POURQUOI ERSCIA A SARDY ? (4) - LE FEUILLETON JURIDIQUE
POURQUOI ERSCIA A SARDY ? (4)
LE FEUILLETON JURIDIQUE
Beaucoup d'eau a coulé dans l'Yonne, dans le Sardy et le bois du Tronçay depuis novembre 2011, date à laquelle ont été établis les premiers contacts entre les habitants de Marcilly (commune de Cervon), Danièle AUCLIN (présidente de l'association DECAVIPEC) et Jacqueline THÉVENOT (présidente de l'association LOIRE VIVANTE NIÉVRE ALLIER CHER). Je tiens à les nommer car nombreux sont ceux qui ont tendance à oublier leur travail et leur rôle dans cette affaire ainsi que celui de maître Éric BLANCHECOTTE (SCP Blanchecotte-Boirin du barreau de Nevers) qui est d'un soutien et d'une efficacité sans faille depuis le début …
Il a fallu décortiquer un projet industriel opaque et confus aux acteurs multiples, des dossiers et des arrêtés préfectoraux bâclés, travailler dans l'urgence, recommencer des recours anéantis par des retraits préfectoraux intempestifs et supporter les critiques déplacées de gens qui ne connaissent rien ou presque aux dossiers.
Un projet industriel opaque, confus, aux acteurs multiples
La Communauté du Pays Corbigeois s'était portée acquéreur du bois du Tronçay (116 hectares) sur la commune de Sardy-lès-Épiry en 2008. En 2009, elle confie à la société d'économie mixte Nièvre Aménagement (dont le capital est détenu à 53 % par le Département de la Nièvre et environ 20 % par la Ville de Nevers) la mission de monter le dossier jusqu'à l'enquête publique. C'est, à ce jour, le seul contrat qui lie les deux entités. La mission d'aménagement proprement dite (défrichement du bois, aménagement d'un lotissement industriel, viabilisation de la parcelle réservée à ERSCIA) n'a jamais été entérinée par un vote des élus de la Communauté de Communes du Pays Corbigeois. Ce qui n'a pas empêché cette collectivité de revendre le bois à Nièvre Aménagement en octobre 2012. A-t-elle été payée ? Avec quel argent puisque Nièvre Aménagement ne dispose d'aucune recette dans cette affaire ! La situation était tellement claire que le préfet dans son premier arrêté du 21 mars portant autorisation de déroger à la destruction de sites d'espèces protégées s'est mélangé les pinceaux. Il a mis à la charge du Département des mesures compensatoires qui incombaient à Nièvre Aménagement puisque c'était elle qui bénéficiait de l'autorisation. Ce que le juge a sanctionné en suspendant l'exécution du premier arrêté dérogatoire.
Les deux nouveaux arrêtés préfectoraux pris depuis, désignent Nièvre Aménagement en charge des mesures compensatoires, dont la complexité donne le tournis … tout en prévoyant leur mise en œuvre par le Conseil Général sans que celui-ci n'ait pris la moindre délibération sur le sujet.
Des dossiers de demande d'autorisation bâclés voire carrément mensongers
Quelques exemples
- Des inventaires insuffisants en dépit de soi-disant compléments d'études réalisés hors toute expertise, notamment par une association locale qui n'est même pas agréée … Ces faiblesses ont été dénoncées à 3 reprises par le CNPN obligatoirement consulté avant la prise de décision préfectorale.
- Des études d'incidence NATURA 2000 non produites au mépris de l'avis de l'autorité environnementale et de la DDT58.
- Une sous-estimation scandaleuse de la surface humide présente dans le bois du Tronçay, avec la complicité de la police de l'eau qui, soit s'est dispensée d'aller sur place, soit, si elle l'a fait, a fermé les yeux !
- Des «techniciens spécialisés» des bureaux d'études pressentis par Nièvre Aménagement pour dresser un état des lieux, ont réussi à en trouver pour 0,22 hectare (2.200 m2). En juillet 2012, un huissier mandaté par les associations et les habitants a évalué à 6 hectares (60.000m2) l'étendue de cette zone humide !
Pourquoi cette sous estimation ?
- d'abord pour échapper à la demande d'une autorisation au titre de la loi eau pour la destruction de zone humide d'une surface supérieure à 1 ha.
- ensuite pour échapper au poids de la compensation de la destruction de la zone humide.
- Un mépris absolu du ruisseau de Sardy dans lequel vont s'écouler les rejets industriels, ceux des stations d'épuration, les eaux pluviales. Un milieu à préserver, classé en rivière de première catégorie, zone de frayère.
Un remarquable cafouillage de l'Etat
Les espèces protégées présentes sur le site ont donné beaucoup de soucis aux préfets nivernais. Arrêté, retrait, nouveaux arrêtés se sont succédés selon un rythme d'enfer (3 arrêtés, 2 retraits) en moins d'un an. Avec, aujourd'hui, une situation tout à fait inédite, à savoir TROIS suspensions et deux arrêtés d'autorisation sur une même demande (celui du 10 juillet et du 31 janvier 2013), tous les deux suspendus. Nous attendons que le juge administratif mette un peu d'ordre sur ce cafouillage de première qui montre à quel point ce projet a été intelligemment monté …
Mais le préfet va devoir également répondre de la légalité des autres arrêtés qui ont été déférés devant le juge administratif pour illégalité.
Six arrêtés préfectoraux
Le 21 mars 2012, le Préfet de la Nièvre a signé quatre arrêtés : permis de construire d'ERSCIA, permis d'aménagement d'un lotissement industriel, autorisation de défrichement, dérogation permettant la destruction d'espèces protégées et de leurs habitats. Pour ces quatre arrêtés, le délai de contestation était de deux mois ! Les quatre recours ont été déposés à mi-mai 2012. L'arrêté ICPE ERSCIA (Installation Classée pour la Protection de l'Environnement) est sorti en avril 2012 et l'autorisation du lotissement au titre de loi eau en mai 2012. Pour ces deux derniers, le délai de recours est d'un an.
A ce jour, cinq de ces six arrêtés ont fait l'objet de recours en annulation devant le Tribunal Administratif de Dijon. L'arrêté ICPE suivra le même chemin dans quelques jours.
Deux de ces arrêtés présentaient un caractère d'urgence. En effet, le défrichement et la destruction des espèces protégées et de leurs habitats étaient prévus à partir de septembre 2012. La procédure dite de «référé suspension» a donc été actionnée. Si le juge du Tribunal Administratif n'a pas estimé utile de suspendre l'arrêté «défrichement», par contre, il a prononcé la suspension de celui accordant la fameuse dérogation, en juin 2012. Stupeur dans le Landernau ! Le juge administratif motivait sa décision par l'engagement du Département dans les mesures compensatoires alors que nulle part il est démontré que le Conseil Général ait délibéré sur cette question.
Sur le fond de ces six arrêtés, quatre, au moins, présentent des lacunes telles que leur annulation est parfaitement envisageable (ou du moins fortement espérée !).
Urgence
Le 5 juillet, le Préfet annule son arrêté de dérogation et en reprend un autre le 10 juillet. L'équipe se remet au travail et dépose un nouveau recours en annulation le 31 août assorti d'un référé suspension. L'audience est fixée pour la mi-septembre et le juge administratif se prononce le 2 octobre en suspendant le nouvel arrêté. Il estime opportun de motiver sa décision en abordant les questions de fond. Pour accorder une dérogation, il est nécessaire de justifier que le projet répond à la notion impérative d'intérêt public majeur. De plus, il doit être démontré qu'il n'y a pas de solution alternative possible et, enfin, que les mesures compensatoires envisagées sont suffisantes et crédibles (voir article n° 3 : Quel intérêt ?).
Nièvre Aménagement interjette appel de la décision et se fait refouler par le Conseil d'État le 24 décembre 2012. Joyeux Noël !
Entretemps, le Préfet Daniel Matalon avait déclaré publiquement que l'administration attendrait le jugement sur le fond. Quelques semaines plus tard, exit Daniel Matalon et un nouveau Préfet est nommé par le Gouvernement, Michèle Kirry. Négligeant l'engagement de son prédécesseur, elle reprend le dossier et entend en gommer toutes les imperfections.
Le «nouveau dossier» présenté par Nièvre Aménagement est tout aussi indigent. Soumis une nouvelle fois au CNPN, celui-ci, malgré des «pressions» politiciennes considérables, donne, à nouveau, un avis défavorable en janvier 2013 !
Peu importe à madame Kirry qui trouve dans quelques considérations annexes prétexte à pondre un nouvel arrêté accordant une nouvelle dérogation de destruction des espèces protégées dont le premier point consiste à annuler celui du 10 juillet 2012.
Le coup de force !
Petit rappel. Cet arrêté est signé le jeudi 31 janvier. Il est publié le lundi 4 février vers 10 heures du matin. A 10h30, les bucherons entrent dans le bois du Tronçay sous la protection de la gendarmerie. Une cinquantaine d'habitants tentent de s'opposer à cette intrusion. Des renforts sont appelés à le rescousse. Au total plus de 70 gendarmes «protègeront» les trois ou cinq bucherons de la société Bongard-Bazot qui finiront par couper une cinquantaine d'arbres.
Le lendemain, 5 février, l'équipe juridique dépose un recours en annulation contre ce nouvel arrêté. Mais hésite sur le référé suspension. La rédaction de l'arrêté est tellement «tordue» qu'il n'est pas évident de faire ressortir l'urgence. Enfin, l'argumentation est trouvée et la demande de suspension est déposée le vendredi 8 février. Les spécialistes du droit apprécieront la performance !
Entretemps, les habitants, dont le cercle des amis s'est considérablement élargi avec la création de l'association ADRET Morvan, installent un camp de veille dans le «Pré de la Justice» (cela ne s'invente pas !), en lisière du bois du Tronçay sur une propriété privée. Depuis, une présence est assurée 24 h / 24 h malgré le froid et les impératifs des uns et des autres.
Nouvelle suspension
L'audience du Tribunal Administratif était fixée au 26 février. Le juge prenait sa décision le 27 et nous en donnait connaissance le 28. Il faut dire que le Préfet autorisait la mise en place d'une «zone humide compensatoire» en utilisant l'eau et le substrat de la zone humide existante dès maintenant ! Tout cela en plein cycle de reproduction d'espèces protégées. Le juge, à nouveau, pointait l'absence de démonstration d'un intérêt public majeur tout en admettant, en l'état, une meilleure qualité du dossier modifié.
A ce jour, la troïka ERSCIA, Nièvre Aménagement, Préfecture, ne s'est pas exprimée sur ses intentions. Dans leurs plaidoiries, les avocats de Nièvre Aménagement et d'ERSCIA se sont «étonnés» qu'un juge administratif puisse bloquer un projet d'une «telle importance» ! Cela s'appelle de la «suspicion légitime». Un juge aime bien que l'on conteste sa légitimité ou celle de sa juridiction ! Il est possible que ce soit la seule voie possible pour eux. De belles joutes oratoires en perspective. Mais le juge, prévenu, a rédigé son ordonnance avec beaucoup de précisions et a abondamment exposé tout ce qui l'a conduit a prendre cette décision. Alors, prudence …
Les habitants de Marcilly et ADRET Morvan, eux, ont décidé de maintenir leur présence sur place qui ne cessera que le jour où ce projet sera retiré.
Pour le reste, on voit mal comment la situation pourrait se débloquer avant plusieurs mois.
Guérilla juridique ?
Contrairement à ce qui a été dit et écrit, la guérilla juridique est le fait de la Préfecture, de Nièvre Aménagement et d'ERSCIA. Plutôt que d'admettre que le site est très mal choisi, que le projet est bancal et qu'il ne correspond pas du tout à la présentation qui en est faite par son promoteur, ils font preuve d'un acharnement aveugle. Les arguments développés par DECAVIPEC, LOIRE VIVANTE, le Collectif de Marcilly, ADRET Morvan, n'ont jamais été pris officiellement en considération. Pour l'instant, on n'entend que menaces, rodomontades et désinformation.
Pourtant, il doit bien y avoir quelques lueurs d'intelligence ici et là dans de département ? Des élus de tous bords ont fait la démarche de se renseigner de façon approfondie et affichent leurs doutes. La Confédération Paysanne s'est prononcée depuis longtemps contre le projet. De nombreux fonctionnaires nous assurent de leur soutien et nous font part de leur écœurement devant les magouilles qu'ils perçoivent et les pressions qu'ils subissent. Le Conseil Général avait mis ce sujet à l'ordre du jour de sa dernière session le 25 février. Question retirée au dernier moment. Est-ce l'indice de l'amorce du début d'un commencement de réflexion ? Enfin, bon sang, si la Justice a donné raison aux habitants de Marcilly, à LVNAC et à DECAVIPEC, à trois reprises, ce n'est pas par hasard !
Comment peut-on laisser les questions de fond que nous avons soulevées, les uns et les autres, sans la moindre réponse ?
Quel est le plan de financement du projet ? Combien d'argent public ? Que va-t-on réellement brûler dans la chaudière de l'incinérateur ? Peut-on saccager un milieu naturel fragile sans justification impérative ? Peut-on menacer la ressource en eau sans y réfléchir à deux fois ? Le cadre de vie de centaines d'habitants n'est-il pas également une cause honorable ? Etc …
Les habitants de Marcilly et les associations qui les soutiennent ont fait valoir leurs droits et LE DROIT. Ils croient en la Justice. Leurs actions sont toujours restées dans la légalité et le refus de la provocation. Ils ont beaucoup étudié, réfléchi, proposé. Ils ont la légitimité républicaine de leur côté. Ils ont reçu des insultes, des moqueries, des menaces. N'ont-ils pas droit également au respect ?
François Laballery
Loire Vivante Nièvre Allier Cher
Grenouilles, salamandres, chauves souris, insectes, oiseaux, vous ne perdez rien pour attendre !
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