Nature et Environnement en Nièvre

Nature et Environnement en Nièvre

Agriculture: Méthanisation-vers une dérive intensive-

Agriculture : Méthanisation – vers une dérive intensive-

 

En 2014 , Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture lançait le « plan Energie, Méthanisation, Autonomie, Azote ».  objectif équiper d’ici à 2020 un millier de fermes en méthaniseurs.  Une technologie vertueuse… et pleine de promesses…Tout se passe  sur la ferme, en circuit  court, en économie circulaire…

→ Puisqu’il s’agit  à partir des déchets organiques produits sur l’exploitation ( lisier, fumier, résidus de culture- paille, fanes, cannes de maïs-) de produire du biogaz (méthane CH4  50 à 70 % + dioxyde de carbone CO2) qui peut être transformé  en électricité et/ou chaleur   (cogénération).

→ De diminuer l’utilisation d’engrais de synthèse puisque le  résidu de la fermentation des matières organiques le digestat,  peut être utilisé comme fertilisant ,

→ D’améliorer le revenu des agriculteurs par la vente de l’électricité à EDF :  un revenu complémentaire stable  qui permet aux éleveurs de faire face  aux aléas des prix des denrées alimentaires.

 

Aujourd’hui débats, alertes d’ONG, de scientifiques, sur les risques environnementaux et agricoles de cette méthanisation dite « verte » vont croissant. Dans certains territoires le développement accéléré de cette filière met en cause son acceptabilité  (odeurs, pollutions, accident…) et conduit à des oppositions frontales.

 

A l’exemple du méga-projet d’une usine de méthanisation en Loire Atlantique, à  Corcoué-sur-Logne, au sud de Nantes, sans équivalent en France.  Portée par une coopérative et 230 agriculteurs, en majorité des éleveurs bovins laitiers. Capacité de traitement près de 500000 à 650000 tonnes de déjections animales et de cultures végétales.

La coopérative est associée à Nature Energy, une entreprise danoise spécialisée dans la conception et l’exploitation de grosses unités de méthanisation.

 

L’opposition à ce méthaniseur XXL comme le nomme le collectif qui s’est créé ne désarme pas.   Voir https://latetedanslegaz44.fr/

 

Le dossier est toujours sur le bureau du préfet….Les promoteurs ont  légèrement diminué la voilure  du projet… (-30%)

 

C’est que nous sommes très loin de la petite unité de métananisation à l’échelle de la ferme.

 

Avec le méthaniseur de Corcoué-sur-Logne on bascule dans un système  industriel :  l’objectif premier est de produire de l’énergie, le biométhane : biogaz injecté directement   dans  un réseau de gaz naturel.

. Dès lors les substrats organiques nécessaires sont appréhendés autrement. Il ne s’agit plus  seulement de nourrir le méthaniseur avec des déchets animaux, végétaux  issus des exploitations agricoles mais  avec des substrats qui dégagent le plus de méthane possible,  cas des céréales qui produisent en moyenne huit fois plus de méthane que les déjections animales. Pour une production efficiente de biométhane il  est donc indispensable d’apporter en complément et en quantité des substrats  riches en énergie ( en carbone disponible).  D’où l’introduction de cultures  dédiées « énergétiques », le maïs étant c’est celle qui dégage le plus de gaz … c’est à dire des cultures réalisées spécifiquement pour l’approvisionnement des unités de méthanisation qui remplacent des cultures alimentaires.

La loi française limite cet apport à 15% des intrants mais cette règlementation est à l’échelle de l’exploitation  non à celle du bassin agricole..

 

Et par ailleurs  elle autorise cette fois sans limite les CIVE (Culture intermédiaire à Vocation Energétique) implantées et récoltées entre deux cultures principales à destination alimentaire .  Les CIVE sont récoltées pour être utilisées en tant qu’intrant dans une unité de méthanisation agricole.  Soit l’agriculteur les vend soit  il alimente sa propre unité de méthanisation.

Ces cultures intermédiaires à vocation énergétique sont à distinguer des  cultures intermédiaires qui ne sont pas récoltées mais enfouies dans le sol pour apporter un certain nombre de services agro-environnementaux ( piégeage de l’azote,  lutte contre l’érosion, le ruissellement, amélioration de la structure des sols, biodiversité, limitation des adventices, …) et  reconnues comme étant l’un des leviers de la transition agroécologique.

 

L’absence de définition règlementaire des CIVE fait craindre que le développement de cette pratique ne se fasse au détriment des cultures principales avec des fauches précoces pour en faire du fourrage et non des céréales. 

L’utilisation de cultures à vocation énergétique a des conséquences  en termes dechangement d’affectation des terres, de concurrence directe avec la production alimentaire auxquelles il faut ajouter d’éventuels impacts environnementaux en raison de la recherche du rendement, utilisation excessive d’intrants, fertilisation,  produits phytosanitaires maux de l’agriculture intensive.

 

Autre  problème les digestats épandus sur les parcelles agricoles, en raison de leurs «  propriétés agronomiques » notamment fertilisantes.

→Il est affirmé  sans aucune étude sérieuse que les digestats seraient un bon  amendement pour les sols (stockage de carbone) Les travaux du GREFFE et du CSNM démontrent que la faiblesse en carbone des digestats  ne permet pas d’augmenter 4 pour 1000 la teneur des sols en carbone , programme décidé à la COP21 de Paris pour lutter contre l'effet de serre. La méthanisation contribue à l’appauvrissement des sols du taux de matières organiques  qui est déjà à l’œuvre en raison de l’agriculture intensive dont on connaît les conséquences, baisse de la perméabilté ( aptitude du sol à stocker l’eau) et de la fertilité.

→S’ajoute la qualité sanitaire des digestats qui n’est pas surveillée on y  retrouve les contaminants  présents dans les matières traitées par le méthaniseur, : bactéries et autres pathogènes, organiques, chimiques, minéraux, pesticides, produits pharmaceutiques qui polluent sols et eaux

→Même absence d’étude sur la quantification  des émissions de gaz à effet de serre des digestats qui surviennent lors du stockage et après  l’épandage.

L’ammoniac (NH3) libéré dans l’atmosphère forme  du protoxyde d’azote un méchant GES et aussi des particules fines qui provoquent 50000 morts par an selon les services de santé….Il a aussi  un impact sur la qualité de l’eau et des sols.

→ N’est pas évalué non plus l’impact des digestats sur la biodiversité, et en particulier sur la biodiversité des sols.

 

Ajoutons le non contrôle règlementaire de cette filière. Pour avoir un très bon  aperçu de l’anarchie qui règne en la matière : l’excellente enquête de l’ONG Splann sur  les méthaniseurs bretons en 4 parties.  La première porte sur l’absence de contrôle de ces installations de  plus en plus grandes qui menacent l’environnement.

https://splann.org/enquete-methanisation-bretagne/

 

 

Et les impacts agricoles ?

 

On ne s’étonnera pas que le biogaz excite l’appétit de nombreux industriels,: Total Energie , Engie… (20 unités en exploitation)… Eux n’ont pas de problèmes pour investir  dans cette technologie très coûteuse notamment lorsqu’il s’agit d’injecter directement dans un réseau et qui exclut la majorité des agriculteurs éleveurs. Dès lors pour des questions de financement et de rentabilité certains se  regroupent et les méthaniseurs deviennent de plus en plus importants. La demande de déchets méthanogènes croissante entraîne une hausse des prix  à laquelle   des agriculteurs qui ont créé leurs méthaniseurs  peuvent s’ils ont besoin d’apports de tiers ne plus  pouvoir faire face et être amenés à  ouvrir leur capital aux producteurs d’énergie et perdre la main sur leur installation.…C’est la porte ouverte aux  industriels pour un contrôle de l’ensemble de la chaîne de la culture à la production d’énergie.

Cette concurrence sur les matières premières , en année de sècheresse comme 2022  peut par ailleurs mettre en difficulté les éleveurs à se fournir en fourrage.

 

Producteurs d’énergie  qui par ailleurs sont amenés à être les responsables de la gestion de ces « usines à gaz » en raison de la compétence technique qu’elles requièrent et que ne possèdent pas les agriculteurs  à qui reviendrait alors la seule mission d’ approvisionner les méthaniseurs et d’éliminer les digestats sur leurs terres…..Des agriculteurs qui seraient au service de la production d’énergie au lieu que celle-ci soit au service du modèle de leur exploitation.

Modèle qui pour être durable doit  se diriger vers l’agroécologie ( moins d’intrants externes –pesticides, engrais, irrigation-, pérenne sur le plan économique et respectueuse de l’environnement).

La méthanisation industrielle ne répond pas ces objectifs que ce soit pour l’approvisionnement des méthaniseurs ou l’utilisation des digestats.

 

Sur  le plan économique, le complément de revenu apporté par  méthanisation devait participer à la pérennisation économique des exploitations.  Mais la  demande croissante de terres cultivables pour alimenter des méthaniseurs   de plus en plus gigantesques, entraîne une augmentation de leur valeur marchande  avec un impact négatif sur la transmission du patrimoine foncier des familles d’agriculteurs

 

La méthanisation a été présentée comme un soutien  à l’agriculture et aux agriculteurs. Pour Jean-Pierre Jouany (association GREFFE) « sa technologie complexe et son coût élevé sont davantage destinés à des investisseurs intéressés par la demande croissante d’une énergie qui sera de plus en plus chère.

 

Le passage de la cogénération (électricité , chaleur) à la méthanisation  par injonction directe du méthane dans les réseaux gaz bouleverse le rapport de force  entre les industriels de l’énergie et les éleveurs qui n’ont pas l’assise financière nécessaire pour  avoir accès à cette technologie. Dès lors elle   serait réservée aux plus gros agriculteurs, les céréaliers et aux industriels. Au salon de l’agriculture a été acté un partenariat entre la FNSEA et TotalEnergies  dans  le but d’optimiser le potentiel énergétique du secteur agricole…. Une méthanisation agricole sans élevage se développe, en particulier en Île-de-France.

 

L’industrialisation de la méthanisation est en marche si on se réfère à la feuille de route Biométhane 2030 de l’ADEME (2013) et à la loi relative à la Transition Energétique Pour la Croissance Verte (LTECV 2015) Objectif ADEM 7% de gaz renouvelable en 2030, 10% dans la loi, contre le 1% de volume injecté aujourd’hui….

Il est même question dans d’autres feuilles de route de couvrir en 2050 100% de la consommation de gaz à partir de ressources renouvelables dont le tiers par méthanisation.

Solagro table sur 10 000 installations à l’horizon de 2050 selon son scénario Afterre 2050

Le gouvernement accélère le développement de la production de biométhane inscrite dans le Plan de résilience du 16 mars 2022 (‘développement  des énergies décarbonées).  Lancement en avril d’un nouveau dispositif de soutien par appel d’offres  et soutien public sous forme de contrat d’achat du biométhane produit sur une durée de 15 ans. Tarif qui vient d’être revalorisé pour tenir compte de l’inflation.

Pour relancer des projets qui étaient arrêtés le gouvernement a accordé un allongement du délai de mise en service jusqu’à 18 mois (il y aurait 800 projets déposés). Le message du gouvernement est clair :« Le déploiement accéléré et encadré des gaz renouvelables sera clé pour atteindre nos objectifs climatiques et de souveraineté énergétique », propos d’Agnès Pannier-Runacher ministre de la Transition énergétique en septembre 2022..

 

 

 

La confédération paysanne et plusieurs ONG réclament  un moratoire sur les projets de méthaniseurs  pour faire le point sur toutes les conséquences de la méthanisation agricole sur laquelle l’Etat veut s’appuyer pour produire du biogaz.

  Au  regard des enjeux prioritaires de l’agriculture (agroécologie,lutte contre la concentration des fermes) de l’énergie (bilan carbone, évaluation exacte des émissions de Gaz à effet de serre ), de l’environnement (pollution de l’ air ,pollution des écosystèmes des milieux aquatiques, de l’ appauvrissement des sols en carbone et du nombre d’incidents notamment  les fuites très fréquentes de méthane, gaz 25 fois plus à effet de serre que le gaz carbonique (CO2)….

Idée repoussée par le Sénat dans un récent rapport « car la méthanisation contribue à l'atteinte de la neutralité carbone à l'horizon 2050.»  Qui  ajoute « pour autant, la poursuite du développement de la méthanisation suppose un meilleur débat public, auquel ce rapport entend contribuer ».

                                                                                     

 

                                                                                        J. Thévenot

 

 

 

 

Rapport du Sénat : Rapport d'information n° 872 (2020-2021) de M. Daniel SALMON: « Méthanisations : au-delà des controverses, quelles perspectives ? ».

https://www.senat.fr/rap/r20-872/r20-8721.pdf

Tout est dans le titre de ce rapport qui ne participe pas au débat public puisqu’il développe surtout les atouts de la méthanisation….

 

https://lejournalminimal.fr/a-quand-un-moratoire-sur-la-methanisation-agricole-industrielle/

 

https://www.confederationpaysanne.fr/mc_nos_positions.php?id=9379

 

https://splann.org/enquete-methanisation-bretagne/

 

https://www.infometha.org/

https://www.methafrance.fr/ portail national de la méthanisation

https://www.cnvmch.fr/csnm 

 Collectif National Vigilance Méthanisation/ Collectif   Scientifique    National Méthanisation raisonnable

Ce site est une mine d’informations sur la méthanisation

                                                              

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10/10/2022
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