plan"eau" et agriculture
Plan "eau" et agriculture
Le 30 mars, le Président de la République annonçait un « plan eau », présenté comme une modernisation sans précédent de notre politique de l’eau. Il comprend une cinquantaine de mesures censées répondre, à l'heure du changement climatique et de la raréfaction de l'eau disponible (- 30 à 40% à l’horizon 2050 selon les experts), à trois enjeux majeurs : sobriété des usages, optimisation de la disponibilité et amélioration de la qualité. Un plan qui doit s'étaler sur plusieurs années.
C’était au lendemain de la manifestation de Sainte Soline, durement réprimée par la police, organisée par les opposants au stockage de l’eau sous forme de réserves -les méga-bassines-..
C’est peu dire que leur attention sur les mesures du plan concernant l’agriculture était grande….Ce secteur représente 58% de la consommation totale d’eau (eau prélevée qui n’est pas rendue aux milieux naturels - Dans certains territoires l’irrigation représente jusqu’à 80% des prélèvements totaux en période estivale).Contre 26% pour la production d’eau potable, 12% pour les centrales nucléaires, 4% pour l’es usages industriels.
Plus grosse consommatrice d’eau l’agriculture est aussi l’une des principales sources de sa pollution ( engrais, pesticides, élevages..).
De la sobriété : Le plan fixe un objectif global d’économie d’eau prélevée de 10% d’ici 2030.. soit déjà un recul par rapport à l’engagement du gouvernement en 2019 aux « Assises de l’eau »à une diminution de 10% d’ici à 2025 et de 25% d’ici à 2035 !
L’objectif -10% de prélèvement doit s’appliquer dans tous les secteurs d’activité, collectivités territoriales, énergie, industrie, tourisme, et agriculture…. Sauf que ce dernier secteur échappe en fait à cette obligation si on se réfère aux propos du Président de la République dans son discours de présentation et aux déclarations de son ministre de l’agriculture.
E. Macron après avoir évoqué la nécessité de changer de modèle agricole pour lutter contre les pénuries en eau., déclare à propos des réserves d'eau « notre souveraineté alimentaire n'est pas négociable et le plan eau pose un principe simple, on doit faire plus d'irrigation avec la même quantité d'eau que nous utilisons aujourd'hui» , en pariant sur des solutions innovantes.
Le ministre de l'agriculture au même moment rassurait la FNSEA en déclarant devant son congrès « aucun effort supplémentaire ne sera demandé à l'agriculture quant aux volumes globaux qu'elle prélève». Il a évoqué une amélioration de la sobriété à l’ha ( ???) . Silence sur la nécessité d'adapter nos modèles d'agriculture au dérèglement climatique au moins invoquée par le Président de la République (en l'absence bien sûr d'annonce de mesures contraignantes...).
La sobriété de l'agriculture, c'est donc pour le gouvernement, à volume global constant des volumes prélevés, irriguer davantage de surfaces et autrement par l’innovation, l’investissement l’efficience des prélèvements….
Ainsi le plan annonce 30 millions d'euros/an supplémentaires consacrés au soutien des pratiques agricoles économes en eau ( émergence de filières peu consommatrices, l'irrigation au goutte à goutte, modèles d’irrigation intelligents ...
La généralisation d’une tarification progressive de l’eau destinée à inciter aux économies est inscrite dans le plan mais ne concerne que les particuliers (l’ eau potable). Ce sont les Agences de l’eau qui prélèvent des redevances sur les factures d’eau. Leur total est supporté à 85% par les ménages, l’agriculture n’y contribue qu’entre 3% au mieux 6%. On ne compte plus les rapports dénonçant l’injustice et l’inefficacité de cette fiscalité eau et l’absence de toute évolution depuis la première loi eau de 1964. Le coût de la dépollution des pollutions agricoles représente entre 750 millions et 1,3 milliard d'euros par an, intégralement financé par les consommateurs via leurs factures d'eau ((source « que choisir »).
L’augmentation de la ressource disponible :
- Récupération des eaux de pluie : le plan prévoit un large soutien financier en vue de sa généralisation, via des aides des agences de l’eau pour les bâtiments agricoles, notamment les bâtiments d’élevage pour l’abreuvement des animaux.
- Réutilisation des eaux traitées (REUT) : La France recycle 1% des eaux usées, ses usages sont prévus par la loi –nettoyage des voiries, des réseaux, espaces verts, incendies, irrigation agricole. Le « plan eau » prévoit une réutilisation de 10% d’ici à 2030.
Outre son coût ( km de tuyaux, énergie, traitement) cette technique déjà très réglementée pour l’agriculture en raison des risques sanitaires va devoir être renforcée pour être en conformité avec le nouveau règlement européen sur la REUT adopté en mai 2020 .
Le plan annonce la levée des freins règlementaires sur l’utilisation de ces eaux dans l’industrie agroalimentaire.
Il faut rappeler que cette eau qui serait réutilisée pour les cultures n’irait plus rejoindre les milieux naturels. Hors les zones littorales où les stations d’épuration rejettent en mer , dans nombre de cas ce sont elles qui permettent en période estivale, un débit minimum dans les cours d’eau. …Il faut par ailleurs poser la question sur l’usage de cette offre supplémentaire d’eau pour l’agriculture ; ce serait une aberration qu’elle serve à des cultures inadaptées aux conditions climatiques type maïs. Et en toute hypothèse la réutilisation des eaux usées ne devrait être possible qu’après la mise en œuvre de mesures de réduction de la consommation en eau.
- Stockage de l’eau : propos du Pd de la République dans son allocution de présentation du Plan eau : « il faut faire évoluer les logiques de stockage de l’eau : avoir des sols en meilleure santé, en plantant plus d’arbres, plus de haies qui stockent mieux l’eau ». Des vœux pieux en l’absence de mesures concrètes dans le plan, d’obligation de résultats et du maintien du principe du volontariat.
La destruction des haies agricoles s’accélère 10400km/an entre 2006/2014 ; 23000 entre 2017/2021. Depuis 1950 70% des haies ont disparu du bocage français . Cf le rapport du CGAAER de 2022
Réaffirmation de la position favorable du gouvernement sur la rétention artificielle des eaux d’hiver. Les écologistes demandaient un moratoire sur ces réserves (les méga-bassines terme qui reflète le gigantisme de ces infrastructures) en raison de l’absence de données fiables sur les « vertus » et les impacts de ces ouvrages sur les nappes phréatiques et les cours d’eau notamment dans un rapport du BRGM de juin 2022 pointé pour son manque de rigueur.
E. Macron a évoqué quelques conditions de leur construction : « alignement sur des données scientifiques prospectives pour la détermination des volumes prélevables sans dommage à l’écosystème, s’inscrire dans des projets de territoires qui incluent un partage des usages, protection de la biodiversité, changement significatifs de pratiques culturales, économies d’eau, réduction de l’usage des pesticides… ».
Encore faudrait-il que ces projets de territoire aient une portée règlementaire. Ce n’est pas le cas du PTGE (Projet de Territoire pour la Gestion de l’Eau) instaurés en 2019 par une instruction ministérielle qui subordonne le financement public des installations de stockage à leur élaboration. Elle implique tous les usagers de l’eau (consommation d’eau potable, usages pour l’agriculture, l’industrie, l’énergie, la navigation, la pêche, etc.) en vue de faciliter la préservation et la gestion de la ressource en eau. Mais les décisions et les engagements qui s’en dégagent sont sans incidence sur les autorisations de prélèvements ou d’ouvrages, les restrictions et hiérarchisations des usages qui sont dans les mains des préfets.
A quand en s’appuyant sur les territoires la création d’un régime juridique d’éco-conditionnalité avec obligation de résultats, propre aux autorisations de prélèvement agricoles avec fixation des cultures prioritaires à irriguer, de prescriptions sur des techniques d’irrigation efficientes, sur les pratiques agro-écologiques ayant des effets bénéfices directs sur le cycle de l’eau (agroforesterie, mise en place de haies, bonne gestion des sols…) ?
La qualité de l’eau : nous qualifierons d’indigentes les mesures concernant l’agriculture
Silence total sur les nitrates : dangereux pour la santé (en particulier celle des nourrissons), nuisibles pour les plans d’eau(cyanobactéries) et les eaux côtières (algues vertes). 88% sont dus à l’excès d’azote épandus dans les champs (élevages) . La France en est à sont 7ème plan, sans grands résultats, depuis la Directive européenne nitrates de 1991 !
Pesticides : des mesures sans aucune obligation portent sur les aires de captage eau potable du genre : « y seront favorisées l’agroécologie, l’agriculture biologique ». Rappelons que la protection de ces zones figurait dans le Grenelle de l’environnement (2007 ! ). Aucune interdiction de l’utilisation des pesticides de synthèse sur ces zones.. Près de 12 millions de personnes reçoivent ponctuellement ou régulièrement une eau ayant des seuils trop élevés de pesticides et de métabolites ( sous produits des pesticides dus à leur dégradation).
Le plan annonce que la France adaptera ses usages de produits phytopharmaceutiques au regard des forts enjeux de santé-environnement sur les aires d’alimentation de captages via notamment son troisième plan « Ecophyto 2030 ». Le premier (2009) avait pour objectif de réduire de 50% en 10 ans le recours aux produits phytosanitaires « si possible »….
Enfin notons les grands oubliés de ce « plan eau » : les milieux aquatiques (rivières, lacs, nappes) dont très peu sont en bon état écologique !
Rien dans ce « plan eau » ne conduit au nécessaire changement de modèle agricole et de ses pratiques (cultures moins gourmandes en eau, fertilisation organique, sols vivants, paysage bocager…). Peut-on espérer que la loi d’orientation agricole prévue pour la fin de l’année comporte des points essentiels sur la gestion et qualité de l’eau ? Avec un ministre de l’agriculture (Marc Fesneau) qui a dit au congrès de la FNSEA vouloir demander à l’Agence française de sécurité sanitaire (ANSES ) de revenir sur sa volonté d’interdire les principaux usages du S-métolachlore (herbicide classé dangereux et cancérogène suspecté) détecté au-delà des limites autorisées dans des nappes phréatiques….
J. Thévenot
https://www.ecologie.gouv.fr/plan-action-gestion-resiliente-et-concertee-eau plan "eau"
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