Les étangs de la Nièvre
LES ETANGS DE LA NIEVRE
La Nièvre compterait plus de 3000 étangs d’origine artificielle (les chiffres varient entre 3000 et 3500…) localisés principalement dans le Morvan, la Puisaye et la région Entre Loire et Allier
S’agissant des étangs les plus anciens, les usages étaient divers, moulin, production piscicole, lavoirs…Dans les années 70/80 leur nombre explose. La majorité sont des réalisations privées, de petites dimensions réservé aux loisirs , pèche, chasse….s’y ajoutent des étangs pour l’irrigation. C’est à cette époque que commence la dégradation des eaux car beaucoup de ces ouvrages sont construits sur les cours d’eau (le plus souvent sur de petits ruisseaux) sans précaution particulière, sont mal gérés voire abandonnés. Il faudra attendre la loi sur l’eau de 1992 pour que tout étang susceptible de porter atteinte à la ressource en eau et au milieu aquatique soit soumis à déclaration ou à autorisation en fonction de différents critères, surface de l’ouvrage (1000m2 et plus), situation par rapport au cours d’eau, quantité d’eau prélevée….
Aujourd’hui encore beaucoup de ces étangs créés avant la loi de 1992 sont inconnus de l’administration soit parce que créés illégalement, soit parce que créés avant 1789 et donc bénéficiant d’un droit fondé en titre, soit créés entre 1789 et 1905 époque où ils n’étaient soumis à aucune formalité (à partir de 1905 les étangs en barrage, en dérivation et alimentés par une prise d’eau sont réglementés). Ils échappent donc à tout contrôle. A titre d’exemple sur le bassin versant de la Nièvre on estime le nombre d’étangs compris entre cinquante et quatre-vingts...et la majorité en barrage.
A ce jour le nombre d’étangs déclarés à l’administration est de l’ordre de 500…
Il ne faudrait pas croire que cette pagaille dans le domaine des étangs est propre à la Nièvre. Cette situation est générale. Les raisons en sont multiples : complexité d’une réglementation qui s’est stratifiée en évoluant au cours du temps et qui de plus apparemment a fait l’objet selon les époques d’interprétations diverses de la part de l’administration, laxisme d’une administration qui des années durant n’a pas fait preuve d’un grand zèle pour obliger les contrevenants connus à une déclaration de leurs étangs et à une mise aux normes (et cela concerne aussi les étangs communaux…), mais aussi un manque de moyens pour recenser , informer et aider à la gestion des étangs, dans la Nièvre comme ailleurs.
En 2005 le ministère de l’écologie décide de tenter de remettre de l’ordre en permettant à tout propriétaire d’étang créé légalement avant 1993 (date d’application de la loi eau de 1992) d’accéder à une procédure de régularisation simplifiée. La démarche concernait les ouvrages qui lors de leur installation ne nécessitaient pas d’autorisation administrative mais qui à partir de 1993 sont soumis à autorisation. Les propriétaires avaient jusqu’au 31 décembre 2006 pour déclarer leur ouvrage. En Nièvre 300 d’entre eux seulement se sont manifestés.
Cette régularisation bien que simplifiée, n’intervient évidemment qu’après contrôle par l’administration du bon fonctionnement de l’étang, état des digues, respect du débit réservé du cours d’eau, évaluation des incidences sur le milieu aquatique… On peut penser qu’un certain nombre de propriétaires ont refusé de déclarer leur étang par peur du gendarme et de découvrir qu’ils n’étaient pas en règle et allaient devoir faire des travaux de remise aux normes qui pouvaient être coûteux…A côté de réfractaires à la réglementation (dont il faut reconnaître qu’elle avait besoin d’être éclaircie), vent debout contre une administration « jugée « en proie à un écologisme intransigeant » !!!… et » pratiquant des contrôles techniques trop tatillons »qui se regrouperont en 2006 dans l’ « association des propriétaires et exploitants d’étangs de la Nièvre et de la Bourgogne » (l’Apenb) qui a avancé depuis. On a pu lire dans le JDC du 2 décembre 2014 que l’association incitait ses membres à régulariser leur situation pour « avoir des étangs réguliers et bien gérés. Nos rivières ne peuvent qu’y gagner, car l’abondance des étangs, leur densité, l’absence d’une gestion appropriée sont une cause de leur dégradation.
Les impacts des étangs sur les cours d’eau :
Les impacts les plus importants sont évidemment liés aux étangs établis en barrage du cours d’eau. Ils sont moindres pour les étangs en dérivation puisque la rivière ne traverse pas l’étang. Mais lorsqu’elles sont nombreuses, les prises d’eau qui alimentent l’étang contribuent à l’assèchement des cours d’eau.
A l’aval de ces étangs les caractéristiques naturelles des cours d’eau sont modifiées, qualité de l’eau, débit, biodiversité..
► impact sur la qualité de l’eau. Plusieurs paramètres jouent sur la qualité des eaux stagnantes d’un étang et donc sur celle de la rivière qui reçoit en temps normal le trop plein de l’étang et la totalité de ses eaux au moment des vidanges.
- la température lié au réchauffement estival des eaux d’un étang, d’autant plus rapide qu’il est de faible surface et peu profond. En été les eaux de surface d’un étang peuvent atteindre 25°C. Rejetées dans le cours d’eau le risque de réchauffement est réel avec une conséquence possible la modification du peuplement piscicole. Sur le Cousin affluent de la Cure qui héberge la moule perlière, le chabot, la truite, le réchauffement a pu atteindre 4,5°C incompatible avec le maintien de ces espèces. La température influe également sur la croissance, la reproduction, l’état sanitaire de tous les organismes vivants (végétaux, invertébrés, poissons…).
- la diminution du taux d’oxygène dissous à l’aval de l’étang en raison du réchauffement , de la sédimentation des matières en suspension et de l’inertie de la masse d’eau
- l’accumulation des nutriments (azote, phosphore) qui peut entraîner en période chaude un développement excessif de la végétation (eutrophisation avec diminution de la teneur en oxygène lors de sa décomposition) et des cyanobactéries (bactéries ressemblant à des algues microscopiques qui peuvent libérer des toxines) qui vont être relargueés dans le cours d’eau au moment des vidanges.
- l’accumulation des matières en suspension (provenant du cours d’eau et de la biomasse de l’étang) qui peuvent au moment d’une vidange entraîner dans le cours d’eau le départ des boues du fond de l’étang engendrant à l’aval une pollution dont les conséquences sont un colmatage du milieu récepteur qui empêchera la reproduction s’il s’agit de frayères, une mortalité piscicole par asphyxie ainsi qu’une diminution des invertébrés nourriture des poissons et facteur d’autoépuration de l’eau. Ces impacts sont d’autant plus importants que l’étang est mal géré et fait l’objet de vidanges irrégulières et mal maîtrisées.
Des facteurs aggravent ces impacts c’est le cas lorsque la surface de l’étang est très importante par rapport à la largeur du cours d’eau sur lequel il se trouve, tel l’étang du Bois (commune de Champlemy) de plus de huit hectares, alors que la branche de la Nièvre de Champlemy à cet endroit ne dépasse pas deux mètres. C’est le cas lorsqu’il a une forte densité d’étangs sur un bassin versant à l’exemple de celui de la Vrille ( la Vrille et ses affluents,167km2 où on dénombre plus de 60 étangs, un nombre considérable pour une rivière qui fait 36 km. Le haut bassin du Cousin (37km2) regroupe 60km de cours d’eau et 54 étangs.. C’est le cas enfin des étangs implantés en tête de bassin hydrographique de première catégorie piscicole (cours d’eau à dominance salmonicole).
► impacts sur le débit du cours d’eau :
Déjà un étang intercepte une partie des eaux de ruissellement qui se trouvent soustraites du débit naturel des cours d’eau. Ensuite le volume d’eau prélevé directement dans la rivière est toujours supérieur au volume rejeté car il doit compenser les pertes dues aux infiltrations plus ou moins importantes selon la nature du sol, l’ancienneté de l’étang (l’étanchéité augmente avec le temps), les fuites en cas de mauvais entretien des digues et des chaussées, et l’évaporation ( de 0,4 à 0,5l/s/ha dans notre département), phénomène qui se situe d’avril à septembre à une période estivale de faible pluviométrie où les débits sont déjà faibles.
Les propriétaires d’étang ont l’obligation de maintenir lors du fonctionnement et lors du remplissage un débit « réservé » un débit minimal dans le lit du cours d’eau au-delà duquel la vie aquatique est en danger. Ce qui suppose que le dispositif d’alimentation de l’étang soit muni de moyen d’évaluation des débits….c’est un des points majeurs que contrôle l’administration… lorsqu’elle est en mesure de le faire…
Inversement une vidange brutale qui ne prend pas en compte les capacités du milieu récepteur peut être à l’origine de débordements et d’impacts sur le lit et les berges.
► impacts sur la biodiversité :
- Un étang en barrage d’un cours d’eau porte directement atteinte au milieu aquatique puisqu’il transforme des eaux courantes en eaux stagnantes d’une faible profondeur et vaseuses. Il peut entraîner également la disparition d’une zone humide naturelle.
- Il constitue un obstacle à la continuité écologique, qu’il s’agisse du déplacement des espèces, les grilles destinées à empêcher des espèces non indigènes et exotiques de passer dans la rivière entravent également la libre circulation des poissons vers les zones de frayère (montaison) et vers les zones de grossissement (dévalaison) ; les échanges génétiques sont également réduits. Ou qu’il s’agisse du transit sédimentaire qui est un élément essentiel du maintien de l’équilibre dynamique des cours d’eau. Le blocage des sédiments à l’amont entraîne une dégradation morphologique du cours d’eau et la disparition d’espèces. Ainsi faute de transit sédimentaire la disponibilité en gravier et galets nécessaire pour la reproduction des truites, des écrevisses… fera défaut.
- Il peut entraîner une modification du peuplement piscicole de la rivière. L’élévation de température peut provoquer une diminution voire une disparition des salmonidés ( truites fario..) présents dans les rivières de première catégorie) qui recherchent les eaux fraîches. Ils seront remplacés par des cyprinidés (ablette, goujon, gardon, tanche, vairon …) qui s’adaptent bien au réchauffement des eaux. Le changement de température peut aussi faire disparaître certains invertébrés dont se nourrissent les salmonidés. Le déclin de la population de truite fario dans nos rivières du Morvan participe à celui de la moule perlière (mulette) puisque ses larves pour se développer et ensuite se disséminer ont besoin de se fixer sur les branchies de celle-ci ( l’autre espèce lui servant d’hôte obligatoire étant le saumon..).
De même les étangs de loisirs, en raison de leurs impacts sur la qualité de l’eau, figurent parmi les facteurs de la disparition des écrevisses autochtones du Morvan (à pieds blanc et à pieds rouge). Comme la moule perlière elles sont un bon indicateur de la qualité biologique du milieu, très sensible aux pollutions elles affectionnent les eaux fraîches et bien oxygénées. Les étangs de plus sont des zones propices aux écrevisses importées bien moins exigeantes quant à la qualité de l’eau qui peuvent par la voie des vidanges coloniser le cours d’eau.
Les étangs favorisent l’arrivée d’espèces non autochtones dans le cours d’eau : poissons de rivière de deuxième catégorie, poissons carnassiers (brochet, black-bass…) dans des eaux de première catégorie piscicole, espèces exotiques source de déséquilibres biologiques car elle se nourrissent d’ alevins et d’œufs des autres poissons (Poisson Chat, Perche Soleil…), espèces d’élevage (carpe herbivore…),.
La vidange peut également occasionner le départ dans le cours d’eau de poissons porteurs de maladie.
Ce rapide survol des impacts ne doit pas faire oublier leur grande variabilité en fonction de l’usage de l’étang et que certains d’entre eux peuvent constituer des écosystèmes d’intérêt majeur pour la conservation du patrimoine naturel (végétaux aquatiques, poissons, amphibiens, oiseaux…) qui leur vaut un classement en NATURA 2000 : étangs du Bazois, étang de Marvy(Neuvy/Loire).
La problématique étang est liée à cette multitude de propriétaires non professionnels, qui gèrent leur étang (quand ils le gèrent…) de façon empirique, hors réglementation et à des années lumière de toute préoccupation écologique quant à l’état fortement dégradé de nos rivières. qui ne permet pas l’atteinte du bon état écologique des cours d’eau et milieux aquatiques à laquelle doit parvenir la France comme tous les Etats de l’Union européenne en application de la directive Cadre Eau. C’est la raison pour laquelle une bonne gestion des étangs est indispensable.
La police de l’eau a l’obligation de connaître tous les étangs et faire appliquer la réglementation loi eau mais également celle relative à la sécurité des barrages qui concerne les digues d’étang supérieures ou égales à deux mètres de hauteur (selon le JDC du 2 décembre la DDT a contrôlé une quinzaine d’étangs en 2014).
Dans les faits la régularisation des étangs repose toujours essentiellement sur le bon vouloir des propriétaires….raison officielle le manque de moyens de l’administration…raison officieuse éviter de mettre le feu aux poudres….Une quarantaine d’étangs seraient sur la voie de la régularisation, ce qui donne une idée de la tâche qui reste à accomplir.
La Directive Cadre Eau retient la continuité écologique comme élément de classification de la qualité écologique d’un cours d’eau ce qui a conduit à un nouveau classement des cours d’eau,.
● Il s’agit des cours d’eau en très bon état écologique ou qui sont des réservoirs biologiques ou des axes pour les migrateurs amphihalins (anguille, lamproie, grande alose dont le cycle biologique se déroule dans les eaux douces et en mer) sur lesquels est exclu tout nouvel ouvrage portant atteinte à la continuité écologique. Les ruisseaux en tout ou partie en très bon état écologique sont ceux situés en tête de bassin , Aron, Alène et ses affluents, la Dragne et ses affluents, la Nièvre jusqu’à Guérigny, l’Ixeure, le Sauzay, la Cure, le Chalaux, le Cousin , le Vignan, le Touron…,
● Des cours d’eau qui présentent des enjeux majeurs pour des espèces migratrices ou qui sont identifiés comme zones de frayères de poissons (chabot ,lamproie marine, de planer, ombre commun, truite, brochet, grand alose, vandoise) et écrevisses à pieds blancs et à pied rouge, ce qui implique le rétablissement de la continuité écologique, transport des sédiments et circulation des poissons. Figurent notamment dans cette liste en tout ou partie le Nohain, la Dragne, la Brinjame, l’Yonne , l’Abeille… pour la truite ; l’Aron, la Canne, l’Yonne… pour l’anguille, l’Alène (frayères lamproie marine), la Cure classée axe migrateur (à l’aval des Settons, jusqu’à Crescent)….un nombre important de ruisseaux sont classés en zone de frayère et d’alimentation ou de croissance de la population piscicole , la Vrille et ses affluents et sous affluents ,le Mazou, le Nohain, l’Abron, la Canne, l’Acolin, la Cressonne, la Nièvre, la Cure, le Beuvron,….
Les étangs en barrage sur ces cours d’eau devront donc être aménagés conformément à cette réglementation (dans les 5 ans du classement 2017) soit en les plaçant en dérivation soit en les effaçant. Cet effacement qui améliore nettement le fonctionnement pouvant être considéré comme une action d'intérêt général et bénéficier d’aides publiques.
(Petit rappel, figurent aussi parmi les obstacles à supprimer ou à aménager les seuils des moulins…).
Vaste chantier donc qui se heurte encore à des propriétaires qui ne comprennent pas le rôle de la continuité écologique dans le bon équilibre physique et biologique des cours d’eau ( donc la nouvelle réglementation), qui considèrent que cette administration qui a des décennies durant toléré des étangs mal gérés se met à faire du zèle et qui n’envisagent pas forcément que l’intérêt général que représente la préservation d’un patrimoine naturel) commun (milieux aquatiques et ressource en eau) puisse primer sur leur intérêt privé. D’où la nécessité d’informer, de former et d’accompagner efficacement les propriétaires d’étangs qui veulent améliorer leur ouvrage ou le supprimer (cas vraisemblablement plus exceptionnel…) et de convaincre les récalcitrants s’ils veulent échapper à des sanctions que l’administration devra in fine appliquer.
La mise en œuvre dans le département de contrats de rivière,(de la Nièvre, de la Vrille, du Nohain, du Mazou …devrait être une opportunité pour aborder la problématique des étangs de façon cohérente et efficace au niveau des bassins versants.
J. Thévenot
www.parcdumorvan.org –milieux naturels –programmes LIFE ruisseaux et LIFE continuité écologique pour connaître l’action très intéressante du PNR en la matière
www.cg58.fr « l’eau dans la Nièvre, des sources et des ressources » qui ne développe pas beaucoup le problème des étangs mais présente la carte de leur implantation….
des étangs de loisir, privés, plus proches du trou d'eau et de la baignoire que d'un milieu accueillant pour la biodiversité aquatique.... Ils sont légions le plus souvent d'une surface inférieure aux 1000 m2 à partir de laquelle s'impose la loi eau depuis 1993 (régime de déclaration ou d'autorisation administrative). Donc créés en toute liberté.
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