Agriculture- Loi d'orientation agricole
Agriculture- Loi d’orientation agricole
Bloquée dans son parcours par la dissolution et la chute du gouvernement Barnier la loi d’orientation agricole a été votée définitivement par les deux assemblées le 20 février 2025, au pas de charge (3 jours), à la veille de l’ouverture du Salon de l’agriculture conformément au souhait du gouvernement . Intitulée « loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture » elle devait à l’origine, répondre à deux questions majeures touchant à l’avenir de l’agriculture française, le renouvellement des générations ( accompagner l’installation et la transmission, répondre au pic démographique (dans la décennie 1/3 des agriculteurs va partir à la retraite) et la transition agro-écologique.
Ce texte est arrivé en pleine crise agricole, nombre de sujets ont été rajoutés pour répondre aux revendications des agriculteurs exprimées sur le terrain. On se retrouve avec une loi verbeuse, fourre-tout, qui se gargarise du terme de « souveraineté alimentaire » pour justifier notamment d’importants reculs sur les règlementations environnementales et continuer à conforter un modèle productiviste mortifère pour notre agriculture.
17 articles de la loi (soit le tiers) ont été censurés par le Conseil Constitutionnel, la majorité pour des questions de forme (cavaliers législatifs sans lien avec la loi) et quelques - uns de fond, nocifs pour l’environnement.
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https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2025/2025876DC.htm
→ l’agriculture est élevée au rang d’intérêt général majeur » (comme l’exigeait la FNSEA…) art. 1: « La protection, la valorisation et le développement de l'agriculture et de la pêche sont d'intérêt général majeur en tant qu'ils garantissent la souveraineté alimentaire de la Nation. Ils constituent un intérêt fondamental de la Nation en tant qu'éléments essentiels de son potentiel économique ».
La loi y rajoutait le principe de « la non régression de la souveraineté alimentaire »…qui se voulait le pendant du principe déjà existant de « non- régression environnementale » (qui empêche tout retour en arrière en droit de l’environnement- Charte de l’environnement), que le conseil constitutionnel a censuré.
Ce verbiage, sans portée juridique aucune, relève du simple affichage politique en réponse à une exigence de la FNSEA et laisse entendre que l’agriculture devrait prendre le pas sur l’écologie.
Cette loi déclare « d’intérêt majeur » une agriculture qui s’industrialise, avec sa cohorte d’effets néfastes sur la biodiversité, la qualité de nos eaux, des sols, qui met en péril la pérennité de certaines filières, creuse les inégalités au sein de la profession, conduit à une baisse alarmante du nombre d’agriculteurs et agricultrices et tourne le dos à l’urgence climatique et à la transition agro-écologique.
Il est une agriculture véritablement d’intérêt majeur qui peut être le fer de lance de la transition alimentaire et agricole à mener pour garantir notre souveraineté alimentaire, c’est l’agriculture biologique. Elle est dans une passe difficile faute notamment d’accompagnement des filières de la part de l’Etat et d’un manque de visibilité totale avec des politiques variables d’une année sur l’autre.
Les sénateurs sont allés jusqu’à tenter de supprimer l’objectif de 21% de terres en bio d’ici 2030 et de faire disparaître l’Agence bio qui travaille à son développement!
Le terme « agro-écologie » est par ailleurs banni de la loi, remplacé une belle formule « outils scientifiques et techniques utiles aux transitions climatique et environnementale »…
.Quant au concept de la souveraineté alimentaire qui est au cœur de la loi, la définition qu’elle en donne révèle la poursuite du modèle agricole actuel avec des objectifs qui sont incompatibles : art.1 -la souveraineté alimentaire : « s’entend comme le maintien des capacités de la nation à produire, à transformer, et à distribuer les produits agricoles alimentaires nécessaires et le soutien des capacités exportatrices contribuant à la sécurité alimentaire ». Il s’agirait donc de:
→ produire plus pour les besoins nationaux afin de diminuer les importations ce qui supposerait d’augmenter le nombre de fermes à taille humaine sur les territoires et de diversifier les productions.35% des fermes n’ont plus qu’une seule production, avec quatre productions (blé, maïs,colza, orge) qui couvrent 55% des terres arables….
→ et en même temps maintenir une capacité d’exportation c’est-à-dire être compétitif sur le marché international qui pousse à la productivité, à des produits de plus en plus standards en grands volumes, sur de grandes exploitations (rendant l’installation des nouvelles générations de plus en plus difficile) avec de moins en moins d’agriculteurs.
Ce modèle agricole est en outre fortement dépendant d’engrais de synthèse, de semences, de pesticides, de pétrole pour les cultures et de soja pour le bétail autant de produits qui sont importés.
Cette poursuite du produire plus pour exporter plus , sous couvert de « souveraineté alimentaire », se heurte à des réalités : une même terre ne peut pas servir à la fois à la production nationale et à l’exportation. La surface des terres agricoles n’est pas extensible. Au contraire elle est en baisse continue du fait de l’artificialisation (infrastructures routières, urbanisation…), à laquelle s’ajoute la mobilisation de terres pour la production d’énergie, panneaux photovoltaïques sur terres agricoles, production d’agro-carburants. 5 millions d’ha sont consacrés à l’alimentation animale (élevages intensifs). Les rendements agricoles sont en baisse (aléas climatiques, érosion de la biodiversité, dégradation des sols, l’eau et ses usages qui devient aussi une préoccupation majeure.
Le dernier rapport(2024) de la fondation Terre de liens intitulé « souveraineté alimentaire : un scandale français » démontre l’absurdité du modèle agricole français.
Pour Terre de liens la France a, avec ses 28 millions d’ha de terres agricoles, la capacité de se nourrir. Le problème n’est pas que la France ne produit pas assez mais qu’on exporte ce qu’on produit y compris ce dont on a besoin !
43% des terres agricoles sont destinées uniquement à l’exportation rendant la France dépendante des importations pour nourrir sa population. Plus de la moitié des surfaces céréalière, fruitières et maraîchères, un quart des surfaces d’élevage sont dédiées à l’exportation. Parallèlement alors que nous savons les produire, un tiers des fruits et légumes, un quart de la viande (volaille, porc), 40% du beurre consommés sont importés. L’exemple le plus frappant étant celui de la production du blé dur, largement excédentaire pour couvrir nos besoins 75% vont à l’exportation et on importe trois quart des pâtes et semoules pour couvrir la consommation intérieure.
. Nombre de composants de produits transformés dont la consommation augmente sont importés : cas du lait 1/4 de la production est exportée (‘poudre, autres produits laitiers) et 5 milliards de litres sont importés pour la fabrication d’aliments industriels.
Derrière ce ballet infernal de matières premières se cache une mise en concurrence féroce des producteurs par les industries de transformation et la grande distribution.
Haro sur les règlementations environnementales dans un titre intitulé « Sécuriser, simplifier et faciliter l’exercice des activités agricoles »
→ Sanctions pour atteintes à l’environnement: dorénavant seules les atteintes intentionnelles ou résultant d’une grave négligence (non définie par la loi) seront sanctionnées pénalement (jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende). Or ces cas est appliquée une simple sanction administrative, une amende maximale de 450 euros ou un stage de sensibilisation aux enjeux de protection de l’environnement !
Le Conseil constitutionnel a censuré cette présomption de non intentionnalité mais seulement pour certaines atteintes à l’environnement notamment celles concernant les espèces protégées.
→ Contentieux relatifs à la construction de bâtiments d’élevage et de retenues d’eau : la loi introduit une « présomption d’urgence » pour le traitement des recours menés à leur encontre : réduction des délais, simplification du processus judiciaire,( décision du juge administratif dans un délai de 10 mois).
→ produits phytosanitaires : la loi consacre le principe « pas d’interdiction sans solutions alternatives économiquement viables et techniquement efficaces » totem de la FNSEA et JA : voie ouverte pour l’abandon de la réduction des pesticides et la réintroduction des néonicotinoïdes….
→ La non sur-transposition des normes européennes autre refrain des syndicats majoritaires ( notamment en matière de produits phytosanitaires et de seuils pour les bâtiments d'élevage). Le Conseil constitutionnel a censuré la disposition qui prévoyait que les « normes réglementaires en matière d’agriculture ne peuvent aller au-delà des exigences minimales des normes européennes, sauf lorsqu’elles sont spécialement motivées et évaluées avant leur adoption et qu’elles ne sont pas susceptibles d’engendrer une situation de concurrence déloyale » en clair qui interdisait d’adopter à l’échelle nationale des politiques plus ambitieuses que celles prévues au niveau européen.
→ les haies : la gestion des haies avaient été dénoncée comme un casse-tête par les agriculteurs et le gouvernement… (règlementations multiples),
La loi (art.37) leur consacre un important chapitre ( définition, gestion durable, objectif de linéaire…). Elle soumet leur destruction à une déclaration unique préalable qui vaut autorisation sans réponse contraire de l’administration dans un délai de 4 mois. L’administration devra établir dans chaque département une cartographie des réglementations sur les haies et reconnaître la possibilité de "travaux d'entretien usuels" échappant par principe à la qualification de "destruction". CF excellent article de la revue Sesame :
https://revue-sesame-inrae.fr/la-haie-une-vraie-jungle/
Quant au renouvellement des générations : la loi fixe l’objectif d’au moins 400 000 exploitations et 500 000 agriculteurs d’ici à 2035. Soit un but de non régression par rapport à la situation actuelle tout en favorisant l’agriculture intensive qui aura pour conséquence de réduire encore davantage leur nombre. Selon certains observateurs de l’agriculture française la France en 2040 comptera entre 180 000 et 250 000 exploitations….
Ce chiffre de 400 000 exploitations n’a aucun sens on ne sait pas de quoi on parle. Il laisse entendre que la population agricole est homogène alors qu’elle est très diversifiée :micro- fermes de proximité sur de petites niches, fermes familiales, bio, grandes exploitations spécialisées, fermes firmes gérées comme des entreprises ( aux mains d’investisseurs extérieurs, main d’œuvre salariée, multitude de spécialisations, d’unités de production, de sites…).
Autre non sens fixer un objectif de nombre sans se préoccuper de la viabilité des exploitations et des filières.
Si la loi prévoit quelques mesures d’accompagnement en matière d’installation et de transmission elle laisse sans réponse le problème de la régulation du foncier agricole (limitation de l’agrandissement, lutte contre l’accaparement des terres, accès au candidats à l’installation..) et celui des revenus trop faibles qui interroge les agriculteurs d’aujourd’hui et de demain... Il est question de « juste rémunération » non définie et sans mesures concrètes pour y parvenir avec renvoi à une énième loi « Egalim » (la 4ème) qui accumule les échecs. Et casser des normes, notamment environnementales, ne va pas permettre d’augmenter le revenu !
La loi n’aborde pas plus (si ce n’est au niveau de intentions…) le problème des accords de de libre échange appliqués à l’agriculture et celui des aides PAC qui favorise l’agriculture intensive et productiviste.
Cette loi au titre ambitieux, reconquête de notre souveraineté alimentaire (perdue) avec l’ indispensable renouvellement des générations ne donne aucun chance d’atteindre ces objectifs. Elle perpétue l’orientation productiviste de notre système agricole (produire et vendre toujours plus, qui n’a plus aucun sens aujourd’hui,) à l’origine de la crise agricole, qu’elle va aggraver et rend si peu attractif le métier d’agriculteur. Alors que cette loi était censée donner un cap pour retrouver l’envie d’embrasser cette profession !. Autre rendez-vous manqué, l’accompagnement de notre agriculture vers un changement de modèle qui va nous nourrir, préserver les ressources naturelles et le monde du vivant sur lesquels s’appuie la production agricole, permettre l’adaptation au réchauffement climatique et le soutien aux agriculteurs qui ont déjà emprunté cette voie ou veulent s’y engager.
J. Thévenot
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000051368091?datePubli= loi d’orientation agricole
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