Perturbateurs endocriniens: règlementation rien ne presse!
Perturbateurs endocriniens : réglementation rien ne presse !
Pour la quatrième fois la C° européenne devait le 28 février 2017 faire voter les représentants des Etats de l’UE réunis en comité, sur une définition des perturbateurs endocriniens (PE) dans le domaine des pesticides et des biocides (désinfectants industriels), En l’absence d’une majorité qualifiée exigée pour son adoption elle y a renoncé. On en est au quatrième échec de la C°depuis 2016. Or faute d’accord sur les critères de définition de ces substances l’adoption d’une règlementation protectrice de la santé et de l’environnement est une fois de plus repoussée. Plusieurs pays dont la France, les jugent « inacceptables ».
L’enjeu sur la santé est pourtant considérable. Ces substances chimiques que sont les PE capables de perturber le fonctionnement du système hormonal des êtres vivants sont partout, dans notre environnement (eau, air, sol), dans notre alimentation et dans une multitude de produits de grandes consommation – produits cosmétiques (y compris ceux pour les bébés), pharmaceutiques, plastiques, produits chimiques agricoles, produits d’entretien, emballages …..
Parmi les principaux PE : les phtalates, les composés perfluorés ( très résistants à la chaleur ils se dissolvent facilement dans l'eau et les graisses), les retardateurs de flamme, les parabènes, les PCB, pesticides, le bisphénol A. Son utilisation est interdite en France depuis le ler janvier 2015 dans les contenants ou ustensiles alimentaires mais reste autorisé pour l’exportation ! (Décision du conseil constitutionnel n° 2015-480 QPC du 17 septembre 2015 –« au nom de la liberté d’entreprendre …. »).
Au niveau de l’UE seuls les biberons produits à partir de BPA sont interdits de fabrication et d’importation (depuis 2010)
Outre donc l’impossibilité de se prémunir contre ces substances Les PE posent d’autres problèmes. Etant donné leur mode d’action (–interaction sur le système endocrinien : limitation, blocage de l’action d’une hormone, perturbation de sa production, son transport, son élimination…-) les impacts sur la santé des PE se font à des doses infinitésimales. Ce n’est pas la dose ici qui fait le poison comme en toxicologie, mais l’exposition à ces polluants à certaines étapes du développement lorsque l’organisme est très vulnérable comme pendant la grossesse, la puberté….
A cela s’ajoute l’effet cocktail du mélange de PE encore difficile à analyser. De plus, l’effet néfaste est souvent difficile à détecter car il existe souvent un temps de latence entre la perturbation endocrinienne et l’effet sur la santé et enfin les effets peuvent se transmettre sur plusieurs générations de descendants de celui qui a été exposé.
Les problèmes de santé majeurs que peuvent engendrer les perturbateurs endocriniens sont nombreux: développement anormal de l’embryon, retentissement sur la fertilité masculine, sur la puberté (précocité), maladies tel que le cancer (sein, prostate, testicules..), obésité, diabète, problèmes neurologiques….
Et il n’y a plus de place pour le doute. La littérature scientifique compte des milliers de publications sur le sujet : cf le rapport de l’endocrine Society et rapport de l’OMS
les critères d’identification de la commission:
Ils ont été présentés en juin 2016 avec plus de deux ans de retard sur le calendrier, et après la condamnation en décembre 2015 de la C° par le tribunal de l’Union européenne « pour avoir manqué à ses obligations » suite à une plainte de la Suède, soutenue par la France, la Finlande et les Pays Bas.
En 2009 le Parlement européen a voté un règlement sur les pesticides suivi en 2012 d’un règlement sur les biocides. Selon ces textes si ces produits sont identifiés comme PE ils ne peuvent plus accéder au marché ni y demeurer. La C° avait jusqu’en décembre 2013 pour déterminer les critères scientifiques qui définissent ce qui est ou n’est pas un PE
Les causes du blocage :
►Une définition peu protectrice : selon la C° pour être reconnue comme perturbateur endocrinien une substance doit remplir trois conditions, montrer des effets indésirables sur un organisme sain ou sa progéniture, altérer le fonctionnement du système endocrinien et ses effets indésirables doivent être une conséquence du mode d’action endocrinien. En clair il faut apporter la preuve concrète qu’une substance a un impact sur la santé à cause de ses perturbateurs endocriniens. Ce lien de causalité peut être difficile à établir avec certitude. Les effets apparaissent à long terme, ils peuvent non visibles sur les personnes exposées ou indirects. Une femme enceinte exposée peut n’avoir aucun problème de santé et son enfant arrivé à l’âge adulte avoir un taux de spermatozoïde anormalement bas. Le distilbène prescrit pour éviter les fausses couches a provoqué des malformations chez leurs enfants.
Cette définition est beaucoup moins protectrice de notre santé que celle de l’OMS qui fait consensus chez les scientifiques et ne prend en considération que les dommages constatés sur l’organisme et non le mode d’action de la substance qui a conduit à ces effets.
Elle est vivement critiquée par nombre d’ONG, de scientifiques, de parlementaires pour qui le niveau de preuve de nocivité à apporter pour qu’une substance soit identifiée comme PE est trop important et inacceptable ; au final très peu de substances risquent d’être identifiées. La France, la Suède et le Danemark sont sur cette position.
►De plus, la C° propose qu’un perturbateur endocrinien qui vise à tuer des « nuisibles » ne soit pas considéré comme PE pour les espèces non ciblées s’il est démontré que pour les êtres humains, l’effet néfaste n’est pas avéré……une proposition doublement irrecevable, d’une part en raison des connaissances scientifiques actuelles qui ne permettent pas de démontrer avec certitude l’absence d’effet sur la santé humaine, d’autre part en raison du maintien sur le marché d’une substance qui serait un PE avéré puisqu’elle est conçue pour perturber le système endocrinien des nuisibles !
► la Commission classe les substances en seulement deux catégories: en PE avéré qui serait interdite et en PE non avéré qui serait autorisée. Cela ne laisse aucune place pour le doute et l’application du principe de précaution qui est évidemment nécessaire compte-tenu du danger que représentent ces substances et de la grande complexité de leur mode d’action. La France demande au nom de ce principe l’interdiction de certaines substances sans attendre les dégâts sanitaires importants dès lors qu’on est en présence de signaux d’alarme précoces.
Elle demande que les PE soient classés à l’exemple des cancérigènes, en trois catégories, en fonction du niveau de certitude sur le caractère perturbateur endocrinien d’une substance : PE avérés et présumés, qui doivent être exclus du marché et PE suspectés qui doivent faire l’objet de recherches scientifiques renforcées. En 2005 a été créé le Programme National de Recherche sur les PE (PNRPE). Il a pour objectif de soutenir des recherches fondamentales et appliquées en appui à l’action publique sur les questions ayant trait à la perturbation endocrinienne www.pnrpe.fr
En revanche les sénateurs qui critiquent par ailleurs la position de la C°, ne veulent pas de cette troisième catégorie « qui aurait des conséquences néfastes sur de nombreux secteurs d’activité en France », notamment sur l’agriculture…. Voir le Rapport d'information n° 293 (2016-2017) de Mme Patricia SCHILLINGER et M. Alain VASSELLE, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 12 janvier 2017 visant à renforcer la lutte contre l’exposition aux PE et qui demande au gouvernement « d’intervenir avec fermeté au niveau européen pour défendre l’intérêt général et la santé publique ».
► enfin cette définition ne s’appliquerait qu’aux pesticides et au biocides donc ni aux cosmétiques, emballages plastiques, médicaments etc….
C’est donc peu dire que la Commission européenne sert une fois de plus les intérêts des lobbys de l’industrie chimique (notamment la puissante industrie allemande) au mépris de la protection de la santé publique et de notre environnement (Le coût des effets sanitaires de PE est estimé à 150/260 milliards d’euros pour l’UE). Mais les Etats membres incapables de s’accorder sur des dossiers aussi importants pour les citoyens européens ne doivent pas être exonérés de leur responsabilité (cf le dossier glyphosate qui faute d’accord, a vu sa licence prolongée de 18 mois…). Ils font le jeu des industriels dont le but est le gain de temps et la mise en place d’une règlementation la plus souple possible quant à l’utilisation de ces substances qu’ils fabriquent et vendent, tant les enjeux financiers sont colossaux !. Non seulement pour les fabricants eux-mêmes mais pour le système de libre échange mondial qui pourrait être mis en cause si l’Europe venait à limiter strictement sur son territoire l’utilisation et l’importation des PE.
Stéphane Horel a publié aux éditions de la découverte « Intoxication » -perturbateurs endocriniens, lobbyistes et eurocrates : une bataille d’influence contre la santé - elle y décrit les stratégies employées par les lobbies de la chimie, des pesticides et du plastique et la complaisance qu’ils rencontrent à Bruxelles. Sans oublier le soutien d’Etats hors Europe aux industriels , comme les Etats-Unis, qui menacent les commissaires européens de poursuites en cas de décisions trop sévères (on mesure la danger des accords libre échange type CETA…).
A des années d’inaction la C° ajoute donc des conditions tellement restrictives pour reconnaître un PE que cela revient à demander que les gens tombent d’abord malades ou à attendre la naissance d’enfants malformés ou autistes pour ensuite essayer de faire le lien avec la substance. De plus elle prévoit une dérogation qui revient à délivrer aux multinationales de la chimie un permis de continuer sans fin à nous contaminer avec des produits hautement toxiques.
Ce scandale sanitaire est aussi une bombe à retardement puisque ces PE sont résistants dans le temps et peuvent atteindre nos descendants.
Le sujet s’est invité dans la campagne présidentielle. Le candidat socialiste a inscrit dans son programme l’interdiction immédiate des pesticides dangereux et des PE au nom du principe de précaution. Globalement les candidats prônent une réduction des PE. Pour le front national, seule la sortie de l’Europe nous en protègera… François Fillon veut supprimer le principe de précaution de notre constitution, en tant que principe « dévoyé et arbitraire qui conduit à l’inaction». M. Macron qui affirme vouloir concilier le principe de précaution avec un « principe d’innovation », préconise une interdiction progressive de certains PE estimant leur éradication complète impossible.
Le sujet étant sérieux il ne paraît pas inutile de rappeler que l’action règlementaire individuelle des Etats membres est difficile puisque pour les pesticides et les biocides la demande d’autorisation de mise sur le marché d’une substance chimique est évaluée et accordée par une institution européenne, après évaluation par les Etats (pour la France par l’ l’ANSES : Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail ).
Ensuite les autorisations de mise sur le marché des produits, pesticides et biocides sont délivrées par les Etats (l’ANSES pour la France).
C’est donc bien au niveau de Bruxelles qu’il faut faire avancer ce dossier. Exemple la France seule a règlementé le Bisphénol A dans les matériaux en contact direct avec les denrées alimentaires. Au niveau de l’Europe l’interdiction ne concerne que les biberons. La France n’est donc pas à l’abri d’un contentieux avec la C°….même si son action est justifiée….(la France a pu intervenir sur le bisphénol A car il relève de la réglementation REACH sur les substances chimiques).
Il conviendrait déjà de continuer l’action que la France a engagée dans ce domaine, (la première en Europe à avoir interdit le bisphénol A dans les contenants alimentaires).
La Stratégie Nationale Perturbateurs Endocriniens (SNPE-) prévoit différentes mesures mises en œuvre depuis 2014 : soutien de la recherche, développement de l’innovation dans l’industrie pour la mise en oeuvre de produits de substitution innovants et non toxiques, analyse de substances suspectées d'être des perturbateurs endocriniens, porter ce sujet majeur de santé publique au niveau européen et refaire de la France un pays moteur de la protection de la santé et l'environnement en Europe , améliorer l’information des citoyens dans la vie quotidienne et les lieux de travail.
J. Thévenot
- UFC Que choisir : a édité la liste de 185 cosmétiques contenant des substances préoccupantes
- Quelques conseils http://www.prevention-sante.eu/medecine/quelques-reflexes-simples-se-proteger-perturbateurs-endocriniens
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