LVNAC - Neige artificielle: la fuite en avant ?
Neige artificielle : la fuite en avant ?
Les jeux olympiques d'hiver viennent de se terminer . Avec un 14 degrés en Janvier à Vancouver les organisateurs ont connu quelques transes pour le site olympique de Cypress Moutain, 930 mètres d'altitude privé de neige. La solution retenue a été de ramener de la neige prélevée en montagne, par camions et hélicoptères, faute de pouvoir faire tourner les canons à neige sur le site en raison de la chaleur!
Cette neige artificielle, appelée « neige de nature » habille déjà 20% du domaine skiable français . Initialement les canons à neige permettaient de compenser des manques ponctuels de neige, aujourd'hui en France comme ailleurs ils ne cessent de se développer.
Le temps n'est plus où l'on attendait que tombe la neige pour aller skier elle doit être au rendez-vous des vacanciers de décembre à avril. La neige artificielle apparaît comme la panacée pour répondre à cette demande et faire fi des aléas météorologiques.
Les canons à neige permettent d'ouvrir les pistes de plus en plus tôt en saison et de les maintenir ouvertes tout l'hiver.
On voit aujourd'hui des communes de faible et moyenne montagne s'engouffrer dans cette course à l'or blanc et créer de toute pièce des km de pistes voire des stations.
Autrefois simple solution d'appoint, les canons à neige sont aujourd'hui un argument commercial. D'où une surenchère démente des stations , c'est à celle qui propose le plus grand dénivelé, le plus grand kilométrage de pistes à canons !. Ces équipements non seulement se multiplient mais ils gagnent de plus en plus en altitude en raison du réchauffement climatique.
L'enneigement artificiel représente aujourd'hui environ 5.300 ha sur 25.000 ha pour l'ensemble des 330 stations françaises. Tout cela a évidemment un coût, notamment environnemental au premier des rangs desquels les prélèvements en eau..
Des besoins en eau importants :
Pour produire de la neige artificielle il faut de l'eau, de l'air et de l'énergie. Le principe consiste à pulvériser, grâce à des canons à air comprimé de fines gouttelettes d'eau dans de l'air froid, qui congèlent avant d'atteindre le sol.
Les 5.300 ha enneigés représentent la transformation de 19 millions de m3 d'eau en 38 millions de m3 de neige (épaisseur moyenne de neige 70 cm)
Pour une piste de 1 ha (et seulement 30 cm d'épaisseur de neige) il faut un million de litres d'eau (1.000 m3) et il peut y avoir plusieurs enneigements successifs (jusqu'à 4.000m3/ha enneigé).
- Les stations pompent dans les cours d'eau d'altitude avec le risque de les assécher puisqu'ils sont au niveau le plus bas ( à cette époque l'eau est rare prisonnière du gel), voire dans le réseau d'eau potable (c'est ainsi qu'on a vu des communes devoir être ravitaillées en bouteilles d'eau !).
Pour pallier les difficultés de prélèvements les stations s'équipent de plus en plus en retenues artificielles dites 'collinaires ' localisées au niveau des dépressions entre les collines donc dans des sites naturels souvent remarquables essentiels pour l'équilibre des écosystèmes montagnards ( zones humides, tourbières.).
Canon à neige
L'enneigement ne peut être réalisé sans infrastructures lourdes aux impacts destructeurs : pistes d'accès aux chantiers, utilisation de lourds engins pour la pose des conduites -eau, air, électricité- terrassements des barrages de retenues, décapage de sols et des couvertures végétales sont autant d'atteintes à la biodiversité végétale et animale par la destruction des habitats.
S'ajoutent les atteintes au paysage montagnard en raison du le nivellement des pistes de ski, dans le but de diminuer les besoins de production de neige, rendre la pratique du ski plus facile. A coup de bulldozers et d'explosifs ... sont arasés des bosses, comblés des creux, supprimés des arbres, des rochers mal placés.
Les retenues d'eau en altitude, de plus en plus importantes, avec leur film d'étanchéité lesté de pneus, entourées d'un grillage de sécurité sont une horreur dans le paysage de montagne!
Les impacts visuels des canons à neige, lances , complètent ceux des pylônes câbles...
Atteintes à la faune et à la flore naturelles: l'enneigement artificiel est une source de perturbations supplémentaires pour les animaux notamment la nuit en raison de la lumière et du bruit.. La fabrication en avant saison (fin novembre) d'une sous-couche de neige artificielle conduit à un fonctionnement en continu des enneigeurs, couplé à celui des dameuses, sans parler du bruit des pompes et des groupes frigorifiques. Au dérangement s'ajoute la détérioration des habitats; tétras, chouettes mais aussi lièvres, chamois, chevreuils et cerfs... désertent ces zones.
La flore typique est également maltraitée. Détruite déjà par les travaux de construction et le nivellement elle l'est également par la neige artificielle, période de développement retardée en raison de l'augmentation de la durée d'enneigement (la neige fabriquée plus compacte fond beaucoup moins vite), excès d'eau dans le sol au moment de la fonte (la neige artificielle contient deux fois plus d'eau que la neige naturelle ), présence d'un manteau neigeux plus important que celui de l'enneigement naturel...
Impacts directs sur les ressources en eau, sur la biodiversité , sur les paysages défigurés tout au long de l'année, l'enneigement artificiel destiné à une activité de loisir (de moins en moins populaire en raison de son coût), pose question. D'autant plus que cette production n'obéit à aucune réglementation spécifique. On assiste à un développement anarchique des enneigeurs, au coup par coup, sans se préoccuper ni de effets cumulatifs sur les milieux naturels, les paysages lors des chantiers et après la mise en exploitation ni des conflits possibles d'usage de l'eau (communes et stations).
L'instruction des dossiers relèvent de plusieurs administrations en fonction de la réglementation applicable, loi sur l'eau pour les prélèvements, milieux aquatiques, sécurité des barrages, Installations classées pour les usines de compression d'air, permis de construire, évaluation d'incidence pour les sites protégés .... D'où de nombreux manquements à la réglementation et dysfonctionnement dans la gestion des dossiers.
Enfin dans un contexte de réchauffement climatique dans les décennies à venir on peut s'interroger sur la pertinence de cette course en avant dans de nouvelles installations.
Celui-ci aura des répercutions importantes sur la sécurité d'enneigement des stations. Une modélisation de Météo France montre qu'un réchauffement uniforme, à 1500 mètres d'altitude de 1,8°C entraînerait une baisse d'enneigement de 5 à 4 mois dans les Alpes du Nord (épaisseur de neige passant de 1 mètre à 60 cm) et de 3 à 2 mois dans les Alpes du Sud ou les Pyrénées (épaisseur de la neige passant de 30 à 10 cm).
A long terme la neige artificielle n'est pas une réponse au changement climatique, elle ne pourra pas suppléer l'absence de neige naturelle. La course aux canons à neige pour les stations de moyenne altitude paraît donc absurde au regard des problèmes environnementaux locaux et de la rentabilité économique qui va s'amenuiser. Mais exploitants (qui auront amorti leurs investissements avant d'avoir à affronter les conséquences du réchauffement climatique) et élus (pour 6 ans) ont pour souci le court terme et le fonctionnement de la station....
Pourtant les élus des stations de basse et moyenne montagne devraient anticiper le changement climatique et les évolutions de la demande qui va vers une. baisse de la pratique du ski en Europe, au profit d'autres destinations (soleil et plage) et d'autres activités, randonnées, promenades, visites .... Sans une reconversion de ces stations ils auront à faire face demain à une crise très difficile.
Le modèle touristique actuel des sports d'hiver, généralisé ( neige artificielle, urbanisme, spéculation immobilière, loisirs motorisés, pertes de terres agricoles...) n'est pas soutenable. Il se heurte à des limites d'ordre financier ( des stations sont déjà en grandes difficultés financières), écologique et culturel. C'est toute la loi montagne qui est à revoir pour sauvegarder l'environnement, les paysages montagnards, un capital d'une extrême importance pour le tourisme de demain, qui sera dans les régions où la neige se fait de plus en plus rare, un tourisme de la nature.
J. Thévenot
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