Nature et Environnement en Nièvre

Nature et Environnement en Nièvre

LA GUERRE DES SEMENCES

LA GUERRE DES SEMENCES

 

 

C’est une guerre dont on entend peu parler alors qu’elle est une composante de la mainmise des agro-industries sur le monde agricole et qu’elle touche à des enjeux considérables. Ce qu’il faut bien appeler une guerre est menée par les grandes firmes semencières. Une dizaine d’entre elles contrôlent déjà 74% du marché mondial des semences, dont 58% par quatre d’entre elles Monsanto,  Dupont (Etats-Unis), de Syngenta (Suisse), de Limagrain (France *). Dans l’Union européenne les semences du secteur légumes, maïs, betteraves sont entre leurs mains soit 40% du marché européen.

L’entrée de ces sociétés transnationales dans le domaine semencier s’est fait par l’absorption de nombreux petits et moyens obtenteurs (producteurs de variétés nouvelles) et par la fusion avec de gros concurrents. Cette guerre a commencé il y a un siècle.  Elle vise aujourd’hui de nouveaux marchés en Amérique latine, en Afrique, en Inde où l’écologiste  Vendana Shiva a lancé la contre attaque contre la piraterie de la biodiversité, 40000 semences en Inde pourraient tomber entre les mains de ces multinationales.

Un tel mouvement de concentration conduit à ce qu’un oligopole de multinationales est en passe de  contrôler les sources de l’alimentation mondiale. Et les semenciers, n’ont de cesse de chercher                                                   des moyens pour assurer leur monopole sur les graines ; moyens  techniques  d’un côté avec la mise au point des hybrides, des OGM et moyens juridiques de l’autre, la multiplication des droits de propriété sur les semences, obtenus par   des pressions fortes et incessantes sur les autorités gouvernementales et parlementaires.

 

Comment en est-on arrivé là ?

 

Pendant des siècles sélectionner et produire des semences étaient le travail des paysans.  Ils nous ont légué des  milliers de variétés locales adaptées aux terroirs, au climat, aux besoins des hommes et aux modes d’agriculture (il s’agit le plus fréquemment de « variétés populations » d’une grande diversité génétique). Ce patrimoine a été obtenu    par la voie de l’échange et en  ressemant une partie de la récolte.  Des droits d’usage collectifs garantissaient sa conservation ( stockage nécessaire aux futurs semis, protection contre les maladies, les ravageurs, les ennemis en période de guerre..) et le renouvellement des variétés. Ces pratiques ancestrales sont en péril dans les pays en voie de développement qui se voient imposer des règles sur les semences  au niveau international (via l’OMC notamment).  Dans nos pays, elles ont déjà largement disparu ; progressivement  les paysans ont perdu la main sur les graines. Une idée s’est imposée selon laquelle on pouvait améliorer les productions (productivité, résistance..) en travaillant sur les semences ce qui a eu pour conséquence de séparer  l’activité de production de l’ activité de reproduction des plantes. Dès la fin du 19ème siècle l’activité sélection se professionnalise et c’est en France que naît le métier d’obtenteur (producteur de variétés nouvelles). Dès la moitié du 18ème siècle de grandes familles (les Villemorin (1774), les Clause (1796), Tezier (1785)…) se lancent dans la sélection de semences et mènent des recherches  de techniques nouvelles de sélection  qu’il s’agisse des grandes cultures -blé, orge, betterave- ou des sélections potagères et florales.  Pour ce faire ces sélectionneurs  obtenteurs, puisent  évidemment dans  le réservoir des semences produites par les paysans de génération en génération  pendant des millénaires Ils passent ensuite des contrats avec des réseaux de multiplication,( au départ des agriculteurs), qui se spécialisent dans la production de semences.

Viendra ensuite (début du 20ème siècle) la mise au point par et pour l’industrie des hybrides( dès 1909 aux Etats-Unis avec le maïs après la seconde guerre mondiale en Europe), qui vont faire la fortune des semenciers privés.

 

Dans les pays développés la plupart des agriculteurs ont perdus leur autonomie et leur savoir faire  en matière de plans et semences

 

Ils ne maîtrisent plus leurs propres semences : les hybrides

 

L’extension des industries semencières comme la recherche pour l’amélioration des plantes s’est construite sur ces hybrides . C’est le moyen trouvé par l’industrie pour éliminer son  principal concurrent  la semence que produisait chaque année l’agriculteur avec sa récolte. L’hybride est stérile elle ne donne qu’une seule génération prolifique les agriculteurs doivent donc racheter chaque année leurs semences s’ils veulent obtenir des rendements équivalents. Ces hybrides ont remplacé  totalement certaines variétés traditionnelles cas en France par exemple du tournesol et du maïs (il n’existe plus que quelques variétés « population » dans les fermes, libres de droit que les agriculteurs n’ont le droit ni de donner, ni de vendre, la loi n’autorise que l’échange !

L’agriculture intensive s’est construite autour des hybrides. Si ces variétés ont permis des augmentations importantes  de rendements les agriculteurs en paient le prix : dépendance à 100% des semenciers industriels, dépendance économique car en situation de quasi monopole les semenciers peuvent fixer les prix qu’ils veulent, dépendance pour le choix des variétés….Ces semences déjà coûteuses   nécessitent en plus  irrigation, engrais, pesticides donc des intrants qui fragilisent encore plus  les agriculteurs qui deviennent dépendants d’une industrie qui en plus des semences leur vend les  produits chimiques  qui vont avec.

 

►Le catalogue officiel  autre arme de l’industrie contre les  semences paysannes

Par semences paysannes on entend les semences directement issues des semences sélectionnées et multipliées par les paysans dans leurs champs.

Depuis 1961 en France un catalogue officiel dresse la liste des variétés dont les graines et plans peuvent être mis sur le marché sur notre territoire ( il existe un catalogue européen somme des catalogues des Etats membres de l’UE qui regroupent plus de 18 200 variétés d'espèces agricoles et plus de 16 200 variétés d'espèces potagères commercialisables dans l'ensemble de ces pays). Il est interdit de vendre mais aussi  de donner et d’échanger  des semences et plans  destinés à une exploitation commerciale ( ce qui exclut l’autoconsommation,  la recherche, la conservation…) si les variétés végétales ne sont pas  inscrites dans le catalogue officiel.

Et pour y être inscrite la variété proposée doit répondre aux critères de distinction ( être nouvelle), d’ homogénéité (les individus au sein d’une même variété doivent être identiques sur le plan génétique) et de stabilité (il faut mettre sur le marché chaque année des individus conforme à la description d’origine).  Enfin pour les espèces de grande culture s’ajoute l’amélioration de la VAT ( valeur agronomique et technologique (le rendement doit être supérieur aux variétés  déjà inscrites).

Ces critères exigés pour l’inscription au catalogue sont inapplicables       aux  variétés traditionnelles (les variétés dites« population ») en raison de leur forte variété génétique Les semences paysannes ainsi  privées de l’accès au catalogue officiel, donc de commercialisation sont en danger de disparition.

S’ajoute un autre obstacle, celui du coût de  l’inscription et du maintien au catalogue  en raison du nombre des variétés paysannes et des volumes limités.

 Au final le catalogue ne comprend que des variétés modernes, sélectionnées par les techniques modernes et il  renvoie dans l’illégalité  toutes les variétés traditionnelles. A l’origine outil de standardisation et de traçabilité  il est devenu un outil de répression. Kokopelli en a fait l’expérience.  Cette association offre à la vente des semences de variétés anciennes ou rares dans le but de  maintenir la biodiversité agricole.  Semences qui ne sont pas enregistrées au catalogue et donc selon la loi  non commercialisables. Accusée par l’entreprise graines Baumaux  (à boycotter…) de concurrence déloyale elle a    été condamnée lui verser 100000 euros de dommages et intérêts après avoir perdu devant la cour européenne de justice.

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►Contrôle des industriels sur les semences de ferme   via les droits de la  propriété intellectuelle :

 Par semences de ferme on entend  les graines multipliées par l’agriculteur à la ferme, à partir des semences issues de l’industrie semencière.

Ces multinationales qui se sont servi dans le patrimoine végétal  entretenu par les paysans pour créer de nouvelles semences, bénéficient d’une législation de la « propriété intellectuelle des plantes »qui leur permet via un système de brevets et de certificats d’obtention végétale (COV) de s’assurer de l’exclusivité de leurs innovations et d’un paiement par les agriculteurs de taxes censées participer au financement des efforts de recherche.  

Les agriculteurs de leur côté revendiquent des droits ancestraux, notamment celui de reproduire leurs semences librement y compris à partir des  semences des sélectionneurs professionnels.

 

     -Les brevets sur le vivant :

 

Jusque dans les années 1980 y compris aux Etats-Unis les législations interdisaient tout brevet sur le vivant donc sur une variété végétale. En 1980, la Cour Suprême des Etats-Unis  admet le brevet d’une bactérie, génétiquement modifiée pour dégrader des hydrocarbures. Cette décision a ouvert la voie à ce qu’on appelle la privatisation du vivant. Dans la foulée l’office européen des brevets  accordera des brevets sur des micro-organismes,  des plantes, des animaux, des embryons humains….

Le brevet aux Etats-Unis s’inspire du droit industriel , et s’applique aux variétés végétales La variété ainsi protégée interdit toute utilisation pour en créer une nouvelle y compris à titre expérimental. Les variétés brevetées ne peuvent être utilisées à des fins de sélection, elles sont interdites en tant que semences de ferme (graines sélectionnées par l’agriculteur au sein de sa récolte pour les ressemer). C’est le cas des variétés OGM de Monsanto qui a créé une espèce de police privée pour traquer les agriculteurs. Le brevet s’apparente  à un système  d’appropriation totale de certaines semences ; c’est une des raisons du rejet des OGM par les consommateurs européens. 90% des principales cultures américaines sont des OGM brevetés

Au départ le brevet  visait à protéger les biotechnologies, notamment  les plantes génétiquement modifiées et les procédés pour les obtenir. Mais on assiste depuis une vingtaine d’années à une dérive sans fin  du système des brevets puisqu’il n’est plus nécessaire de présenter une véritable innovation, une simple découverte d’un mécanisme existant dans la nature peut suffire. A titre d’exemple l’Office européen du brevet a délivré à  Syngenta un brevet sur  des poivrons résistants à la mouche blanche que l’industriel avait obtenus à partir d’un poivron sauvage de la Jamaïque qui présentait cette résistance. Ce type de brevets sur des  plantes et des gènes existants dans la nature, se multiplient.

 Le système des brevets accélèrent évidemment la concentration de l’industrie semencière entre les mains des sociétés qui détiennent les plus gros portefeuilles de brevets.

 

      -En Europe  la protection des variétés repose sur le système du certificat d’obtention  végétale (COV)

Le COV autorise à l’inverse du brevet  le libre accès aux ressources génétiques de la variété protégée donc la mise au point de nouvelles variétés qui peuvent à leur tour être commercialisées. S’agissant des semences de ferme  sur les variétés protégées par un COV elles étaient tolérées depuis des décennies bien  que la loi les interdisait. Ce droit a été strictement réglementé par une loi de 2011 qui nous met en conformité avec le droit européen. Elles sont maintenant interdites sauf pour 21 espèces (fourragères, céréales, oléagineux, lin, pomme de terres….) que l’agriculteur peut utiliser à condition de  payer une taxe. En résumé  le COV  d’un côté interdit les semences de ferme pour un grand nombre de plantes dont les potagères  et de l’autre lorsque l’agriculteur  peut  sélectionner ses semences il doit payer une taxe.

Par ailleurs le COV ne fait pas barrage à un brevet ; une semence ou une plante peut bénéficier d’une double protection, un COV sur la variété et un brevet sur un gène qu’elle contient  ou un procédé dont elle résulte.

L’interaction de ces deux droits de propriété intellectuelle renforce les atteintes aux droits des paysans de sélectionner, de  conserver, d’utiliser et d’échanger leurs semences ainsi que celui de ressemer une partie de leur récolte. Elle conduit à l’interdiction des semences paysannes et des semences de ferme

Quant aux firmes semencières elles peuvent jongler avec les avantages que leur offrent brevet et COV pour monopoliser la sélection des plantes.

La conséquence de ce verrouillage de plus en plus lourd de la propriété intellectuelle sur le vivant conduit à un appauvrissement  de la biodiversité. Les semences paysannes ont été remplacées par quelques variétés industrielles les plus rentables  standardisées pour les besoins de l’industrie.  75% des variétés  cultivées ont disparu entre 1900 et 2000 (source FAO). 3000 espèces de plantes à fleurs sont domestiquées sur 240000  connues, mais seulement 150 sont cultivées couramment.

 

Partout dans le monde, une résistance s’organise.  Agriculteurs, scientifiques, élus, associations (kokopelli envoie chaque année dans le monde  gratuitement 300 colis de graines), ONG « GRAIN » se battent auprès de Vendana Shiva figure de proue de la lutte pour la préservation de la biodiversité des semences et la libre utilisation des semences traditionnelles  qui sont aujourd’hui une question de souveraineté nationale et une première réponse  pour certains pays confrontés aux risques liés au changement climatique.

Des maisons de semences, des banques coopératives de la biodiversité se multiplient dans le monde entier le but étant de libérer les agriculteurs des droits de propriété de l’industrie semencière, des OGM et des pesticides pour cultiver la biodiversité.

A ne pas confondre avec « la chambre forte mondiale de graines du Spitzberg »( appelée également « l’Alcatraz des graines » vu le système de surveillance mis en place…) construite  par le gouvernement norvégien sur  un archipel de l’océan arctique,  pour   sauvegarder des échantillons de l’ensemble des espèces végétales de la planète connues (quelques 4,5 millions d’espèces végétales), face aux catastrophes naturelles, au changement climatique, aux conflits….). Un projet  controversé déjà sur l’idée de vouloir conserver des graines hors sol, loin de leur milieu d’origine. Mais surtout  en raison de ses sources de financement.  A côté des gouvernements  (70%) on retrouve les grands groupes semenciers à hauteur de 25% : fondations Syngenta, Bill Gates lié à Monsanto, Rockefeller …qui pourront s’approprier ce trésor via le séquençage génétique pour créer plus tard des plantes synthétiques qu’il suffira de breveter !

 

 

                                                                    J. Thévenot

 

www.kokopelli.asso.fr

www.semencespaysannes.org

www.grain.org

 

Une réforme de la législation européenne sur le commerce des semences est en discussion à Bruxelles.  Le Parlement a rejeté la proposition de règlements de la Commission.  Affaire à suivre.

Sans oublier le projet du traité transatlantique TAFTA (cf notre article précédent) et les enjeux des accords de libre échange UE/USA sur l’agriculture et les semences….

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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30/06/2014
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