Agriculture- l'écologie ennemie de l'agriculture?
Agriculture : l’écologie ennemie de l’agriculture ?
Les normes agricoles environnementales seraient la cause principale des difficultés que rencontre le monde agricole (prétendument uniforme…). C'est le discours de la FNSEA, Jeunes Agriculteurs et Coordination rurale, entendu en boucle pendant le mouvement des agriculteurs, allègrement récupéré par certains partis politiques médias et le gouvernement….Soucieux de donner rapidement des gages aux agriculteurs « en colère », en premier rang à la FNSEA (qui s'est emparée d'un mouvement d'abord spontané dans le Sud-ouest...) les premières mesures qu'il a annoncées ont visé quasiment exclusivement des normes environnementales.
Un gouvernement qui a ressorti « l’écologie punitive ». Porte-parole du gouvernement : « nous devons sortir de l’écologie punitive pour être dans une écologie des solutions » (2 février 2024 pour justifier la mise en pause du plan écophyto contre les pesticides).
Le premier ministre, que la démagogie n’effraie pas, avait ouvert la voie dans sa déclaration de politique générale en exposant sa vision d’une écologie « à la française »: « une écologie populaire, des solutions, de la croissance et de l’emploi. Certains voudraient une écologie de la brutalité. Pour eux l’écologie doit être punitive, douloureuse, passer par la désignation de boucs émissaires et par la décroissance ».
Haro donc sur l'écologie et annonce d'une salve de mesures qui marquent un recul sans précédent sur les mesures agricoles environnementales:
→ Pesticides :suspension pour une durée inconnue du plan écophyto qui vise à la réduction de 50% de leur usage d’ici 2030 et avait lancé en 2008 le réseau « Delphy » qui accompagne les agriculteurs engagés dans une démarche volontaire en agroécologie .
Le but du gouvernement est l’abandon de l’indicateur français ,le Nodu (nombre de doses unités). Utilisé depuis 2009 il permet de suivre l'évolution de l'utilisation de la quantité globale des produits phytosanitaires. Pour le remplacer par un indicateur européen (HRI1) moins disant puisqu'il qui prend en compte la diminution des seuls pesticides les plus dangereux.
https://www.generations-futures.fr/actualites/attal-enterre-ecophyto/
→ milieux aquatiques :
Zones humides : suspension de leur cartographie (zonage) . La préservation de ces zones est capital en raison de leur rôle essentiel dans le cycle de l’eau et la biodiversité (oiseaux, espèces végétales). Depuis 1970 ,60% des zones humides françaises ont disparu (urbanisation, agriculture industrielle mécanisée), seulement 6% sont estimées en bon état de conservation.
Irrigation, stockage de l’eau : le ler ministre a ouvert en grand les vannes pour les aménagements hydrauliques ( barrages, retenues collinaires, méga-bassines, réseaux d’irrigation.. ) leur installation sera « facilitée et simplifiée ». A commencer par la réduction des délais de recours pour les contester, deux mois au lieu de quatre aujourd'hui . Le premier ministre a aussi annoncé la création d'une « présomption d’urgence », pour que les juges se prononcent sur les recours en moins de dix mois...
Curage des cours d’eau (extraction de sédiments): demande de la FNSEA, pour prévenir les inondations (contexte celles du Pas de Calais). Annonce du ler ministre( 26 janvier en Haute Garonne) :tout ce qui relève des curages …, sera « drastiquement simplifié. Dès la semaine prochaine, on sort un décret pour passer de l’autorisation (étude d'impact, enquête publique) à la déclaration ». C'est fait le décret est sorti le 31 janvier.
Les inondations résultent d’une artificialisation excessive des sols et de leur dégradation par les produits chimiques agricoles qui ne leur permet plus de jouer leur rôle d’éponge.
Accélérer les écoulements par curage ne fait que décharger le risque inondation sur les zones aval.
La priorité doit rester l'entretien du cours d'eau avant d'envisager un curage qui peut endommager son fond biologique, réduire l'autocurage, conduire à des recalibrages (élargissement, approfondissement du lit ) très dommageables pour les écosystèmes aquatiques.
→ Les surfaces d'intérêt écologique : elles sont des alliées de l'agriculture : protection de la biodiversité, dont elle dépend, limitation de l'érosion, restauration des sols, amélioration de la qualité de l'eau stockage carbone, production d'une biomasse substituable aux énergies fossiles....
- Haies : simplification de la réglementation de destruction des haies .Annonce péremptoire du 26 janvier du premier ministre: dans la foulée des propos de la FNSEA « Il y a 14 réglementations différentes pour les haies donc on passe de 14 réglementations à une »….
Si l’agriculture n’est pas la seule responsable de la disparition des 25000km de haies par an (soit cinq fois plus qu’on en reconstitue ….), elle y participe grandement par voie d’arrachage ( remembrement des parcelles, mécanisation, diminution de l'élevage extensif) ou défaut d’entretien .
La simplification annoncée de leur destruction est aberrante au regard du « Pacte en faveur de la haie » de septembre 2023 et de son objectif de replantation visant un gain net de 50 000km de haies d'ici à 2030
https://www.vie-publique.fr/rapport/289211-la-haie-levier-de-la-planification-ecologique rapport du CGAAER ( Conseil général de l’Alimentation de l’Agriculture et des Espaces ruraux )–avril 2023
- Jachères : la nouvelle PAC entrée en vigueur en 2023 a imposé ( pour bénéficier des aides,) l’obligation pour les exploitations de plus de 10ha de laisser au moins 4 % des terres arables en jachères ou en infrastructures agro-écologiques, haies, arbres, bosquets, mares....Elles représentent 2% de la SAU française.
La France reprenant une revendication de la FNSEA pourtant loin de faire consensus au sein du monde agricole, a oeuvré auprès de la Commission européenne pour une dérogation à l'obligation de jachères sur les terres arables pour 2024 obtenue le 2 février : elles pourront être cultivées mais seulement en cultures intermédiaires (fourrage, engrais vert) et en cultures fixation d'azote (pois, lentilles.... sans produits phytosanitaires.
prairies permanentes: après les jachères la France veut que l'Europe revoit les normes sur les prairies permanentes. Dans la nouvelle PAC (2023-2027), l’une des conditions de paiement pour les bonnes pratiques environnementales (BCAE) consiste à maintenir des prairies permanentes( plus de 5 ans). Leur maintien est géré au niveau régional. Si une région perd plus de 2 % de la surface de prairies présente en 2018 (année de référence), les agriculteurs doivent demander une autorisation pour pouvoir les convertir – les cultiver par exemple. A partir d'une perte de 5 %, la conversion est interdite et des prairies de compensation doivent être implantées. Le premier ministre a annoncé : « Dans l’attente d’évolutions au niveau européen, sur ce point, nous appliquerons une dérogation à l’obligation de réimplantation pendant un an ».
Les prairies sont des refuges pour la biodiversité (habitat de reproduction, d'alimentation, recolonisation de plantes annuelles...) et elle s'effondre dans les milieux agricoles comme l'attestent des dizaines d'études scientifiques. Elles ont un rôle de régulation, qualité de l'eau, gaz à effet de serre,, recyclage de la matière organique...autant de fonctions qu'elles ne peuvent plus jouer dans une agriculture qui tourne le dos au système polyculture/poly-élevage, privilégie monocultures céréalières et élevages intensifs.
A cette longue liste de mesures qui mettent à mal la biodiversité ajoutons, les attaques contre l'Office Français de la Biodiversité en charge d'assurer la protection et la restauration de la biodiversité sous la tutelle des ministères chargés de l'écologie et de l'agriculture ; il va passer sous la tutelle des préfets, à la demande de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs qui l'accusent de contrôles abusifs : 2759 en 2023 pour une population agricole de 500 000 personnes soit 0,5% de contrôlés. ..
Quand on connaît la propension des préfets à donner la priorité aux intérêts économiques industriels et agricoles locaux sur les problématiques environnementales on peut être inquiet !
Il aura fallu très peu de temps à ce nouveau gouvernement pour s'engouffrer dans la démagogie montante contre « l'écologie punitive et dogmatique » chère à la FNSEA et emprunter sa vision d'une agriculture intensive industrielle « exportatrice, machinisée et enchimiquée », doppée aux subventions qui mise sur la technologie pour ne rien changer dans ses pratiques et entend faire perdurer un modèle aux conséquences négatives sur les écosystèmes, sur l'eau, les sols, la santé (à commencer par celles des agriculteurs eux-mêmes) et qui détruit nombre d'exploitations agricoles.
Pour calmer au plus vite la colère des agriculteurs le gouvernement n'a rien trouvé de mieux que de la dévier vers l'écologie alors que les points de convergence de leurs revendications essentielles portaient sur leurs revenus (accords de libre échange, dépendance à l'industrie agroalimentaire et à la grande distribution) qui ne leur permettent pas de vivre dignement de leur métier.
Ce gouvernement qui oppose écologie et agriculture emprunte le discours des grands lobbies agro-alimentaires mobilisés pour empêcher la mise en place d'une politiques publique de transformation.
Elle devrait être tournée entièrement vers l'aide à la transition écologique de l'agriculture pour la sortir de cette trajectoire d'intensification qui conduit à l'effondrement de la biodiversité indispensable à la production agricole, seule solution à terme pour la maintenir et obtenir une alimentation saine et durable.
Par ce recul en matière environnementale ce n'est pas la voie qu'emprunte ce gouvernement. Il fait courir à l'agriculture française un risque véritablement existentiel en ne la préparant pas à être une agriculture de résilience face au changement climatique, en capacité de s'adapter et de transformer ses systèmes agricoles.
J. Thévenot
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