Nature et Environnement en Nièvre

Nature et Environnement en Nièvre

Les droits de la Nature

Les droits de la nature

 

Le Parlement espagnol vient de doter de la personnalité juridique la Mar Menor,  une lagune d’eau salée au Sud-Est de l’Espagne, la plus grande d’Europe, menacée à brève échéance de disparaître sous les effets de la pollution agricole  et d’une urbanisation effrénée.

Novatrice sur le plan juridique cette mesure l’est aussi par la manière dont elle été adoptée, par la voie de l’initiative législative populaire prévue par la constitution espagnole qui permet à 500000 citoyens, par pétition  de saisir le Congrès  des députés afin qu’il statue sur une proposition de loi. 640000 espagnols ont signé la pétition.

Pour la première fois en Europe, un écosystème naturel obtient  le statut de personnalité juridique c’est à dire la qualité de sujet de droit. Concrètement c’est lui reconnaître des droits qui lui sont inhérents  et permettre aux citoyens de saisir la justice en son nom,en cas de dommages subis par lui directement.

 

En France :   Le collectif pour « un Parlement de Loire » s’est posé  les mêmes questions « comment faire pour que la Loire et toutes  les entités vivantes et non vivantes qui la composent puissent s’exprimer et défendre leurs intérêts à travers un système de représentation interspécifique, humains et non humains afin de donner voix aux conflits qui les opposent ?».

En 2019  l’écrivain Camille de Toledo lance à Tours  avec le pôle Arts et Urbanisme (POLAU) des auditions du Parlement de Loire. Une commission composée d’archéologues, philosophes, biologistes, architectes, paysagistes, écologues, juristes, artistes, riverains et usagers de la Loire…a réfléchi aux conditions dans lesquelles la Loire  pourrait  être le premier fleuve européen à accéder à la personnalité juridique. Ces échanges sont consignés dans un livre « le fleuve qui voulait écrire »   (éditions « les liens qui libèrent » ).

 

Mais les projets les plus aboutis  reviennent :

- à la Corse  avec « la déclaration des droits du fleuve  Tavignanu » (menacé par un centre de déchets) publiée par un collectif d’associations corses et l’association « Notre affaire à tous » (droit d’exister, de vivre, de s’écouler, de ne pas être pollué). soutenue par Bastia  et la collectivité de Corse en 2021 (à noter l’appui d’une dizaine de municipalités, Bordeaux, Strasbourg, Besançon, Tours…) L’objectif est maintenant de la rendre opposable en l’annexant aux plans d’urbanisme  ou aux schémas de gestion de l’eau.

- et aux Pyrénées orientales avec la déclaration des droits du fleuve la  Tet (novembre 2021)  lancée par l’association En Commun 66  en association avec Notre Affaire à Tous.

l’ONG Nature’s Rights a rédigé un projet de directive européenne sur les droits de la Nature, dans le but de la soumettre à la procédure de l’initiative Citoyenne (il faut 1 million de signatures)  pour inviter la Commission européenne à présenter au Parlement sur la base de ce texte une proposition législative.

 

La nature, sujet de droit

 

 La rapidité et l’ampleur alarmante de la crise écologique que nous traversons liée aux impacts de l’activité humaine , qui met en  danger l’avenir des générations futures et la vie sur terre, conduit au  développement dans le monde  d’un  champ juridique nouveau « les droits de la Nature »Il repose sur l’idée que pour mieux la protéger il faut lui reconnaître  la personnalité juridique  c’est-à-dire la qualité de sujet doté de droits qu’elle peut défendre en justice par l’intermédiaire de représentants.

La représentation peut emprunter la voie de la nomination de représentants, ou d’une procédure qui permet à toute personne (physique ou morale)  de saisir le juge en cas d’atteinte à un élément naturel et au nom de celui-ci.

La Nature s’entend comme l’ensemble des écosystèmes, des lieux de vie au sein desquels êtres vivants et non vivants vivent en interdépendance.

 

Une vision à l’opposé de la pensée occidentale ( sources grecques, judéo-chrétiennes, penseurs de la modernité et des Lumières ) où l’homme a été pensé hors nature et  au-dessus d’elle (le fameux « maître et possesseur de la Nature de Descartes »).  Traitée comme une chose appropriable,  considérée comme un réservoir de ressources où l’on se sert sans compter au profit de l’objectif d’une croissance sans fin  qui la détruit  et  à qui on ne reconnaît de valeur qu’en fonction de son utilité directe et immédiate pour l’homme.

 

 

 La philosophie des peuples autochtones, vus par certains comme les témoins d’un passé révolu… ont énormément à nous apprendre. Elle fait dépendre directement leur survie et leur bien-être de leur environnement. Pour ces peuples les relations entre humains et nature reposent sur des liens  de réciprocité, de complémentarité, d’interdépendance, de protection mutuelle. L’humanité n’est pas une entité séparée de la Nature mais une partie d’un tout. Ils se perçoivent comme les gardiens de la terre non ses propriétaires, donc responsables collectivement du bien-être de la nature et de toutes les créatures vivantes du territoire à laquelle elles appartiennent. *l’homme n’est qu’un élément dans ce grand tout d’entités à part entière.

  Pour les sociétés occidentales la marche  à franchir  pour un tel bouleversement culturel et juridique paraît très haute ……Mais il est une évidence, le droit de l’environnement se révèle inefficace pour répondre à l’ampleur de la  crise environnementale et climatique, il est donc nécessaire d’aller  au- delà , d’adapter notre système juridique à l’urgence de la situation. La reconnaissance de droits à la Nature est la voie possible.

 

 

Avancée des droits de la Nature

 

Non seulement le débat doctrinal  sur l’intérêt d’une telle démarche ne cesse de s’étoffer mais les droits de la Nature sont,  depuis une vingtaine d’années, devenus une réalité en droit positif de plusieurs pays (lois, Constitution) ainsi  que dans des décisions de justice. L’avancée de ces droits repose sur l’élargissement de l’accès à la justice. Voir une analyse complète sur  ce sujet  “Les Droits de la Nature -Vers un Nouveau Paradigme de Protection du Vivant.” /Notre Affaire À Tous (ed. Le Pommier 2022)..

Certains pays accordent la personnalité juridique à la nature dans son ensemble, comme l’Equateur ou la Bolivie, d’autres limitent cette reconnaissance à certaines de ses composantes (telles que des fleuves), comme  l’Inde, la Nouvelle-Zélande ou la Colombie

-     L’Equateur en 2008 inscrit les droits de la Nature dans sa constitution. – En tant que droits constitutionnels ils sont directement invocables par les citoyens  (personnes physiques ou morales) et directement applicables par les juges:.

-       La constitution de Bolivie adoptée en 2009 par référendum consacre la notion de Pachamama (Terre mère) définie comme une personne morale, consacrée terre sacrée qui a droit « au respect intégral de son existence et au maintien et à la régénération de ses cycles de vie… ».Deux  lois postérieures (2010 et 2012) consacrent expressément ses droits et rappellent les devoirs et obligations de l’Etat et de la société pour garantir leur respect. Tous les boliviens peuvent exercer les droits de la Terre Mère.

-       Nouvelle Zélande le Parlement  reconnaît le fleuve Wanganui comme une entité vivante à part entière. Il est représenté pour assurer l’exercice de ses droits devant la justice par deux   « gardiens » l’un nommé par la couronne, l’autre désigné par les peuples maoris riverains du fleuve (2017).

     -   En Inde, toute personne, groupe de personnes ou association, agissant dans l’intérêt public peut  par tous moyens saisir la Haute cour de l’un des États, ou la Cour suprême qui peuvent également s’autosaisir. la Haute Cour de l’Uttarakland (Nord de l’Inde) a accordé  la personnalité juridique au Gange et  à son affluent Yamuna, à des gaciers et à tout l’écosystème hymalayen, ainsi qu’à l’ensemble du règne animal.

-   La Colombie  (constitution de 1991) offre deux voies de recours :l’« action de tutelle » pour la protection des droits fondamentaux individuels et l’ « action populaire » pour la protection de droits collectifs qui  appartient à toute la communauté, sans besoin de démontrer un intérêt à agir particulier. C’est à la faveur de tels recours que plusieurs juges ont  reconnu des droits à un fleuve et à son bassin ou encore à une partie de la forêt amazonienne.

    -       Aux Etats-unis  depuis 2006  des villes  ont adoptée des ordonnances pour reconnaître des droits aux écosystèmes et aux communautés naturelles, tout en reconnaissant  les droits fondamentaux  des habitants ( environnement sain, accès à l’eau…).  Mais subordonnées aux lois et  à la Constitution de l’Etat elles peuvent être annulées. En 2019 les habitants de Toledo en amendant la charte municipale,  ont  adopté par référendum une déclaration des droits du lac Erié afin de mieux le protéger (algues vertes) et de pouvoir poursuivre les pollueurs. Elle sera annulée par la cour fédérale en 2020….

         Grâce à l’Environmental defense fund (EDF-ONG crée en 1967) des actions judiciaires ont été menées  au nom d’un écosystème (contre une industrie extractive), d’un bassin versant, d’une source….

      -.    Canada, en 2021 reconnaissance de la personnalité juridique et titulaire de   neuf droits fondamentaux à la rivière Magpie.  Nomination de gardiens pour intenter des actions légales en son nom.

         

.Le sujet des droits de la Nature  est un sujet passionnant et en pleine ébullition à travers le monde….

Des concepts qui pour certains sont dangereux (pour la démocratie, pour les droits de l’homme) ou au mieux utopiques, du pur angélisme ou tout simplement inutiles, notre droit de l’environnement fournissant déjà des cadres juridiques de protection de la nature opérants, qu’il est toujours possible d’amender…Des avancées à petits pas loin d’être à la hauteur des défis à relever ,à l’exemple de notre droit.

 

-       Le préjudice écologique pur (né de la jurisprudence de l’ERIKA :marée noire sur 400 de km de littoral, responsabilité civile de Total pour les dommages faits aux côtes bretonnes elles-mêmes- rochers, oiseaux…indépendamment des préjudices humains) est inscrit dans la loi biodiversité de 2016 –art. 1247 du code civil) Il recouvre « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » ( même si elle est collective on  retrouve   la notion d’utilité pour l’homme ). Démonstration éclatante pour certains qu’on  peut protéger la nature pour sa valeur  intrinsèque sans passer par la reconnaissance de la personnalité juridique. Protection qui reste  bien imparfaite…La gravité de l’atteinte est laissée à l’appréciation du juge et il s’agit du seul juge civil ( alors que les demandes de réparations sont quasiment  toujours liées à des affaires pénales ).La réparation est faite en faveur du milieu naturel mais  la priorité est donnée à la remise en état , irréalisable quand les dommages sont irréversibles .Enfin  avec ce contentieux nous sommes dans l’hypothèse où  la catastrophe est déjà arrivée… il ne permet pas de prévenir les atteintes à la nature.

 

-       La création d’un délit de mise en danger de l’environnement et d’un délit général de pollution (dont l’écocide) (loi  « climat et résilience »n°2021-1104 du 22/08/2021).

 

Le délit de mise en danger : seul point innovant  s’applique qu’il y ait ou non pollution. Ne concerne que des délits déjà inscrits dans le code de l’environnement (simple aggravation des peines), ne protège pas les sols (stockage de déchets, dépôts sauvages…), ne s’applique qu’aux installations soumises à autorisation et qui en plus n’ont pas respecté une mise en demeure !. Et cerise sur le gâteau le risque doit être immédiat est l’atteinte grave et durable c’est-à-dire au moins 7 ans ! (la pollution de l’ERIKA a duré 2 ans…).

 

Le délit général de pollution :  concerne tous les milieux, flore, faune, air, sol, eau.  Les effets nuisibles  doivent être graves et durables ( règle des 7 ans).  Les faits doivent avoir été commis en violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Quand on sait que la majorité des pollutions résultent d’imprudence, de négligence, de méconnaissance de la règlementation…on peut  juger de la portée de cette loi. 

 

Le délit d’écocide : un écocide est la destruction d’un  écosystème. La convention citoyenne demandait que la destruction des milieux relève du crime d’écocide. Le gouvernement en a fait un simple délit d’atteinte à l’environnement…. qui ne peut être invoqué que s’il y a infraction intentionnelle

 

 Si le dualisme  Homme/Nature reste  présent dans nombre d’esprits,  jamais nos sociétés ne se sont autant interrogées sur cette  vision de l’homme extérieur et supérieur au reste de la nature. Manifestement une fausse piste au regard de ses conséquences  sur l’écosphère. !

Reconnaître à la Nature et ses composants des droits, au titre de leur valeur intrinsèque va bien au-delà d’un simple enjeu de meilleure protection. C’est  changer la perception  que nous avons de la nature et donc de notre place, de notre rôle, de notre responsabilité  dans l’écosphère. L’humanité n’a aucun avenir si elle continue à se penser contre la nature. En la détruisant elle se détruit elle-même.

La route des droits de la Nature sera longue mais le mouvement est en marche y compris  nous l’avons vu  en France. Des citoyens, des associations, des juristes s’appuient sur ce concept pour défendre des écosystèmes sur leurs territoires, soutenus par de plus en plus d’élus. C’est pour la société civile un moyen d’agir contre l’inaction de l’Etat, de défendre ses  milieux de vie et de faire pression pour une réforme en profondeur de notre droit actuel.  Un droit qui est en contradiction avec nos connaissances scientifiques et la voie que l’on doit emprunter pour faire face à la crise écologique.

 

                                                                 J. Thévenot

 

https://droitsdelanature.com

https://notreaffaireatous.org/

http://valeriecabanes.eu/ article

Ethnographies des mondes à venir Philippe Descola et Alessandro Pignocchi, Seuil, 2022

Bruno Latour qui vient de nous quitter  Editions La Découverte :

          -: Gaïa

          – Où atterrir ?

lessoulevementsdelaterre.org



12/11/2022
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