sont contre le système agricole actuel et le rendent plus transparent.
Nombre de voix qui défendent l’agriculture paysanne et biologique se sont élevées contre la cellule de renseignement Demeter décrite sur le site du ministère de l’intérieur https://mobile.interieur.gouv.fr/Le-ministre/Dossiers-de-presse/Presentation-de-DEMETER
« nous devons assurer la sécurité des agriculteurs et les défendre, impérativement.
J’ai donc décidé d’une série d’actions pour mieux protéger nos agriculteurs et c’est l’objet, notamment, de la Cellule Demeter. Créée au sein de la Gendarmerie nationale, la cellule Demeter va permettre :
- d’améliorer notre coopération avec le monde agricole et de recueillir des renseignements ;
- de mieux connaître les groupes extrémistes à l’origine des atteintes et de pouvoir anticiper et prévenir leurs actions ;
- de pouvoir gagner en efficacité par des actions et des enquêtes mieux coordonnées »
Il s’agit bien, en plus de la répression des lanceurs d’alerte de faire du renseignement … dont les méthodes sont bien connues, écoutes téléphoniques, filatures, voire des infiltrations……
Si l’image des agriculteurs en tant que telle reste bonne dans l’ensemble, si les français reconnaissent la dureté de ce métier exercé dans des conditions économiques difficiles, l’image de l’agriculture elle, a évolué
Un fossé se creuse entre la société et le monde agricole soutenu par la Fnsea.
→Les critiques contre les excès de certaines pratiques agricoles de l’agriculture « conventionnelle » ( dite intensive, industrielle, productiviste, chimique…) ne sont pas nouvelles. Mais depuis une dizaine d’années elles se sont intensifiées et ont considérablement élargi leur audience auprès du grand public.
Les critiques dans les années 95 portaient sur les OGM (organismes génétiquement modifiés) menée par les ONG, la Confédération paysanne, Greenpeace, le collectif des faucheurs volontaires. C’est l’époque aussi de la crise la vache folle où les français ont découvert avec effarement qu’on nourrissait des vaches avec de la farine animale !. Un lien entre agriculture et société a commencé alors à se rompre ; ces événements ont créé dans le public un doute profond et sur les pratiques agricoles et sur la qualité de l’alimentation.
→A partir de 2010 la critique porte sur le cœur même de l’activité agricole. Elle est dominée par celle de l’utilisation des pesticides au nom d’abord de la protection des abeilles, de la santé des agriculteurs puis à celle de l’ensemble des consommateurs en raison de la présence des résidus dans l’alimentation. D’une demande de la suppression des pesticides les plus dangereux et d’un usage modéré des autres on est passé à la demande d’une suppression de l’ensemble des pesticides de synthèse (cf l’appel « nous voulons des coquelicots").
L’adhésion citoyenne à l’interdiction du glyphosate s’est manifestée de façon très forte : entre février et juillet 2017, plus d’1,3 millions de signataires dans toute l’Union européenne se sont mobilisés pour réclamer cette interdiction. En France, une pétition allant dans le même sens a rassemblé près de 370.000 signatures. La sortie du glyphosate est devenue le symbole fort d’un changement de modèle nécessaire vers une agro-écologie respectueuse de la santé, de l’environnement, des paysans et des animaux. Ce sera le tollé chez les agriculteurs notamment de la Fnsea lorsque E. Macron, à l’automne 2017 annoncera l’interdiction du glyphosate dans les trois ans… (fin novembre 2020) dans il faut le reconnaître, une impréparation totale…..
De même la critique des excès de l’élevage conduira in fine à une remise en cause de l’élevage lui-même pour des raisons environnementales, sanitaires et de respect du bien-être animal et cela ira jusqu’à la consommation de viande ( Association L.214 voir son site www.abolir-la-viande.org ). Positionnement des Végans sur un mode de vie sans consommation ni utilisation des produits d’origine animale (alimentation, textile, produits cosmétiques ….) et qui prônent l’abolition de l’élevage sur la base d’une vision antispéciste : association 269 Life liberation animale, qui avec des groupe anti-viande comme Boucherie Abolition ont mené plusieurs actions dans les supermarchés, abattoirs, boucheries, élevages….
→Par ailleurs ces critiques étaient véhiculées au départ par des acteurs militants, associations de protection de l’environnement, journalistes, auteurs d’ouvrages* partis politiques écologistes, confédération paysanne, scientifiques (Séralini), elles étaient visibles dans un cercle assez restreint.
Ces critiques du mode de production agricole conventionnel ont été ensuite portées par de nouveaux acteurs auprès du grand public bien au-delà des cercles militants.
Notamment sur des chaînes TV publiques à des heures de grande écoute. Telle l’ émission d’Elise Lucet : « envoyé spécial » « Cash investigation » des émissions à charge consacrées aux pesticides (février 2016 et un Cash impact en 2018 ; envoyé spécial 17 janvier 2019 glyphosate comment s’en sortir), « le blues des paysans » (complément d’enquête 27/02/2020), mais également à l’industrie agroalimentaire, agrochimique ou laitière qui ne critiquent pas directement les agriculteurs mais les pratiques des industries à l’exception de celles de la viande qui débouchent sur des images d’élevage puisque les industries agroalimentaires refusent toute transparence et sur l’abattage industriel et sur les chaînes de production.
L’association L .214 (créée en 2008) s’est fait connaître par la diffusion de vidéos, tournées de façon clandestine pour dénoncer des pratiques inadmissibles et profondément choquantes dans des abattoirs, (Le maire d’Alès a fait fermer l’abattoir de sa ville le jour même de la mise en ligne d’une vidéo tournée à l’intérieur de cet établissement), l’enfer de l’élevage intensif, l’industrie de la fourrure, les expériences sur « les vaches à hublot », le gazage des cochons dans des fosses à CO2, les milliers de canetons femelles laissées à l’agonie dans des bennes au domaine de la Peyrouse établissement public de formation, médaillé d’or pour la prétendue qualité de sa production de foie gras etc..….Sans ces lanceurs d’alerte les français auraient ignoré ces horreurs.
Enfin l’attaque qui a déclenché le tollé dans les campagnes est venue du maire de Langouêt (suivi par une cinquantaine de confrères), petite commune bretonne et de son arrêté antipesticide (annulé par la justice parce qu’un maire n’a pas cette compétence)) qui fixait à 150mètres des habitations la distance d’épandage…..Les maires qui ont pris ces arrêtés ont été déclarés irresponsables par la Fnsea ! alors que face à un doute ils ont voulu prendre des précautions.
Le gouvernement lui, a réussi à provoquer la colère et chez les agriculteurs et chez les associations environnementales en fixant les zones de non traitement à 5 et 10 mètres des habitations, selon les types de culture à compter du ler janvier 2020.
Le Salon de l’agriculture 2020 vient de fermer ses portes: vitrine des fossoyeurs de l’agriculture que sont l’agro-industrie, l’agro-business, la Fnsea y tenait un stand opulent… pour visiteurs enthousiastes et crédules devant ce qu’on leur présente « comme la plus grande ferme du monde »…. ignorant la face soigneusement cachée de cette agriculture qui se veut « moderne et compétitive »… dixit encore la Fnsea.
Le slogan de cette année était « l’agriculture vous tend les bras » et « place au dialogue direct….. »..
La présidente de la Fnsea a annoncé que les agriculteurs allaient passer à une « communication offensive, ils ont besoin d’expliquer aux Français comment ils font les choses » notamment aux urbains sensés ne rien connaître de la vie professionnelle des agriculteurs… En clair de reprendre la main l’image de leur métier. On ne compte plus les agriculteurs youtubeurs qui racontent leur quotidien…(on peut se demander si cela touche le grand public).
Le problème n’est pas celui de la connaissance ou non de la vie professionnelle des agriculteurs c’est celui de ce modèle d’agriculture qui les menotte et qui n’est plus suivi ni par la société (essentiellement urbaine) ni par les consommateurs pour lesquels priment l’urgence écologique le bien-être des animaux d’élevage et la qualité d’une alimentation de proximité.
Le 11 décembre 2019 l’Europe se dotait d’un plan vert ambitieux « le green deal » le pacte vert pour répondre à l’urgence climatique (émissions des GES) et environnementale (pollution, biodiversité) . L’Europe veut se positionner comme la pionnière des transformations qui sont à mener dans tous les secteurs industriels pour répondre à l’objectif d’être le premier continent neutre en carbone en 2050.
S’il est un secteur à transformer c’est bien le secteur agricole européen qui est en limite de viabilité économique et dont les pratiques actuelles sont incompatibles avec les objectifs du pacte vert énoncés le 11 décembre.
Le Pacte vert devrait être l’occasion d’aider ce secteur à se reconvertir à une transition vers l’agroécologie et à une montée en gamme vers des produits de haute qualité environnementale et sanitaire que les consommateurs devront accepter de payer plus cher. Au lieu qu’aujourd’hui l’industrie agro-alimentaire est positionnée sur une production de masse où elle est face à d’autres compétiteurs mondiaux. Le changement indispensable des pratiques suppose un accompagnement social important. La PAC (politique agricole commune) devrait être alignée derrière « le pacte vert » donc beaucoup plus utilisée qu’elle n’est actuellement comme outil d’aide à cette transition écologique alors qu’elle a surtout largement favorisé et financé le modèle agricole industriel et intensif (donc les dégradations environnementales qui l'accompagne).
Dans le cadre des négociations pour la réforme de la PAC (2021-2027) qui auront lieu durant toute l’année 2020 au niveau européen et français, un débat public est ouvert jusqu’au 31 mai sur le site : https://impactons.debatpublic.fr Il s’inscrit dans la préparation du plan Stratégique National sur l’agriculture (PSN) qui constituera le document clef de la mise en œuvre par la France de la prochaine PAC qui lui verse environ 9 milliards/an.
Faisons entendre notre voix sur l’orientation de notre politique agricole nationale. Ce débat public organisé par la Commission du débat public est un tournant, c’est la première fois que la société toute entière a la parole sur l’avenir de notre agriculture ; c’est une opportunité pour changer un modèle jugé dépassé.
J. Thévenot
« Pesticides. Révélations sur un scandale français », Fabrice Nicolino et François Veillerette, Editions Fayard, 2007,
« Pesticides, le piège se referme » de François Veillerette (Terre
Vivante, 2002
Marie Monique Robin : Le monde selon Monsanto –livre et film
Le Roundup face à ses juges
Notre poison quotidien (documentaire)
F.Nicolino : « Bidoche, l’industrie de la viande menace le monde »
Isabelle Saporta « Le livre noir de l’agriculture : comment on assassine
nos paysans, notre santé et l’environnement ».
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