loi biodiversité, un accouchement difficile
Loi « biodiversité » un accouchement difficile
Et le bébé n’est pas aussi resplendissant que celui promis par Ségolène Royal, jamais à court d’envolées lyriques, qui avait annoncé vouloir doter la France d’une loi unique et exemplaire. Alors qu’elle s’est beaucoup exprimée sur la loi de transition énergétique notre ministre s’est montrée beaucoup plus discrète sur la loi biodiversité … quant aux autres ministres qui auraient dû se sentir concernés notamment celui de l’agriculture, on ne les a pas entendus. Cette loi dite « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » qu’on a attendu quatre ans depuis son annonce par F. Hollande lors de la conférence environnementale de 2012, a été enfin adoptée le 20 juillet, après un va et vient de plus de deux ans entre le Sénat et l’Assemblée nationale qui a eu définitivement à la troisième lecture le dernier mot ( puisque sur plusieurs points restés en discussion les deux assemblées n’ont pas pu trouver d’accord en Commission Mixte Paritaire). Inutile de préciser que tout au long de ces discussions la pression des lobbies a été continue, les lobbies habituels, industriels, agricoles, agrochimiques, sans oublier les chasseurs et les pêcheurs (ici marins…). A l’occasion des débats législatifs sur ce texte qui vient quarante ans après la première grande loi sur la protection de la nature de 1976 (voir notre article … https://ecologie58.blog4ever.com/quarante-ans-de-protection-de-la-nature.) on a pu mesurer combien sénateurs (en majorité) et députés (en minorité) ont une méconnaissance abyssale des enjeux de l’accélération de l’érosion de la biodiversité ( voir le bilan 2016 de l’état de la biodiversité en France :une nature sous tension publié par l’Observatoire national de la biodiversité http://indicateurs-biodiversite.naturefrance.fr/ ) et une absence de conscience toute aussi abyssale de leur responsabilité vis-à-vis des générations qui nous suivent….Tous les comptes-rendus des débats sont sur leurs sites respectifs et on constate combien l’esprit de coopération qui a prévalu lors de la discussion de la loi de 1976 entre les deux assemblées, a été inexistant en 2016 !
On ne peut donc que regretter les « ratés » de cette loi tout en en reconnaissant les avancées… malgré les pressions et les tentatives du Sénat de la raboter sur des points majeurs et grâce au travail en commun et sans relâche des associations de protection de la nature et des parlementaires écologistes.
Ratés et demies-mesures
Des chasseurs satisfaits :
Autorisation de la chasse des oiseaux à la glu maintenue toujours au nom de la tradition… (grives dans le Sud) et en dépit d’une pétition signée par plus de 320000 personnes qui demandaient la fin de ces pratiques d’un autre temps et non sélectives. Selon la LPO c’est chaque année 400000 de nos petits oiseaux familiers ( dont certaines espèces protégées) qui sont piégés et meurent dans des conditions abominables.
La non reconnaissance de la sensibilité des animaux sauvages
Pas d’interdiction de traquer les mammifères en période de reproduction et de dépendance des jeunes, un amendement des écologistes sur ce point a été rejeté.
L’abattage en masse des blaireaux et par tous moyens au printemps alors que les jeunes ne sont pas encore sevrés va pouvoir continuer à être autorisé ( par simple arrêté préfectoral et par millier récemment 1500 dans la Somme). Malgré de multiples pétitions contre ces massacres répétitifs et la demande de classement du blaireau en espèce protégée la ministre de l’environnement est allée jusqu’à défendre la vénerie sous terre et réaffirmer son soutien au chasseurs « en ne souhaitant pas qu’on réglemente la chasse au détour d’une loi sur la biodiversité en court-circuitant les professionnels chargés d’appliquer le principe du juste équilibre entre protection de la biodiversité et activité de chasse »….
Les chasseurs ont obtenu que ONCFS ne soit pas intégrée à la future Agence pour la biodiversité ( voir infra)
La taxation de l’huile de palme attendra: l’indonésie Malaisie les deux principaux producteurs sont satisfaits…leur chantage a marché ( menaces de rétorsions économiques notamment sur l’achat d’Airbus, de satellites…)
Voir dans la catégorie CNAD notre article sur cette calamité https://ecologie58.blog4ever.com/cnad-a-propos-de-l-huile-de-palme aux ravages considérables - déforestation (un terrain de foot toutes les 15 secondes en Indonésie !), massacres de tous les écosystèmes, de la faune et de la flore, ruine et exode forcé des communautés rurales.
La taxe huile de palme (dite taxe « Nutella »…) dans un premier temps introduite par le Sénat par un amendement écologiste qui visait à l’aligner sur la taxation huile d’olive ; elle sera ensuite revue à la baisse par les députés pour être au final abandonnée avec en plus l’assentiment de la secrétaire d’Etat à la biodiversité Barbara Pompili qui elle aussi a changé d’avis en invoquant « la fragilité juridique du dispositif ( toucher à un seul type d’huile) ou encore que cette question de taxation relève plutôt d’une loi de finances. En bout de ces multirétropédalages la loi renvoie, à une révision par le gouvernement du dispositif actuel de taxation des huiles alimentaires, d’ici à six mois….ce sera sûrement une priorité pour un gouvernement en fin de parcours !
Recul également sur l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes :
l’effet désastreux de ces pesticides sur les pollinisateurs a été largement démontré par de nombreuses études; les français se sont mobilisés sur ce sujet à l’appel notamment de l’association Pollinis (250000 messages). Cette famille de pesticides est la plus utilisée sur les grandes cultures et de façon systématique qu’il y ait ou non un problème d’insectes … d’où une augmentation de leur résistance à ces produits qui entraînent les firmes à développer des produits de plus en plus toxiques et les agriculteurs à augmenter les doses !.
En mars 2015 l’Assemblée nationale adoptait un amendement interdisant purement et simplement ces pesticides en France dès janvier 2016. L’interdiction sera supprimée lors du second passage du projet de loi devant le Sénat. L’Assemblée nationale la rétablira pour l’ensemble des cultures agricoles et pour tous usages (graines enrobées, pulvérisations, épandage) mais seulement à partir du ler septembre 2018 et en l’absence d’alternatives avec des dérogations possibles jusqu’en 2020. L’agence de sécurité sanitaire doit établir un rapport sur les molécules de substitution d’ici la fin de l’année. Les dérogations exigeront un arrêté conjoint du ministre de la santé, de l’agriculture et de l’environnement. Le monde agricole a quatre ans pour changer de pratiques…..
Autre mesure abandonnée : l’interdiction du chalutage profond
Cette interdiction inscrite dans le projet de loi biodiversité a été supprimée par un amendement des députés suite à un intense lobbying des pêcheurs bretons et sans que le gouvernement n’oppose aucune résistance ! Cette pratique qui conduit à racler les fonds marins à grande profondeur est un désastre pour les poissons et leurs habitats. Heureusement qu’il y a l’Europe… c’est elle qui vient enfin après des années de négociations d’interdire la pêche en eau profonde au-delà de 800 mètres et de règlementer la pêche au-delà de 400 mètres, mais uniquement dans les eaux communautaires.
En revanche les députés ont adopté contre le Sénat et contre le gouvernement… l’interdiction du dragage des fonds marins dans les zones sous souveraineté ou juridiction françaises lorsqu’il est susceptible de toucher les récifs coralliens. Rappelons que la France possède le deuxième plus grand patrimoine corallien au monde ;: elle a donc une responsabilité particulière pour la sauvegarde de ces habitats qui abritent 30% de la biodiversité marine, sont des nurseries et des sources de nourriture pour les poissons qui nous alimentent. Au danger de la destruction, le processus de la restauration étant très long s’ajoute celui de l’augmentation de la température de l’eau.
Des points positifs de la loi : nous retiendrons
Le préjudice écologique inscrit dans le code civil
La reconnaissance du préjudice écologique
En application du principe pollueur- payeur le responsable d’un dommage à l’environnement est tenu de le réparer en priorité en nature, à défaut sous forme de dommages et intérêts. On retrouve la jurisprudence dégagée notamment dans l’affaire du naufrage de l’ERIKA (1999 au large de la Bretagne) et qui a été suivie par de nombreux jugements allant dans le même sens.
L’inscription dans le code civil du préjudice écologique (déjà reconnu par ailleurs) apporte plus de sécurité juridique qu’une jurisprudence qui peut fluctuer. La loi clarifie la notion de préjudice écologique (une atteinte non négligeable aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». et donc la responsabilité des entreprises. Elles ne sont plus seulement responsables en fonction des préjudices économiques (donc des dommages causés à autrui) mais également en fonction de la destruction de la nature pour elle-même. Cette reconnaissance du préjudice écologique permet d’élargir l’application du principe pollueur-payeur. Le pollueur paie les dommages économiques et les dommages écologiques.
La prescription est de 10 ans à compter de la connaissance du préjudice par l’auteur de l’acte ( à l’origine la durée avait été fixée à 30 ans). Les écologistes voulaient ajouter une amende civile ils ont échoué.
La compensation des atteintes à la biodiversité :
la loi entérine le principe d’absence de perte nette de biodiversité qui s’applique à tout aménageur qui entraîne des dégradations écologiques et qui se doit en priorité de les éviter, si ce n’est pas possible de les réduire et en dernier ressort de les compenser. Il y a une obligation de résultat avec un objectif de zéro perte nette ; si la compensation n’est pas satisfaisante donc intégrale, le projet ne peut pas être autorisé « en l’état ». La compensation est donc obligatoire, c’est une avancée majeure par rapport à la loi sur la protection de la nature de 1976 qui énonçait simplement ce principe « éviter, réduire, compenser »
C’est lui que nous avons invoqué devant le juge (qui nous a suivis) dans le dossier ERSCIA pour la destruction de la zone humide qui aurait tout à fait pu être évitée sans parler de la soi-disant compensation que présentait le pétionnaire.
A ces deux principes, celui du pollueur-payeur, celui d’action préventive la loi pose ceux de la non régression du droit de l’environnement et de la solidarité écologique.
Le principe de non régression en droit de l'environnement (inscrit dans toutes les conventions internationales sur l’environnement), garantit la pérennité et le non retour en arrière dans les politiques publiques de l'environnement. Il implique un engagement de l’Etat à améliorer de façon continue sa protection qui s’inscrit dans une responsabilité à l’égard de la nature et des générations futures et garantit l’amélioration constante de la législation.
Le principe de la solidarité écologique : qui consacre l’importance des liens entre protection de la biodiversité et les activités humaines qui concerne les territoires et repose sur des outils pour renforcer les continuités écologiques, la création d’espaces naturels, la préservation de trames vertes et bleues.
Création d’une Agence pour la biodiversité (AFB) le ler janvier 2017
Cette agence doit être l’équivalent des agences environnementale de l’Etat telle l’ADEME pour les déchets et l’énergie et les Agences de l’eau pour l’eau.
Elle regroupera quatre structures existantes, l’ONEMA (office national de l’eau et des milieux aquatiques), l’Atelier technique des espaces naturels (Aten), l’Agence des aires marines protégées (AAMP) et les parcs nationaux de France (PNF). Elle aura un rôle de coordonnateur des politiques en faveur des milieux naturels, de conseillers des élus et des aménageurs et en charge de la police de l’environnement.
Les chasseurs ont été vent debout contre cette création ils ont obtenu que l’ONCFS (Office national de la Chasse et de la faune sauvage) n’y soit pas intégrée et garde son indépendance ; ils ont tenté d’en limiter les compétences dont la compétence de police que détient l’ONEMA. Sans l’ONCFS l’agence se trouve dépourvue de compétence sur la biodiversité terrestre d’autant que l’ONF (l’office national de la forêt) n’en fait pas non plus partie. Nous approfondirons ce sujet lors de la mise en place de l’Agence et au regard des moyens en personnel et financiers qui lui seront alloués. Hubert Reeves a accepté d’être le parrain de l’Agence Française pour la Biodiversité.
Renforcement de la protection des habitats et des espèces, retenons :
- « les zones prioritaires pour la biodiversité » qui visent à renforcer ou à restaurer des habitats naturels d’espèces sauvages « au bord de l’extinction en France». L’administration pourra imposer certaines pratiques agricoles pour leur conservation via des contrats rémunérés.
- Les zones de conservation halieutique : qui devraient permettre de protéger des zones importantes pour la ressource comme les frayères, les couloirs de migration
- La protection des mammifères marins : les navires croisant dans les sanctuaires Pélagos et Agoa devront être munis d’un dispositif anticollision.
- L’obligation de mise en place d’un plan national d’action pour les espèces endémiques les plus menacées inscrites sur la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).
- L’Interdiction des battues sur les espèces protégées
- L’interdiction de la pose de poteaux creux (téléphone, pare avalanche), pièges pour les oiseaux et les rongeurs, mais aucune obligation de boucher ceux qui sont déjà en place ….
Ressources génétiques :
- La loi autorise le gouvernement à ratifier le protocole de Nagoya relatif à l’accès équitable aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles. La lutte contre la biopiraterie, le pillage des ressources par les industries pharmaceutiques, cosmétiques, agro-alimentaires, sera une des missions de la future Agence pour la biodiversité.
- Elargissement du champ de non-brevetabilité des gènes présents dans la nature des espèces animales et végétales (les gènes « natifs » naturellement présents dans le génome d’une plante ne pourront pas faire l’objet d’un dépôt de brevet).
- Autorisation des échanges de semences et plants à titre gratuit ou onéreux pour les non professionnels et les associations .Libre échange des plants et semences fermières entre agriculteurs (qui n’appartiennent pas à une variété protégée par un COV –Certificat d’Obtention Végétal- voir notre article https://ecologie58.blog4ever.com/la-guerre-des-semences-1
La loi a par ailleurs reconnu la pollution lumineuse, en retenant la notion de « paysage diurne et nocturne », celle de biodiversité des sols, le sol au regard de ses fonctions écologiques, économiques sociales étant considéré comme un élément constitutif du patrimoine commun de la nation , celle de biodiversité urbaine : à partir de 2017 obligation de végétaliser les toitures des centres commerciaux. d’utiliser des revêtements favorisant la perméabilité et l’infiltration des eaux pluviales sur les aires de stationnement...
Lobbies puissants (chasse, agriculture, pêche) qui ont une vision utilitariste de la nature et défendent leurs intérêts privés, dissensions gouvernementales (entre ministre de l’agriculture et ministre de l’écologie), dissensions entre Sénat et Assemblée nationale et au sein même de ces assemblées, autant de facteurs qui n’auront pas permis un débat à la hauteur des enjeux de l’urgence écologique qu’est la préservation de la biodiversité dont dépend notre avenir. Cette nouvelle loi n’est ni exemplaire ni visionnaire elle présente quelques avancées dont la réussite dépendra notamment des décrets d’application et des moyens (emplois, budget) qui seront dédiés à la biodiversité (à suivre la prochaine loi de finance…). Et s’il s’agit de reconquérir la biodiversité ça ne se fera pas sans sa prise en compte dans toutes les politiques sectorielles, qu’il s’agisse de l’agriculture, de la pêche ou de l’urbanisme et sans une mobilisation générale de toutes nos collectivités territoriales et de tous leurs acteurs économiques.
J. Thévenot
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