Nature et Environnement en Nièvre

Nature et Environnement en Nièvre

POURQUOI ERSCIA A SARDY ? (3) - QUEL INTERET ?

Pourquoi ERSCIA à Sardy ? (3) – Quel intérêt ?

 

Le bois du Tronçay est un refuge pour les oiseaux et les chauves-souris. Il comprend également une zone humide de 6 hectares au minimum riche en batraciens, reptiles et amphibiens de toutes sortes. Protégés. Détruire des espèces protégées et leurs habitats est permis par la loi. Pour cela, il faut obtenir une dérogation de la part du préfet. Celui-ci doit, au préalable, demander l'avis du CNPN (Conseil National de la Protection de la Nature) qui donne (ou devrait donner) exclusivement son avis sur les mesures envisagées pour sauvegarder les espèces protégées menacées et leurs habitats. Ce que l'on appelle les mesures compensatoires environnementales. En ce qui concerne le projet ERSCIA à Sardy-lès-Épiry, le CNPN a donné TROIS avis défavorables ! Il est très rare  qu'un préfet accorde cette fameuse dérogation contre un avis défavorable du CNPN et, a fortiori, à trois reprises sur le même sujet. Nièvre, terre de performances !

 

Outre les mesures compensatoires, la dérogation doit être justifiée. Il faut  que l'opération envisagée relève de l'intérêt public majeur et  que le pétitionnaire prouve qu'il n'y avait pas d'alternative possible à l'emplacement choisi.

 

Il faut bien comprendre que fin 2011 et début 2012, ces considérations étaient totalement absentes dans la présentation des dossiers. Il n'y a nulle part la moindre trace d'une démarche quelconque pour chercher un autre emplacement. Et jamais il n'a été question de prouver que ces projets répondaient à un intérêt public majeur, expression qui ne commence à apparaître qu'à mi-2012, lors de la suspension du premier arrêté préfectoral dérogatoire parce que nous avions soulevé ce point dans notre requête.

 

Sites alternatifs

 

Dans le premier volet de cette série d'articles, nous avions abordé le choix de l'emplacement. Souvenez-vous. ERSCIA était partie avec un besoin de surface d'une trentaine d'hectares. Mais cette surface ouvrait facilement la porte à une dizaine de possibilités dans la Nièvre. D'où l'idée lumineuse d'adjoindre à ERSCIA un «lotissement industriel consacré à la filière bois» d'une vingtaine d'hectares. Pour faire joli, on baptise l'ensemble «wood valley». Cà fait bien devant ces ploucs des marches du Morvan ! Seulement, 30 + 20 = 50. Cinquante hectares, cela peut encore se trouver ailleurs. Comme le bois de Sardy s'étend sur une centaine d'hectares, on double les surfaces nécessaires et le tour est joué ! Là il va être difficile de trouver un site alternatif !

 

Pourquoi cet endroit ? Quelques hypothèses : la proximité du Morvan ? Mais, officiellement, le projet ne s'intéresse que très peu à la ressource résineuse du Morvan (5% des besoins), à moins d'un petit mensonge … Rester au plus près de la Roche-en-Brénil où s'est finalement installé le concurrent belge FRUYTIER ? Pourquoi pas et c'est la possibilité que nous avions évoquée. Reste aussi l'idée que pour installer un très gros incinérateur brûlant 170.000 tonnes de déchets comprenant jusqu'à 75 % de matières autre que de la biomasse «propre», il vaut mieux se terrer dans un coin perdu où personne ne viendra vous poser trop de questions sur ce qui entre dans la chaudière et sort de la cheminée …

 

Intérêt public majeur

 

Dans son ordonnance de suspension du 2 octobre 2012, le juge administratif a retenu l'absence de démonstration que l'opération projetée (ERSCIA et Lotissement industriel) répondait à un impératif d'intérêt public majeur.

 

Là, ERSCIA, Nièvre Aménagement et la Préfecture de la Nièvre ont compris qu'il fallait argumenter sur ce point capital. C'est pourquoi, un an après l'instruction du dossier, les tenants du projet se sont mis à phosphorer sur le sujet pour trouver, après coup, quelques arguments qui se veulent convaincants et que nous contestons.

 

L'emploi !

 

C'est l'argument massue d'ERSCIA, de Nièvre Aménagement et de la Préfecture pour affirmer que le projet industriel de Sardy est d'intérêt public majeur vu la situation catastrophique du secteur.

 

Ce qui, déjà, mérite une analyse détaillée.

 

 

Ainsi, la DIRECCTE Bourgogne (Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi), publie tous les mois un bulletin exposant la situation de l'emploi et son évolution. Nous nous basons sur le numéro 279 de février 2012 présentant les chiffres à fin décembre 2011.

 

Ainsi, la Nièvre connaissait, à cette date (époque de l'instruction du dossier), un taux de chômage de 9,7 % de la population active, soit un point de plus que la région Bourgogne (8,7 %) et un peu plus que le pourcentage national (9,4 %). Grave, préoccupant mais pas dramatique par rapport à bien des régions de France ! Chacun comprend qu'il ne s'agit pas, en l'occurrence, de minimiser les ravages du chômage mais d'effectuer simplement quelques comparaisons.

 

Courant 2011, la DIRECCTE a redécoupé la Nièvre en trois zones d'emplois : Nevers, Cosne-Clamecy, Morvan. Fin décembre 2011, le taux de chômage (catégorie A, personnes en recherche d'emploi, disponibles, sans emploi) atteignait 10,2 % de la population active dans la zone de Nevers, 9,4 % dans celle de Cosne-Clamecy et … 8,4 % dans la zone Morvan ! Soit près de 2 % de moins dans la zone Morvan que dans le Val de Loire Sud et bien moins, évidemment, que la moyenne départementale.

 

Lire que la situation est absolument dramatique à Corbigny, nous ne le contestons pas. Mais que dire de Nevers (qui, en outre a perdu 5.000 habitants ces dix dernières années !) ou de Decize ! De plus, ces pourcentages masquent une autre réalité car appliqués sur des populations radicalement différentes. Ainsi, sur les 8.619 demandeurs d'emploi recensés, 5.160 relèvent de la zone de Nevers contre 1.126 dans la zone Morvan. Soit 4,5 fois plus dans la zone Nevers !

 

Sur ce seul critère de l'emploi, il paraît évident que c'est entre Nevers et Decize qu'il faut attirer les entreprises nouvelles créatrices d'emplois. Il faut admettre que Nièvre Aménagement et la Préfecture emballent leur paquet cadeau du chômage de tas de considérations socio-économico-professionnelles dans lesquelles tout le monde s'y perd au bout de trois paragraphes en oubliant opportunément l'essentiel.

 

La problématique de l'emploi se pose de façon plus aigüe dans la région de Nevers - Decize qu'à Corbigny !

 

Mais, de plus, la création d'emplois ne permet pas d'obtenir la qualification d'intérêt public majeur. L'admettre serait supprimer cette condition imposée par la loi  pour obtenir une dérogation à la destruction d'espèces protégées puisque toute création d'activité industrielle entraîne la création d'emplois …

 

La filière bois

 

Les tenants de ce dossier avancent que la filière bois est un objectif d'intérêt national que ERSCIA en est le flambeau et que ce projet est donc d'intérêt public majeur.

 

Cela fait plus de quarante ans qu'on entend parler du développement de la filière bois dans la Nièvre. Mais il ne faut pas désespérer.

 

Ainsi, le projet ERSCIA serait le pilier du développement de cette filière dans la Nièvre ? Heureusement, il existe déjà de nombreuses entreprises dans ce secteur situées  pour la plupart dans le Val de Loire de Cosne à Decize. L'énumération détaillée en serait fastidieuse. Par exemple, on peut retenir six entreprises de La Charité-sur-Loire (plus de 400 emplois) et Bois et Sciages de Sougy (200 emplois).

 

Chacun sait que l'équilibre de ce secteur est fragile et que son développement est très lent. Dans les discussions du Grenelle de l'environnement, la filière bois est, à juste titre, largement évoquée. Utiliser plus de bois dans la construction, mieux utiliser le bois comme énergie de chauffage et, en dernier, produire de l'électricité par la combustion de biomasse, voilà les trois volets mis en avant.

 

ERSCIA, dans la filière bois ?

 

Mardi 26 février 2013, pendant l'audience du Tribunal Administratif, nous avons tous sursauté lorsque l'avocat belge de la société ERSCIA a qualifié cette société de «leader mondial» dans la filière bois ! Même le juge administratif a levé un sourcil intéressé à cette évocation !

 

Alors, sans rire, ERSCIA, leader mondial de la filière bois ? Tout d'abord, ERSCIA se présente comme une entreprise de production d'énergie électrique à partir de la biomasse (et non comme une entreprise de distribution d'énergie comme l'écrit Nièvre Aménagement qui ne s'arrête guère à ce genre de détail !). Nous avons évoqué nos doutes sur le terme de «biomasse» exagérément attribué au combustible de cet incinérateur produisant chaleur et électricité.

 

Cette électricité, rachetée au prix fort par EDF (et payé par nous, consommateurs, par le biais d'une petite taxe prélevée sur nos factures), répond-elle à un intérêt public majeur au point de justifier la destruction d'espèces protégées ? Pas vraiment. Car, 80 % de l'énergie produite sera contrebalancée par la consommation électrique des installations envisagées. A part les bénéfices empochés par les actionnaires de ce leader mondial sur les différences tarifaires entre vente et achat, l'intérêt collectif semble bien mince au final.

 

La production de pellets ? Outre que l'on ne comprend pas très bien comment notre brillant industriel va, à la fois, alimenter son incinérateur et produire ces pellets, l'intérêt de la région et l'intérêt national sont largement oubliés dans cette activité. En effet, ces pellets sont exclusivement destinés à alimenter les centrales thermiques belges qui ont besoin de contrebalancer leur production de CO2 à partir du charbon par des «certificats verts» dont on vous expliquera un jour l'utilité, si vous êtes sages.

 

Enfin, la scierie. Objectif principal annoncé, la production d'emballages industriels. Manque d'imagination de notre leader mondial qui va directement concurrencer FRUYTIER qui a le même objectif. Un peu de production destinée à la charpente, directement en concurrence de BSS à Sougy-sur-Loire …

 

Quant au lotissement industriel accolé à ERSCIA, qui peut croire à la possible installation de 35 entreprises à Sardy-lès-Épiry ?

 

Pour le reste, on est loin du Grenelle, loin de la construction ou de la fabrication de meubles, donc très loin du déficit de la balance commerciale déficitaire de la filière bois que ERSCIA est censée combler …

 

Encore une fois, rien de tout cela ne mérite le label d'intérêt public majeur. Ce projet n'est indispensable ni au niveau national ni au niveau régional, ni au niveau départemental, ni au niveau local …

 

C'est bien ce que vient de dire pour la deuxième fois le juge des référés qui a suspendu l'arrêté préfectoral du 31 janvier 2013 par une ordonnance du 27 février.

 

 

François Laballery

Loire Vivante Nièvre Allier Cher

 

NB – A la relecture, je m'aperçois que j'ai encore oublié de parler de nos charmantes grenouilles, de nos énigmatiques salamandres,  des troublantes Atthyrium Filix femina (fougère femelle) … Promis, juré, on y viendra !



28/02/2013
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