Nature et Environnement en Nièvre

Nature et Environnement en Nièvre

Climat: le gouvernement mis en demeure de se justifier

Climat : le gouvernement mis en demeure de se justifier. 

 

Le Conseil d’Etat qui a été saisi en  janvier 2019 par la commune de Grande Synthe, d’un recours pour excès de pouvoir contre l’Etat pour « carence fautive » dans la lutte contre le réchauffement climatique vient de donner au gouvernement un délai de trois mois  pour  prouver qu’il va tenir ses objectifs  en matière de lutte contre les émissions responsables du réchauffement climatique.

 

Cette commune située  à côté de Dunkerque construite sur un polder  est  particulièrement exposée au risque de submersion marine et d’inondation. A sa tête  Monsieur Damien Carême, maire écologiste.  En novembre 2018 il  dépose  auprès du Pd de la République, du ler ministre et du ministre de l’écologie un recours gracieux demandant à la France d’intensifier sa lutte contre le changement climatique qui reste  sans réponse.  Il saisit alors le Conseil d’Etat  d’un recours  pour excès de pouvoir, pour annulation des décisions implicites de rejet résultant du silence de ces autorités. La haute juridiction vient de lui répondre par une décision qualifiée d’historique en date du 19 novembre ( N°427301) https://www.labase-lextenso.fr/jurisprudence/CETATEXT000042543665

Historique elle l’est en ce qu’il s’agit  d’un premier contentieux climatique contre l’Etat français  qui aborde des points relatifs aux engagements de la France en matière de lutte contre le changement climatique et leurs conséquences  (inutile de préciser que l’Etat avait demandé au Conseil d’Etat un rejet pur et simple de la demande) :

-       S’agissant des engagements de la France de réduction des émissions de   gaz à effet de serre (GES). Ils résultent  du droit international, Convention-cadre des Nations unies pour le changement climatique (CCNUCC) du 9 mai 1992 et Accord de Paris de décembre 2015, du droit européen  et du droit national

-       S’agissant de la portée juridique de ces engagements Le conseil d’Etat considère que la CCNUCC et l’Accord de Paris signés par l’UE et la France n’ont pas « d’effet direct » et doivent être accompagnés d’actes complémentaires pour produire des effets à l’égard des particuliers.  Lesquels ont été pris au niveau européen (décision  n°4066/2009/CE du 23 avril 2009) et dans les textes français tels que « la loi énergie climat » du 8 novembre  2019 » et le décret fixant la « stratégie carbone » (novembre 2015), par lesquels la France s’est engagée .à atteindre en 2030 une baisse de 40% des émissions de GES  par rapport à leur niveau de 1990 ainsi que la neutralité carbone d’ici 2050 avec une mise en oeuvre de la réduction de l’empreinte carbone de la consommation des citoyens ( bâtiments, transports, agriculture,.industrie….).  Cette stratégie bas carbone repose sur un système de plafonds nationaux d’émissions « budget carbone » à ne pas dépasser ; ils sont fixés par décret et revus tous les cinq ans

-        

Le Conseil d’Etat énonce que  les limites fixées par le  premier décret de 2015 pour la période 2015-2018 ont été dépassées dès 2016. la baisse moyenne de ses émissions a été  de1%/an alors que le budget fixé imposait une réduction de 2,2% et que tous les « budgets carbone »adoptés dans différents plans de l’Etat ont toujours été dépassés. De plus le CE pointe  que   s’agissant de la stratégie carbone l’Etat  par un décret du 21 avril 2020 a revu à la baisse (par rapport à ce qui avait été envisagé en 2015) ses objectifs de réduction  au terme de la période 2019-2023 (correspondant au deuxième budget carbone). Dans ces conditions le Conseil d’Etat estime que la trajectoire de réduction fixée pour 2030 sera difficile à atteindre.  Il pointe le retard pris par la France dont l’action n’est pas en cohérence avec ses engagements pour le climat. Le Conseil d’Etat se fait  d’ailleurs l’écho du rapport 2019 du « Haut conseil pour le climat »qui souligne les insuffisances des politiques menées par la France ; il se réfère également aux données  scientifiques issues des rapports du GIEC pour souligner l’urgence climatique.

. www.hautconseilclimat.fr/publications/rapport-2019-grand-public/

 

Constatant que la France a reporté une partie de l’effort de réduction des émissions de GES le juge administratif demande à l’Etat français de justifier que les moyens qu’il met en œuvre permettront bien d’atteindre les objectifs fixés..  A défaut le Conseil d’Etat pourra faire droit à la requête de la commune de Grande-Synthe et annuler le refus de prendre des mesures supplémentaires permettant de respecter la trajectoire prévue pour atteindre l’objectif de -40% à l’horizon 2030. Il ressort de cette décision que l’Etat est bien tenu à une obligation de résultats.  Si le juge administratif en raison de la séparation des pouvoirs  ne pourra pas enjoindre à  l’Etat les mesures à prendre il pourra en revanche le condamner à revoir  sa législation pour  être en conformité avec ses  propres obligations. L’issue de ce type de recours  peut donc avoir des conséquences très positives en matière de lutte contre le changement climatique.

On peut penser et espérer que  cet arrêt  est le premier d’une série ; d’autres demandes sont  en cours d’examen notamment celle de «  l’ affaire du siècle » devant le tribunal administratif de Paris, audience prévue le 14 janvier 2021  (cf notre article sous la rubrique LVNAC du 24/12/2018 « réchauffement climatique, vers une plainte contre l’Etat français » .

https://laffairedusiecle.net/laffaire/affaire-du-siecle-au-tribunal/

 

En la matière la France selon le rapport des Nations Unies pour l’environnement de 2017 se trouve en bas du classement en terme de contentieux climatique intentés contre l’Etat au nombre de 4 contre 80 recours en Australie, 654 aux USA…

 

Rappel 14 collectivités territoriales et 4 associations ont mis en demeure la multinationale Total, à la suite d’un rapport de 2017 de “Carbon Major” plaçant la multinationales à la 14ème position des industriels ayant le plus participé au réchauffement climatique. Le fondement juridique de la mise en demeure repose sur la loi 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. En juin 2019 le  géant Total était mis en demeure de s’aligner aux obligations issues de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 2°C par rapport à l’ère préindustrielle.

 

A noter également :: La Cour européenne des droits de l’homme  a reçu en novembre, la plainte de 6 jeunes portugais contre 33 Etats, dont la France, qu’ils considèrent comme responsables de l’aggravation de la crise climatique ayant  "échoué à faire leur part afin d'éviter une catastrophe climatique" .

 

 La cour a reconnu l’ampleur et l’imminence de la menace que l’urgence fait peser sur ces jeunes. Les effets du changement climatique sur la santé ne sont plus à démontrer et s’agissant du Portugal, sa population ces dernières années a été exposée à des feux de forêt liés à la chaleur et à la sècheresse d’une ampleur sans précédent.

La Cour a sommé les Etats de répondre à cette plainte d’ici la fin février. Si la procédure aboutit les  33 pays pourraient être tenus de réduire leurs émissions de CO2 ainsi que celles de leurs entreprises multinationales….Comme on le voit les droits de l’homme aussi peuvent être au service de la justice climatique qui dépasse les frontières du droit de l’environnement.

On ne pourra suivre l’issue de ces contentieux climatiques nouveaux en Europe et notamment en France qu’avec grand intérêt.  On doit souhaiter qu’ils progressent. Ils peuvent être un outil important pour inciter les décideurs politiques mais aussi les acteurs économiques tels les entreprises à agir efficacement pour limiter le réchauffement climatique et pour les citoyens ils sont  un moyen de contrôle sur l’action de leurs représentants.         Pour les ONG militantes ces actions judiciaires sont à la fois des actes juridiques et politiques.

 Le rôle du juge national en matière de contentieux climatique est essentiel puisqu'il n'y a pas de juridiction internationale compétente pour se prononcer sur la violation des engagements pris par les Etats en matière de réchauffement climatique.

Ainsi en 2018 est apparu en France un nouveau type de recours, le recours en responsabilité pour inaction climatique, dirigé directement contre l’État. Dans l’affaire Grande-Synthe et l’Affaire du siècle le juge a déclaré recevables les actions introduites pour carence fautive de l’Etat.

Pour mémoire  le juge peut  se montrer carrément audacieux…. Tel le tribunal correctionnel de Lyon qui a prononcé la relâche des militants écologiques qui avaient décroché des portraits du président de la République dans plusieurs mairies : un « état de nécessité », conséquence du changement climatique et de l’inaction de l’État, « justifierait » ces actions qui dès lors ne seraient pas considérées comme un délit, qualification qui avait été retenue par le procureur de la République. Pour le juge dans cette affaire l’état d’urgence climatique a été jugé  plus important que le respect des symboles de la République….Cette décision a été très critiquée et n’a pas été suivie par d’autres juges.

 

 

                                                            J. Thévenot

 

 
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10/12/2020
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