LVNAC - Pourquoi l'hécatombe des abeilles ?
Pourquoi l'hécatombe des abeilles ?
Depuis une bonne vingtaine d'années tous les apiculteurs professionnels, amateurs, conventionnels ou bio assistent, impuissants, au dépérissement des colonies d'Apis mellifera (abeille à miel domestiquée).
Le phénomène s'est accentué depuis 2007 et touche les Etats-Unis, l'Allemagne, la Suisse, l'Italie, le Portugal, la Pologne, la Grande Bretagne, la France ... donc les pays «dits développés». 30 à 40% des colonies ont été décimées en Europe en moins de dix ans.
Tantôt ce sont des colonies entières qui disparaissent sans laisser de trace (ce qui correspondrait à une perte de mémoire, qui empêcherait les abeilles de retrouver leur ruche); tantôt c'est une ruche qui s'affaiblit, avec des abeilles de moins en moins productives; tantôt ce sont les ouvrières qui meurent en masse à l'entrée de la ruche ...
Existe-t-il une seule cause ou plusieurs ?
La polémique sur ce sujet est virulente et vive, notamment en France !
L'AFSSA (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments), dans un récent rapport intitulé «Mortalité et affaiblissement des colonies d'abeilles, 220 pages. Sur le site www.afssa.fr», énonce une quarantaine de causes. Comme elle est plutôt réputée pour faire le jeu de l'industrie agro-chimique (*), c'est vraisemblablement un bon moyen de noyer le poisson puisqu'elle ne dénonce pas explicitement le rôle des traitements phytosanitaires dans la disparition des abeilles, alors que des ruches arrivent à prospérer sur les terrasses et les balcons des villes, à l'abri des pesticides ... Pour l'AFSSA, face aux produits phytosanitaires, herbicides, insecticides ... «il n'est pas possible à l'heure actuelle, de confirmer ou d'infirmer l'hypothèse qu'une exposition chronique à certains produits, puissent jouer un rôle direct» ...
Pour les scientifiques (apidologues) et les apiculteurs si ces causes sont multiples, trois d'entre elles sont parfaitement identifiées : les pesticides, la dégradation de l'environnement, les maladies et parasites.
Les pesticides, cause première de ces disparitions
Pour mémoire, on compte 5.000 produits pesticides qui reposent sur environ 450 molécules actives ...
Il a fallu 10 années de lutte pour que la France interdise (en 2004) des insecticides ravageurs tels que le Régent et le Gaucho. Reste le Cruiser qui n'est aujourd'hui encore que suspendu dans notre pays depuis le 15 mai 2009 mais dont l'autorisation peut être reconduite en 2010. Cet insecticide (contre le taupin) de traitement des semences de maïs, (firme Syngenta, leader sur le marché des pesticides ...) mortel pour les abeilles, toxique pour les oiseaux n'est plus homologué en Allemagne, en Italie, en Slovénie, depuis le printemps 2008.
Le nouveau ministre de l'agriculture va t-il enfin s'extraire de la pression des maïsiculteurs, des semenciers, des fabricants de phytosanitaires ... et prendre une décision responsable qui réponde aux engagements du Grenelle Environnement : réduire de 50% l'usage des pesticides, et à l'urgence de protéger tous les pollinisateurs au premier rang desquels les abeilles et, par là-même, notre environnement ?
Des recherches menées par l'Italie (université de Padoue) ont montré que les gouttes d'eau produites par les plants de maïs (**) dont les graines (enrobées) ont été traitées aux insecticides tuent les abeilles en quelques minutes par empoisonnement direct en raison des concentrations de ces substances 10.000 fois supérieures à la dose létale pour les abeilles. Et ces gouttelettes qui reposent à la surface des feuilles constituent pour les abeilles, une source d'eau privilégiée !
Faut-il rappeler que le maïs génétiquement modifié produit lui-même ses propres insecticides ? Dans la mesure où la recherche scientifique est de plus en plus financée par l'industrie chimique … on a toutes les raisons d'être inquiet.
La multiplication des substances chimiques et des pesticides répandus en permanence dans la nature contamine tout (sols, air, eau, flore..). Avant leur mise sur le marché on n'en connaît pas tous les effets et ils peuvent être toxiques à des doses infinitésimales. On ne dira jamais assez que «les autorisations de mise sur le marché» (AMM) des produits phytosanitaires ne sont en aucun cas une garantie d'absence de toxicité contrairement à ce que laisse entendre l'AFSSA pour qui les accidents résultent du non respect des bonnes pratiques agricoles.
Et comme si ça ne suffisait pas, depuis deux ans les abeilles sont maintenant empoisonnées par le traitement de la fièvre catarrhale ovine dans les élevages (désinfection des animaux et des bâtiments à coup d'arrosages intempestifs de pesticides (le vecteur de cette maladie est un petit moucheron) …
Il faut aussi évoquer l'intensification, à l'exemple de l'agriculture et de l'élevage, des pratiques apicoles modernes. Qui n'a vu ces reportages sur les méthodes des apiculteurs américains : pour compenser les carences alimentaires liées à l'agriculture intensive et à la monoculture, les ruches sont déplacées sur des milliers de kilomètres dans des camions réfrigérés, les abeilles étant gavées de sirops et de protéines ...
On n'en n'est pas encore à ce stade en France encore que des apiculteurs déplacent leurs ruches quand elles sont dans des zones à risque !. N'empêche que l'apiculture commerciale française s'est industrialisée : les méthodes de nourrissement, les importations de certaines races de reines, meilleures pondeuses conduisent à un appauvrissement génétique qui fragilisent les abeilles face aux maladies et aux pesticides.
Enfin certains apiculteurs utilisent aussi à haute dose des traitement chimiques, notamment pour lutter contre le varroa, parfois avec des produits non officiels et avec des résultats parfois désastreux pour le survie de la ruche …
La dégradation de l'environnement en est évidemment une autre
A la pollution il faut ajouter l'appauvrissement de l'environnement en ressources indispensables aux butineurs. En cause la monoculture, l'agriculture intensive, la disparition des haies favorables aux insectes, des prairies naturelles, la raréfaction des fleurs des champs, l'entretien chimique des bords des routes, l'urbanisation, la manie des jardins «propres» ... autant de facteurs qui concourent à une réduction des variétés végétales mellifères : les abeilles qui n'ont plus rien à butiner se tournent vers d'autres cultures, céréales, vignes bourrées de pesticides et beaucoup moins nutritives, d'où un affaiblissement des colonies.
Tous les apiculteurs constatent une diminution de la production : d'où le déplacement de plus en plus fréquent des ruches et la fourniture aux abeilles avant l'hiver et au début du printemps de sirop ...
Il faut ajouter le changement climatique de nature à aggraver la situation : sécheresse, hivers moins froids, décalage de floraison (en 2009 en Ardèche les châtaigniers et les lavandes ont fleuri en même temps).
Maladies et parasites
L'AFSSA qui a dénombrée 29 agents pathogènes (prédateurs, parasites, champignons, bactéries, virus) considère que le Varroa est le facteur de risque majeur de la mortalité des colonies. C'est un acarien qui suce l'hémolymphe des abeilles (équivalent de notre sang) et véhicule des virus pathogènes. Il faut alors expliquer pourquoi les abeilles sauvages qu'il n'affecte pas déclinent également !
Les abeilles doivent faire face depuis quelques années à un nouveau prédateur : le frelon asiatique (le Vespa velutina) qui peu à peu colonise le territoire. Importé de Chine, une dizaine de ces insectes peuvent anéantir en quelques jours une ruche soit en capturant les abeilles soit en restant près du rucher stressant la colonie et son fonctionnement. Il menace tous les butineurs et apparemment peut s'attaquer à l'homme qui se trouverait dans son secteur d'activité !
Enfin il semble évident que l'impact des maladies et des parasites est d'autant plus grand qu'ils attaquent des abeilles déjà affaiblies par une contamination généralisée de leur environnement !
Qu'adviendrait -il de l'homme si les abeilles et ses cousins, cousines sauvages disparaissaient ???
L'abeille assure une tâche cruciale : la pollinisation qui permet aux fleurs mâles et femelles d'une même espèce de se féconder. Aujourd'hui 80% des espèces cultivées en Europe et plus de 80% des espèces de plantes à fleurs dans le monde ont besoin d'être pollinisées par des insectes, essentiellement par des abeilles. C'est dire la dépendance de notre agriculture aux abeille s: sans elles pas de fécondation des fleurs et pas de fruits : on imagine l'impact sur notre alimentation, notre santé et les bouleversements alimentaires qui résulteraient de leur disparition. On a essayé « d'estimer la valeur monétaire de ce service écologique, il se monterait à 153 milliards d'euros soit environ 10% du chiffre alimentaire mondial» (source FNE).
Le déclin des pollinisateurs aura aussi un impact sur l'état de la biodiversité : il est aisé de comprendre le cycle infernal dans lequel on risque d'être engagé : moins de plantes à fleurs veut dire une diminution de la diversité des pollinisateurs qui à son tour accentue encore la diminution des espèces végétales !
Enfin la disparition des abeilles constitue une menace pour toute une filière. Dans plusieurs émissions radio et TV, les apiculteurs qui s'estiment victimes de l'industrie agro-chimique, ont exprimé leur colère et leur désarroi.
Il est urgent d'agir
Un rapport parlementaire intitulé «pour une filière apicole durable : les abeilles et les pollinisateurs sauvages» remis en octobre 2008 aux ministres concernés (agriculture et écologie) a proposé un plan d'action suivant les préconisations du Grenelle de l'Environnement (M. Barnier a nommé un Monsieur «Abeille» : Jean Pierre Comparho) afin de :
- créer une filière de reproduction d'abeilles reines afin d'assurer le renouvellement du cheptel
- définir le statut d'apiculteur : distinction entre amateurs et professionnels
- mettre en place une plate-forme de travail réunissant les acteurs concernés
- édifier un institut technique et scientifique de l'abeille
Les associations comme «Terre d'abeilles» demandent :
- le retrait rapide et définitif de tous les pesticides neurotoxiques et systémiques et des 50 pesticides les plus toxiques (dont le Cruiser ...)
- l'arrêt définitif des expérimentations OGM en plein champ
- l'intégration de spécialistes de l'abeille au sein des comités d'expertise chargé de l'évaluation des OGM et des pesticides
- le développement soutenu de l'agriculture biologique et de l'apiculture
- l'application préalable de la protection de la biodiversité dans la politique agricole.
France Nature Environnement demande notamment une étude nationale indépendante pour dresser un bilan de l'état des populations des insectes pollinisateurs et identifier les facteurs affectant leur état de conservation. Et que les études faites sur les pesticides dans le cadre de mise sur le marché soient mises à la disposition des citoyens.
En tout état de cause le gouvernement va devoir trancher entre protéger les industriels agro-chimiques ou protéger les abeilles .... et par là même assurer la sauvegarde des insectes pollinisateurs dans le respect des générations futures. Il faudrait déjà qu'il commence par analyser avec objectivité les effets pervers de notre politique agricole !
J. Thévenot
(*) C'est la même agence,(dont les experts se disent indépendants), qui affirme que le maïs transgénique MON810 ne présente pas de danger pour la santé, alors qu'à ce jour aucun travail scientifique ne permet une telle certitude. C'est justement parce que l'on ne connaît pas les risques à long terme et sur la santé et sur l'environnement, que plusieurs états dont la France, ont décidé son interdiction au nom du principe de précaution (voir article publié par le CNAD).
La composition de son conseil d'administration fait d'ailleurs sérieusement douter de son indépendance. On y trouve : le Directeur de l'Union des producteurs des pesticides, le Président de l'Association générale des producteurs de maïs, le Président des chambres d'agriculture et un représentant de l'agro-industrie ....(Source FNE-campagne APE n°30 «stop pesticides»).
Rappelons que la direction de l'AFSSA n'omet pas d'indiquer, à chaque fois qu'un de ces avis soulève la polémique, que «l'AFSSA ne s'est jamais prononcé sur les risques environnementaux, lesquels ne relèvent pas de sa mission».
(**) Ce phénomène, proche de la transpiration, est mis en oeuvre par certaines plantes comme la maïs, la nuit, dans les sols où le taux d'humidité du sol est important. Il se produit un suintement au niveau des feuilles, qui se condense pour former des gouttelettes que l'abeille absorbe avec sa trompe.
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